SITUATION SOCIOPOLITIQUE NATIONALE « Le Burkina a besoin de partir sur des bases inclusives », selon Jean Gabriel Taoko
Tout en donnant sa lecture sur la révision du Code électoral qui fait grand bruit, l’auteur du point de vue ci-dessous se dit surpris d’entendre que la diaspora burkinabè a créé un parti politique. Lisez !
A l’acmé de la crise Gbagbo- Blaise Compaoré, j’avais commis une prose intitulée « Pleurs au Pays Bien aimé ». J’étais en exil imposé.
Je ne sais pas si vous l’avez bien appréciée, mais peu importe.
Le Burkina connaît une autre ère et son peuple plus mature a bien compris les enjeux importants pour son avenir. Personne n’est jamais suffisamment préparé à l’imprévu, à la surprise.
Un dumping démographique est un risque faible, mais pas un risque nul.
Gouverner c’est prévoir. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’imprévision n’a pas de place et n’aura plus de place.
Les Burkinabè ne sont pas revanchards mais ils savent ce que leurs parents ont enduré et qui a forgé leur caractère de courage, d’endurance et de résilience. Je ne citerai aucune « campagne » pour n’accuser personne ni aucun régime. Les Burkinabè ne se morfondent pas dans la victimisation et se battent pour la recherche de solutions du développement. A cette mission, tous sont conviés.
Le gouvernement du Président Roch Marc Christian Kaboré ne transgresse pas cette règle.
Il a tenu à organiser les Burkinabè vivant à l’étranger ; promulguer une loi pour leur permettre de participer aux grandes décisions nationales, à la vie de tous les jours de la Nation, voire d’y reprendre pied. Et c’est bien comme cela.
Je sais avec quel enthousiasme, quel courage nos jeunes frères de l’équipe gouvernementale, des représentations diplomatiques ont « mouillé le maillot et continuent de le mouiller » pour réussir ce défi. Relever ce défi est l’affaire de tous.
L’expatriation volontaire- qui peut tourner au cauchemar à tout moment- ou l’exil choisi ou non est et sont une déchirure.
Déchirure causée par la méchanceté ou la jalousie morbide. C’est notre tare atavique.
Cette expérience, je l’ai vécue. Je sais, à mon modeste niveau, ce qu’elle vaut et je ne m’étendrai pas longtemps là-dessus.
Bien avant moi, après moi, d’illustres anciens, de plus jeunes aussi, l’ont vécue ou la vivent au moment où je trace ces lignes.
Que l’on s’en sorte, ou que l’on en crève, l’exil est riche d’enseignements et ne laisse personne indifférent ou identique à sa situation antérieure.
Vous avez connu l’opération « Bayiri » qui évoque en nos consciences la « patrie ».
Cette notion-là nous intéresse en ce sens qu’elle dit à chacun de nous, que la terre aurait quelque chose à voir avec le père et donc l’origine, comme s’il existait entre le peuple et la terre un amour inconditionnel d’ordre filial identique à celui que les parents éprouvent à l’égard de leurs enfants.
Ce sentiment est un sentiment personnel, incommunicable en chacun de nous, que vous ne retrouverez pas sur la « toile ».
La patrie nous aimerait parce qu’elle est le lieu de notre origine.
Une nuance quand même : la terre d’origine que l’on peut qualifier de « patricielle » ou de « matricielle » est celle que l’on quitte à tout jamais ou que les grands-parents, arrière-grands-parents ont quittée par choix ou par contrainte (des Ouédraogo, Sanou, Lompo vivraient au Soudan, au Ghana, en Russie et sont soudanais, etc.)
Ils sont partis sans espoir ou sans volonté de retour.
A contrario, la patrie va être la terre promise pour celui ou celle qui n’y est pas né et qui va choisir à l’âge adulte ou mature, pour avoir avec elle, une relation amoureuse, pour l’épouser (la deuxième, la troisième génération de vietnamiens- boat-people) repartent s’installer partout au pays de Ho Chi Minh.
Les pays qui bordent le golfe de Guinée ont accueilli des Afro-brésiliens comme on le sait.
