REPRESSION MEURTRIERE DE LA MANIF DE L’OPPOSITION GUINEENNE
C’est à croire que le président Alpha Condé ne voit pas plus loin que le bout de son nez. En tout cas, c’est l’impression qu’il donne à travers la répression sanglante contre les manifestants qui ont battu le macadam hier, pour dénoncer ses velléités de briguer un troisième mandat. Un mort et plusieurs blessés, c’est le triste bilan de la répression de la soldatesque qui semble n’avoir pas encore compris qu’elle se rend ainsi coupable de crimes dont elle devra répondre tôt ou tard. En dressant la machine répressive contre les défenseurs de la liberté et de la démocratie, Condé achève de convaincre, pour ceux qui en doutaient encore, de sa volonté de prolonger son bail à la tête de l’Etat guinéen aux termes de ses deux mandats constitutionnels. Et cela n’est pas à son honneur. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Guinée n’a pas besoin de ça. Cela dit, l’on n’est pas surpris outre mesure de la frilosité du pouvoir Condé. Car, c’est le sport favori des dirigents au pays de Sékou Touré. En tout cas, la météo politique guinéenne annonçait déjà un grand orage tant et si bien qu’il était quasi impensable qu’il ne plût pas sur Conakry. En vérité, cette répression est la preuve que le fil du dialogue est encore rompu entre le pouvoir et l’opposition. Cela est d’autant plus vrai que chaque camp aura tenu parole. Faut-il le rappeler, le coordonnateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) de Boké avait été, on ne peut plus clair, en lâchant cette petite phrase : « Nous marcherons même si l’armée va nous marcher dessus ». Or, dans une précédente sortie, le ministre guinéen de l’Administration territoriale avait donné le ton en mettant en garde l’opposition contre toute action qui troublerait l’ordre public. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement avait, sans autre forme de procès, jeté six membres de cette structure en prison. C’est dire si le risque d’affrontement était grand.
Ce n’est pas avec Condé que les Guinéens vaincront le signe indien des mauvais dirigeants
Maintenant que Condé a franchi le Rubicon, il faut craindre que ce bras de fer entre le pouvoir et l’opposition, ne réserve des jours de tourmente et de larmes au peuple guinéen devenu otage de sa classe politique. Le hic est que tout laisse croire que la crise qui se profile à l’horizon, ne manquera pas d’impacter négativement une économie nationale souffreteuse malgré son immense potentiel minier et naturel, avec d’inévitables répercussions sur les conditions de vie déjà précaires des populations. En tout état de cause, l’on ne peut que regretter cet entêtement d’Alpha Condé à lancer son pays sur cette orbite de l’incertitude. Non seulement il achève de dilapider tout le capital de sympathie engrangé tout au long de son combat historique pour la démocratie contre les régimes militaires successifs en Guinée, mais aussi il court le risque de sortir de l’histoire par une porte dérobée. Rien ne dit en effet qu’il échappera au syndrome de Blaise Compaoré au Burkina Faso ou d’Abdoulaye Wade au Sénégal. Et même s’il parvenait à se maintenir au pouvoir au terme du bricolage électoral qu’il a échafaudé, il ne réussirait qu’à faire de la Guinée, avec le Togo, l’un des moutons noirs de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Dans tous les cas, la certitude est faite, au grand dam de tous ceux qui avaient chanté la légende Condé, que ce n’est pas avec lui que les Guinéens vaincront le signe indien des mauvais dirigeants. Cela dit, l’opposition guinéenne ne doit pas être isolée dans son combat contre ce mutant d’Alpha Condé. La communauté ouest-africaine, à travers la CEDEAO, se doit d’intervenir pour dissuader le professeur de cette aventure pleine de menaces, non seulement pour la Guinée, mais aussi pour tout l’espace communautaire. En effet, non seulement l’instabilité politique en Guinée peut impacter négativement l’économie et la quiétude sous-régionales, mais l’exemple d’Alpha Condé peut aussi s’avérer contagieux pour de nombreux Etats où la démocratie n’est encore qu’un vernis. Pour agir dans l’intérêt communautaire, l’organisation sous-régionale dispose de plusieurs leviers d’action. Elle peut d’abord compter sur la puissante voix morale d’anciens chefs d’Etat africains qui se sont engagés, à Niamey, lors d’un sommet sur le constitutionnalisme, à unir leurs voix pour exiger le respect de la limitation des mandats présidentiels, de la règle constitutionnelle et de l’Etat de droit de manière générale partout en Afrique et favoriser ainsi le renouvellement du leadership politique. L’on peut se surprendre à rêver que le président guinéen qui a autrefois conduit lui-même des missions de bons offices dans des crises du genre sur le continent, ne fasse pas la sourde oreille face à ces illustres personnalités. La CEDEAO peut aussi se montrer plus énergique en actionnant, en cas de besoin, la menace de sanctions diplomatiques et économiques voire militaires, comme elle a parfois su le faire dans certaines crises comme au Mali ou en Gambie.
« Le Pays»