HomeBaromètreTRANSITION POLITIQUE AU BURKINA : « La décision du FMI impactera celle des autres bailleurs de fonds »

TRANSITION POLITIQUE AU BURKINA : « La décision du FMI impactera celle des autres bailleurs de fonds »


L’auteur du point de vue ci-dessous revient sur la décision du Fonds monétaire international (FMI) de suspendre son acte envers le Burkina. Selon lui, cette décision du FMI sera suivie par d’autres bailleurs de fonds parce que le FMI n’est pas n’importe quel prêteur.

 

Faisant suite à la crise politique ayant abouti à la dissolution du gouvernement, la réaction au niveau international ne s’est pas fait attendre. Après la suspension de l’aide au développement par le Canada le 4 novembre, le jeudi 14 novembre, c’était au tour du FMI de suspendre ses décaissements. Quel est le sens et la portée d’une telle mesure du FMI ? Normale, logique ou pas, qu’importe la raison, de nombreux Burkinabè se posent cette question : le Burkina peut-il se passer des ressources du FMI ? Réponse à travers cette analyse.

Que signifie la décision du FMI ?

Afin de mieux comprendre le sens de cette décision du FMI, qui intervient au moment où les acteurs nationaux sont en train de trouver les solutions durables à cette crise politique, rappelons que le Fonds monétaire international, créé en décembre 1945, a eu une vocation qui a évolué pour devenir, à partir de 1973, essentiellement un instrument d’aide aux pays en développement, avec comme missions principales : la promotion de la stabilité économique, la prévention des crises, sa contribution à leur résolution, la promotion de la croissance et la réduction de la pauvreté.

Pour remplir ses missions, le FMI dispose de trois outils essentiels : la surveillance, l’assistance technique et les prêts. En exemple, dans la lutte contre la pauvreté dans les 185 Etats membres, l’institution intervient soit de façon indépendante, soit en collaboration avec la Banque mondiale, par le biais de prêts ou d’allègements de la dette.

C’est dans cette logique que l’on pourrait comprendre cette décision du FMI qui consiste à mettre provisoirement en attente toutes les décisions de décaissements de ressources (les appuis budgétaires essentiellement et le tirage des DTS) pour abonder directement les caisses de l’Etat. Cette manne financière extérieure venait pallier le faible rendement des systèmes fiscaux qui souffrent à fournir l’ensemble des ressources requises pour couvrir l’ensemble des dépenses de l’Etat.

Cette décision s’expliquerait par le fait qu’au sommet de la pyramide institutionnelle du FMI, se trouve le Conseil des gouverneurs, qui comprend un représentant de chacun des 185 pays membres. Ce représentant par pays membre est le ministre en charge des Finances (la qualité de signature du représentant des pays est un critère clé d’intervention du FMI).

Alors, sans gouvernement et sans le ministre de l’Economie et des finances, point de répondant du FMI au Burkina. Conséquence, toutes les décisions en cours d’exécution (dont celle liée aux emprunts) sont mises en attente mais pas annulées comme certains laissent croire.

Que coûtera cette décision du FMI à l’Etat burkinabè?

Sans connaître le volume exact de décaissement des ressources du FMI restant au titre de l’année 2014, il est certain que ce manque à gagner va compromettre la réalisation de certaines actions et surtout dans le délai. On se rappelle ainsi qu’un besoin de financement de 168 604 412 000 F CFA a été dégagé par le budget de l’Etat gestion 2014 pour un budget en dépenses de 1 833 481 020 000 F CFA. Ce niveau a été remonté à 216 704 720 000 F CFA pour l’année 2015 pour un budget projeté à 1 936 906 195 000 F CFA. Y compris les recettes extraordinaires du budget (toutes d’origines extérieures) et hormis les appuis projets, c’est en moyenne un apport de 29% de ressources extérieures dans les budgets 2014 et 2015. Ces déficits sont généralement et essentiellement financés par les appuis budgétaires, les tirages sur les ressources du FMI et par emprunt obligataire. En termes plus simples, cela revient à dire que l’Etat ne dispose pas de tous les moyens propres pour atteindre ses ambitions de développement affichées pour 2014 et encore moins pour 2015. Alors, il faut recourir à des apporteurs de capitaux auprès de qui peuvent être levés des fonds pour financer ce déficit : les multilatéraux (BAD, FAD, BID, IDA, BIRD FMI…), les bilatéraux (« Club de Paris »…) et les commerciaux.

Mais au titre des décaissements prévus pour le budget 2014, la possibilité est encore donnée au Burkina de négocier le dernier décaissement du fait que l’année fiscale 2014 du FMI va jusqu’à avril 2014. Mais encore faudra-t-il que la 2e revue du FMI qui devait faire le réajustement du cadrage macroéconomique pour 2014 soit réalisée et que celui de 2015 puisse se faire normalement à bonne date. Cette mission qui était en réalisation par des experts du FMI a été « suspendue » aussi par les évènements du 30 et 31 octobre 2014. C’est dire que l’espoir est encore permis.