Le « spectacle » fait de pleurs, de sanglots, des Afro-américains en pèlerinage à Gorée, donne à voir l’ampleur du drame qui fut le leur et aussi le nôtre.
Chacun de vous en connaît tant et tant que je ne ferai pas de dessin.
Mon rapport avec les classiques grecs et latins me rappelle Enée (l’Enéide de Virgile ; Ulysse de Homère).
Mais l’histoire plus ou moins longue rend justice, comme Joseph, vizir de pharaon recevant ses frères affamés…
J’ai un rapport particulier avec la légende d’Ulysse qui s’était assigné le devoir à tout prix de revenir à la maison et retrouver son Ithaque.
Ou plus exactement son « Kadiogo »
Le retour au Bayiri est chargé d’une relation de responsabilité, de maturité à cette terre.
On revient au Bayiri chargé d’une expérience de l’exil, de l’arrachement, c’est-à-dire de longues années de solitude qui nous ont transformés.
Il n’y a pas d’exil doré. C’est la légende, presqu’insultante.
L’exil est une idée importante parce qu’elle a des incidences politiques- au sens premier et noble du terme-.
Revenir s’installer sur une terre après un exil, un arrachement, c’est aussi la conscience de se mettre dans une situation de précarité, de vulnérabilité.
C’est le lot commun de tous.
La rencontre avec cette terre que l’on retrouve ou que l’on découvre, nous oblige moralement car le souvenir de l’exil et de l’arrachement antérieurs aux origines subsiste et y est réactivé.
Les résonnances politiques en sont pour moi évidentes car c’est en cela que consiste le défi.
Tous ceux qui vous ont vu partir, qui ont aménagé-en votre absence- leurs territoires géographiques ou psycho-sociaux, des baronnas, sont dérangés par les « intrus ». Rien ne leur sera épargné.
Et c’est fou ce que des parents et a fortiori ce que des « amis » peuvent tramer et construire des digues de pseudo-protection. Tous les pays sont concernés par ce paradoxe (Gambie, Guinée, Irak, Israël, etc.)
Une étude du PNUD parue dans le Lancet- édition française- d’avril 1992 détaille les obstacles possibles et imaginables dressés sur le chemin des médecins formés en « Occident » et qui rêvent de projet de retour dans leur pays de naissance !
S’installer au Bayiri ou sur la terre promise en s’imaginant un amour inconditionnel réciproque est une erreur.
Le Bayiri, cette terre promise, peut vous rejeter si vous n’êtes pas à la hauteur morale et éthique du temps où vous êtes revenus.
Je suis inquiet, comme ce journaliste Français qui, un soir d’hiver 1976 à 20h, surprit la France entière par un coup de tonnerre : « La France a peur, oui la France a peur » etc.
Oui moi aussi, au Burkina en août 2018, j’ai peur. Ma peur n’est pas fonfée sur un meurtre d’enfant, mais sur une « sortie de route » aux conséquences incalculables.
La contribution de la diaspora burkinabè ne peut se réduire à la création d’un parti politique. Ce n’est pas ce qui manque au Burkina Faso !
Il existe une relation assez forte entre violence, politique et religion. Il n’est pas utile d’en faire la démonstration. La violence politique, les Voltaïques et les Burkinabè l’ont connue. Au Burkina, quoique l’on prétende, nous sommes à 100% de philosophie animiste, tolérante, rassembleuse qui nous protège encore de la violence qui n’a pas de nom et c’est bien comme cela. La politique partisane comme la religion sont des sources potentielles de violence dans les deux situations.
Il y a une tentation permanente de manipulation politique du religieux et une tentation de manipulation des religions pour demander plus de pouvoir à la politique.
C’est la justification de ma peur.
Cette vraie fausse idée va confirmer une autre vraie fausse idée qu’elle n’apporte rien au pays. « Nihil sub sole ».
« Notre tâche à nous autres qui sommes allés à l’école des Blancs, ai-je écrit et dit devant un aréopage d’intellectuels et d’élites français du versant nord-est de la métropole lilloise, franchement hostiles à la discrimination chromatique des personnes, comme je le suis moi-même– est de rapporter à nos concitoyens, au mieux des solutions à leurs problèmes fondamentaux d’ existence ou au moins un début de solution à leur misère en les guidant dans la recherche du bon choix ».
