RENCONTRE SALVA KIIR / RIEK MACHAR
Peut-on concilier le chien et le chat ?
A la suite d’une invitation du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, le président sud-soudanais, Salva Kiir, et le chef rebelle, Riek Machar, se sont rencontrés le 25 juin 2018, à Addis Abeba. Selon Meles Alem, porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères, l’objectif poursuivi est d’amener les deux frères ennemis à « résorber leurs divergences et travailler à la pacification du Soudan du Sud ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’initiative du Premier ministre éthiopien, et à travers lui, l’organisation régionale Igad, est à saluer. Car les deux hommes, faut-il le rappeler, sont parvenus à un accord qui, dit-on, prévoit, entre autres, la libération de prisonniers et la formation d’un gouvernement provisoire dans quatre mois. Mais dans le même temps, l’on peut se demander véritablement si l’on peut concilier le chien et le chat.
Tout a été tenté pour amener les deux va-t-en-guerre à ne pas brader l’héritage de John Garang
Cette question est d’autant plus pertinente que les deux hommes se vouent réciproquement une haine viscérale, depuis que le pays a accédé à l’indépendance en 2011. Depuis lors, les bonnes volontés se sont investies, les Etats-Unis en tête, puisque le Soudan du Sud est en quelque sorte leur bébé, pour que les choses se passent dans le sens de la construction de la paix et du développement. Mais l’homme au grand chapeau de western, c’est-à-dire Salva Kiir, et son ancien camarade de la lutte de libération, Riek Machar, ont plutôt fait le choix, en toute conscience, d’asseoir leur gloire personnelle sur le malheur de leur pays. C’est cette quête folle d’assouvir leur soif du pouvoir à tout prix, qui est à l’origine de la descente aux enfers du Soudan du Sud. Et tout a été tenté pour amener les deux va-t-en-guerre devant l’Eternel, à ne pas brader l’héritage de John Garang, du nom de cet officier qui s’est battu, toute sa vie durant, pour la dignité des populations du Sud du pays. Malheureusement, le destin ne lui a pas laissé le temps d’organiser l’indépendance du Soudan du Sud.
Sa disparition précoce a ouvert la voie à des politiciens qui n’avaient ni son charisme ni sa carrure, pour s’emparer, peut-on dire, par effraction, des manettes du nouvel Etat. Cette race honnie de politiciens est incarnée par Salva Kiir et Riek Machar. Visiblement en panne d’idées et de vision pour conduire le jeune Etat vers de « verts pâturages », ils ont choisi de l’arrimer au chaos. Un des moyens pour exécuter leurs sales besognes est l’instrumentalisation des ethnies. Ainsi, Salva Kiir s’est positionné comme le sauveur des Dinkas et Riek Machar comme celui des Nuers. De ce fait, en décembre 2013, soit seulement deux ans après l’indépendance, le Soudan du Sud s’est enfoncé dans une guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts, près de quatre millions de déplacés et provoqué une crise humanitaire catastrophique. Et depuis que Riek Machar a fui Juba sous les coups de boutoir de la soldatesque de l’homme au grand chapeau de western, les ponts se sont rompus entre les deux hommes. Et malgré son remplacement au poste de vice-président par l’un de ses lieutenants, qui avait, entre-temps, retourné sa veste, Riek Machar demeure potentiellement un danger pour le Soudan du Sud. Et de l’Afrique du Sud où il a trouvé refuge, il peut, à tout moment, faire parler de lui. Il faut ajouter à cette hospitalité suspecte de l’Afrique du Sud, le fait que Riek Machar entretient des relations coupables avec le président du Soudan, Omar El Béchir.
Une retraite politique forcée des deux hommes pourrait permettre l’émergence d’une nouvelle classe politique
Il ne faut pas non plus occulter le fait que l’homme, malgré la déculottée militaire de Juba en 2016 et nonobstant son éloignement du pays, est encore perçu par les membres de sa communauté (les Nuers), comme un héros. L’un dans l’autre, l’on peut se permettre de dire que ce serait un pari risqué que d’envisager la construction de la paix et de la stabilité sans lui. C’est cette real-politik que semble avoir comprise l’organisation régionale Igad. Et le nouveau Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, qui, soit dit en passant, a promis depuis qu’il est aux affaires, de fumer le calumet de la paix avec l’Erythrée, a compris cela. De ce point de vue, il pourrait réussir là où tout le monde, avant lui, avait échoué, c’est-à-dire, amener Salva Kiir et Riek Machar à regarder tous les deux dans la même direction. En tout cas, c’est tout le mal qu’on lui souhaite. Mais dans l’hypothèse où la montagne accoucherait d’une souris à l’image des autres rencontres qui ont déjà été organisées entre les deux hommes, du fait de leur mauvaise foi et de leur intransigeance, l’organisation régionale Igad en particulier, et la communauté internationale en général, ne doivent pas hésiter un seul instant à peser de tout leur poids pour soulager la souffrance du peuple du Soudan du Sud. Et cela pourrait passer par la mise hors d’état de nuire des deux prédateurs de la paix dans ce pays. Cette option est d’autant plus justifiée que Salva Kiir et Riek Machar semblent avoir dans leur ADN, une tendance à la guerre. Et le faire, loin d’être une ingérence dans les affaires intérieures du Soudan du Sud, serait un devoir d’ingérence humanitaire. Car, l’on ne saurait tolérer que tout un peuple soit l’otage, depuis 2013, de deux individus dont la soif immodérée du pouvoir, n’a d’égale que leur ego.
Le scénario d’une retraite politique forcée des deux hommes pourrait, en outre, permettre l’émergence d’une nouvelle classe politique qui ne tire pas seulement sa légitimité de la longue guerre de libération menée contre Khartoum, mais du sens élevé de la responsabilité.
« Le Pays »