SOMMET DE LA FRANCOPHONIE A MADAGASCAR : De belles résolutions en perspective, mais …
Le 16e sommet de la Francophonie se tiendra à Antananarivo, à Madagascar, les 26 et 27 novembre 2016. Pendant 2 jours, les pays qui ont en partage la langue de Molière auront à cogiter autour du thème suivant : « Croissance partagée et développement responsable : les conditions de la stabilité du monde et de l’espace francophone ». Il n’y a rien à redire sur la pertinence du thème. Car, celui-ci prend en compte de fortes préoccupations non seulement du moment, mais aussi du futur. La croissance partagée et le développement durable, en effet, intègrent cette double préoccupation. A deux jours de l’évènement, la Grande île est en train de faire sa toilette, pour que ses illustres hôtes tombent sous le charme de sa beauté. La traque donc des déchets bat son plein dans la capitale, y compris les « déchets humains », peut-on dire. Il faut entendre par cette dernière expression, les pauvres hères, les malades mentaux, les mendiants et autres sans-abris qui peuplent les carrefours et les rues de la capitale malgache. Indigné par cela, un habitant d’Antananarivo a poussé le coup de gueule suivant : « A cause du sommet de la Francophonie, on cache les pauvres pour donner une belle image de Madagascar aux pays étrangers ». Cet assainissement éhonté n’est pas propre à Madagascar. Il est pratiqué par bien des pays africains, à chaque fois qu’ils reçoivent sur leur sol des hôtes de marque. A chacun d’en tirer la morale qui sied. Cela dit et pour revenir à nos moutons, il est bon de faire un petit cours d’histoire pour mieux appréhender la Francophonie.
La Francophonie a pris une nouvelle dimension politique
En effet, le 20 mars 1970 à Niamey, l’ancêtre de la Francophonie, c’est-à-dire l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), fut portée sur les fonts baptismaux par le poète Léopold Sedar Senghor, ancien président du Sénégal et ses homologues tunisien, Habib Bourguiba, et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le prince Norodom Sihanouk du Cambodge. L’ambition de ces 4 pères fondateurs était de mettre à profit le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples, pour le dialogue permanent des civilisations. Au départ du processus, la philosophie reposait essentiellement sur la langue française. Et l’agrégé de grammaire française, c’est-à-dire Senghor, ne s’en cachait pas. A cet effet, il a dit ceci : « Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française ». Et Senghor, sans aucune gène, a mis tout son génie à célébrer cet « outil merveilleux » qui, selon lui, est apte à exprimer toute la poésie et autres subtilités du monde. C’était l’époque de l’ACCT. Cette structure devenue en 1998 Agence intergouvernementale de la Francophonie, s’est transformée en 2005 en Organisation internationale de la Francophonie (OIF), son appellation actuelle. Dirigée aujourd’hui par la Canadienne d’origine haïtienne, Michaëlle Jean, la Francophonie, sous la houlette de l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, élu Secrétaire général de l’institution à Beyrouth en 2002, a pris une nouvelle dimension politique. A la culture et à l’éducation, domaines originels de la coopération francophone, se sont ajoutées la défense et la promotion de valeurs comme la paix, la démocratie et les droits de l’Homme.
Le thème retenu donne l’opportunité de crever l’abcès
De ce point de vue, l’on peut dire que la Francophonie, qualitativement, a grandi avec l’âge. En effet, si l’OIF s’était exclusivement arc-boutée sur ses domaines originels, à savoir la langue française et la culture, il y a fort à parier que les peuples du continent noir d’où elle tire l’essentiel de ses membres, histoire coloniale oblige, lui auraient réservé un enterrement de première classe. Et la raison est simple. On ne peut pas tirer l’éducation et la culture vers le haut dans un pays dont les populations sont écrasées par les excès des dirigeants et humiliées par la pauvreté. Or, cela est le lot commun de bien des peuples francophones d’Afrique. Il fallait donc que l’OIF déplaçât le curseur sur ce point. Et elle a eu la clairvoyance de le faire, même si quelque part on peut se permettre de lui suggérer qu’elle peut et doit mieux faire. En effet, au nombre des cancres de la démocratie dont le sport favori consiste à cisailler la Constitution de leur pays à leur guise et à embastiller à tour de bras leurs opposants, l’on peut faire le constat que les hommes forts francophones figurent en bonne place. Certes, il arrive de temps à autres que l’OIF élève la voix face à des cas d’abus, mais l’on peut dire qu’elle a rarement posé des actes forts, de manière à dissuader les dictateurs francophones déclarés et tous les présidents de la grande famille qui sont tentés de marcher sur leurs traces. Or, l’avantage d’être en famille, c’est de profiter des grands rendez-vous pour se dire, en toute fraternité, toutes les vérités, surtout celles qui rougissent les yeux. En tout cas, tant que l’OIF ne va pas s’inscrire dans ce paradigme, l’on peut parier que le sommet de Madagascar, comme d’ailleurs tous les sommets qui l’ont précédé, accouchera de belles résolutions, mais celles-ci courent le risque de ne pas être suivies d’effets en matière de gouvernance politique dans l’espace francophone. Pourtant, le thème qui a été retenu à l’occasion de ce 16e sommet, lui donne l’opportunité de crever l’abcès. En effet, on ne peut pas parler des conditions de la stabilité du monde et de l’espace francophone sans traiter en long et en large la question de ces chefs d’Etat africains francophones qui sont convaincus qu’ils ont été désignés par les mânes des ancêtres, pour faire carrière éternellement dans la fonction de président de la République. La probabilité est forte que cette race de présidents fasse le déplacement de la Grande île. Ils le feront d’autant plus qu’ils savent que derrière la Francophonie, il y a de grands bailleurs comme la France et surtout le Canada. L’occasion est donc indiquée pour eux d’aller tendre la sébile pour récolter des subsides. Et en ces temps de vaches maigres, ce n’est pas une chose sur laquelle l’on peut cracher.
« Le Pays »