Alors, quelle ne fut pas ma surprise de lire que la « Diaspora » burkinabè très récemment réhabilitée a créé un parti politique !!
Est-ce l’urgence du moment ? Cet acte peut rapidement devenir source de conflit inutile comme je la justifie plus haut. Je ne lui souhaite pas bon vent.
Pour mémoire, le glas du Tocsin a sonné, mais il respire encore, me dit-on.
Sa résurrection n’est pas à l’ordre du jour !
- Koffi Yamgnane, en quittant les ors du Palais Bourbon en ce début du 21e siècle, a sérieusement pensé s’installer dans un palais présidentiel à Lomé mais les crocodiles sacrés lui ont brisé les rêves!
Mon jeune confrère Tchala Kessilé, urologue qui m’accompagnait aux meetings régionaux et internationaux de chirurgie et qui a douté de mon avis de se tenir loin de ces « cercles », où tous les coups sont permis, a, lui aussi, connu un sort aux dernières présidentielles béninoises ; identique à celui de son aîné Lionel Zinsou, qui n’aura pas l’occasion de recevoir son condisciple et ami Laurent Fabius dans un grand gala sur une cité lacustre de Cotonou.
J’ai eu l’occasion de le lui dire de vive voix ce 14 février 2017, lors d’une rencontre fortuite à l’aéroport Orly Ouest.
Nous ne nous connaissions pas auparavant, mais nos identités plurielles et notre intérêt commun pour cette région ouest-africaine (le Conseil de l’Entente de notre adolescence, est encore viable) nous oblige à la communication et au dialogue utiles.
Il ne me connaissait pas et a été souriant et peu disert. Je crois qu’il a apprécié.
Avant-hier, ils sont venus libres, plutôt libérés des chaînes, mais coiffés de chapeaux melon et chaussés de bottes de cuir, pour respirer l’air libre de la côte ouest-africaine qu’ils avaient perdu avec la complicité de leurs congénères.
Puis ils ont écarté les « natives »… Le reste, on n’en parle pas. L’horreur…
Comparaison n’est pas raison. Mais le risque théorique est réel.
Car le monde a changé ; il faut changer de paradigme ; il faut créer le climat propice au « vivre-ensemble » expression française.
Je ne stigmatise point les générations passées ou actuelles de nos pays. Elles ont fait progresser ces pays avec « les moyens du bord » mais « ce n’est pas arrivé » expression burkinabè.
La contribution de la diaspora burkinabè dynamisée sera une addition, voire une multiplication et non une soustraction et encore moins une division !
En exemple, les problèmes de santé et de développement sanitaire ne peuvent avoir un début de solution que dans une intégration républicaine de la fraction Diaspora. La toute première déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale avait un sens profond.
Peu de gens le comprennent, tant il y a la « trouille de » perdre son acquis aveugle !
Le Burkina a besoin de partir sur des bases inclusives solides car la demande de justice et de progrès est immense, pressante. Heureusement, les espoirs sont permis :
– fin des écoles sous paillottes ;
lycées provinciaux, avec internat ;
– attribution de bourses au mérite, même et surtout aux culs terreux dont je suis un exemple ;
– suppression des bourses ministérielles dont le but était de perpétuer la « consanguinité intellectuelle », risque majeur de disparition du génie de notre peuple par extinction de son génie propre j’allais dire- « libéré » !
L’optimisme est partagé par toutes les générations.
Reste la mise en œuvre qui devra tenir compte des aptitudes de transfert de technologie, de connaissances, de savoirs et savoir-faire.
Toutes choses qui manquent cruellement au Burkina. C’est une des tâches principales dévolues à la diaspora.
« ON » dit que l’auteur de ces lignes est fou. Mais qui est fou ? Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison.
On le constate chaque jour dans la rubrique qui lui est dédiée dans « lepays.bf », lecture de premier choix de la diaspora.
15 août 2018
Jean-Gabriel TAOKO