Pour les financements du budget 2015, il n’y a pas grand-chose qui soit compromis pour l’instant et l’espoir est encore plus fort à ce niveau dans l’hypothèse que les institutions soient remises en place et que surtout un gouverneur du FMI au Burkina, l’interlocuteur directe soit nommé : le ministre de l’Economie et des finances. Il reste que le non- aboutissement de ces décaissements en 2014 va entraîner des conséquences néfastes qui vont se ressentir en 2015 et au-delà, et les objectifs de croissance économique de 6,8% ; 7,2% et 7% respectivement en 2015, 2016 et 2017 pourraient être de simples vœux pieux.

Et si le Burkina se passait du FMI ?

Que ce soit en 2014 ou en 2015 ou dans les années suivantes, l’impact ne se limitera pas seulement à la perte des ressources strictes du FMI. La décision du FMI impactera celle des autres bailleurs de fonds du fait que le FMI n’est pas n’importe quel préteur ou bailleur de fonds.

En effet, le FMI est pour les Etats en voie de développement (Burkina) ce que sont les agences de notation Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch pour les Etats développés (USA, France, Allemagne) ou pour de grandes entreprises. Les agences de notation sont des organismes spécialisés dans l’analyse du risque de défaut d’un emprunteur, qui émettent régulièrement des opinions, sous la forme de notes, sur la capacité de cet emprunteur à faire face, à bonne date, aux échéances de remboursement en intérêt et en capital d’une dette qu’il aura contractée.

Comme dira l’autre, le FMI n’est pas n’importe qui. Son influence est tellement considérable que ses décisions servent également de référence aux autres détenteurs de capitaux. Pour le cas du Burkina, le risque de contagion de leur décision est à craindre. Mais ce rôle apparemment incontournable semble remis en cause. Ils sont ainsi nombreux comme les altermondialistes à formuler des critiques de plus en plus virulentes contre cette institution. On se souvient encore de l’achat de l’avion du président malien (d’une valeur de 29,5 millions d’euros) qui avait entraîné l’indignation du FMI et qui a valu une mise en retard délibérée d’un prêt du FMI au pays. Cela a été perçu comme une ingérence du FMI dans la gestion de l’Etat malien et comme une atteinte à la souveraineté du peuple malien.

S’interroger si oui ou non un pays comme le Burkina peut se passer des ressources du FMI reviendrait à s’interroger s’il peut se passer des financements extérieurs.

Renoncer aux ressources du FMI et de celles de ses compagnons, c’est prendre des décisions impopulaires de réduire toutes les ambitions de croissance et de création d’emplois à la baisse et, dans le meilleure des cas, augmenter la mobilisation des recettes pour contrebalancer les recettes extérieures perdues.

En effet, la faiblesse structurelle de notre économie, fortement exposée aux chocs de l’offre, les déficits structurels du solde courant de la balance des paiements, la fluctuation des prix (mais tendanciellement baissière) des matières premières d’origines agricole et minière amènent à dire que le Burkina comme de nombreux pays ne peut se passer du FMI.

Une solution proposée par certains est de se tourner vers de nouveaux prêteurs que sont les pays émergents d’Asie, d’Amérique latine et des pays du Golfe, qui offrent des financements souvent plus importants que ceux des créanciers traditionnels (BM, FMI, BAD, Club de Paris, pays de l’OCDE), à des conditions non concessionnelles mais plus attractifs pour les pays en développement. Même si c’est une option à ne pas écarter, la boulimie à s’endetter qui en naitra devra être contrôlée afin que le niveau et le rythme d’accroissement de la dette soient soutenables par l’économie du Burkina : que la dette publique ne permette pas trop de facilités aux générations actuelles en faisant peser la charge des remboursements sur les générations futures. L’encours de la dette publique totale (capital et intérêt) est passé de 1 157,7 milliards de F CFA en 2003 à 1 593,8 milliards de F CFA en 2012.

Mais il reviendrait néanmoins aux autorités de trouver des alternatives dans le long terme non pas pour se passer de ces ressources extérieures indispensables, mais pour réduire le besoin de financement et donc réduire le poids de leur contribution dans le financement du développement du Burkina. Cette crise est une opportunité que le pays doit saisir pour davantage assainir nos finances publiques. Cela passerait en toute évidence par l’administration d’une cure d’austérité ou de rigueur budgétaire, la toute première après la « Garangose », cette période où le général Tiemoko Marc Garango, ministre en charge des Finances avait su faire partager des mesures de rééquilibrage des comptes de l’Etat par la réduction des dépenses publiques (ex : réduction du train de vie de l’Etat) et par l’augmentation de recettes propres (instauration de l’IUTS : l’Impôt unique sur le traitement des salaires). La population et les agents de l’Etat doivent instantanément se préparer à une telle cure d’amaigrissement et l’incontournable FMI pourra toujours accompagner dans son rôle de « gendarme de la bonne gestion des finances publiques ».

Mais dans l’urgence, il est important d’arrêter le très probable effet de contagion de cette décision du FMI aux autres bailleurs de fonds en dotant le pays de son gouvernement. Chaque jour qui passe compromet dangereusement et définitivement les chances de décaissement des ressources résiduelles du FMI, voire des ressources extérieures de l’année 2014. Un tel scénario serait douloureux pour la population qui risque d’avoir un réveil très douloureux post-crise politique où la réflexion sur les aspects économiques et financiers tarde à être prise véritablement en compte.

Songue Malgue

 


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