HomeGrand angleTRANSITION POLITIQUE AU BURKINA : L’armée si proche si loin du pouvoir

TRANSITION POLITIQUE AU BURKINA : L’armée si proche si loin du pouvoir


Tant bien que mal, la transition politique est en train de s’organiser au Burkina, après le vide laissé par le départ précipité de Blaise Compaoré du pouvoir. Celui-là même qui voulait un lenga, après 27 ans de règne, a vu son dernier mandat écourté d’un an, pour avoir voulu opérer un passage en force, afin de se maintenir   au pouvoir.

Pendant que l’ex-président rumine sa colère chez ses beaux-parents en Eburnie où il s’est réfugié et qu’il est en train de découvrir qu’il y a bien une vie après le pouvoir, les Burkinabè sont « suspendus aux basques » du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida qui mène la transition depuis lors, et qui a promis de remettre le pouvoir aux civils,  comme réclamé, du reste, par l’ensemble de la classe politique burkinabè et les organisations de la société civile, ainsi que les partenaires au développement.

Tant que le pouvoir ne sera pas   transmis aux civils, le doute subsistera

Au départ, beaucoup se posaient des questions sur les intentions réelles du lieutenant-colonel Zida, car ne voyant pas comment le nouvel homme fort du Burkina  transmettrait le pouvoir aux civils, surtout qu’après la dissolution du gouvernement, il a suspendu la Constitution. Cela a été à l’origine de certaines inquiétudes. Si bien que beaucoup commençaient à trouver le temps long, et certains suspectaient même le lieutenant-colonel Zida de vouloir gagner du temps pour trouver le moyen de confisquer le pouvoir. C’est dans cette optique que l’on pourrait situer la menace de l’Union africaine (UA), qui s’est empressée de donner un ultimatum aux autorités militaires pour remettre le pouvoir aux civils sous quinzaine, sous peine de sanctions. Car l’histoire nous enseigne que bien des militaires parvenus au pouvoir qui, au départ, avaient clamé haut et fort qu’ils ne s’y éterniseraient pas, ont fini par y pousser des racines, à commencer par celui-là même à qui Zida vient de succéder, Blaise Compaoré. Après plus d’un quart de siècle de règne, ce dernier n’était visiblement pas encore prêt à quitter Kosyam. L’on se souvient aussi d’un certain « balayeur balayé » sur les bords de la lagune Ebrié, le Général Robert Guéi, qui, contrairement à ses déclarations de départ, a balayé la maison pour mieux s’y installer. Moussa Dadis Camara en Guinée, n’aura pas agi autrement au pays de Sékou Touré. Toutes choses qui font qu’aujourd’hui, les yeux sont rivés  sur le lieutenant-colonel  Yacouba Isaac Zida au Burkina, pour voir si son attitude marquera une rupture avec les comportements de certains de ses devanciers  qui n’ont pas fait preuve de respect de la parole donnée, bien qu’ils fussent officiers supérieurs de l’Armée.  Il faut l’espérer car la même histoire nous enseigne que certains hommes en kaki ont su tirer leur épingle du jeu, et ont été de très bons exemples  sur le continent, à l’instar du Général Salou Djibo au Niger, du Général Sékouba Konaté en Guinée, du Flight-Lieutenant John Jerry Rawlings au Ghana, etc.

Zida entrera-t-il dans l’Histoire, en respectant la parole donnée? En tout cas, petit à petit, la situation est en train de se décanter au Burkina. Aujourd’hui, l’on voit un peu plus clair dans quelle direction et sous quels auspices la transition va se mettre en place au Faso, et le processus a déjà enregistré des avancées notables qui sont à saluer.  Et si l’on s’en tient à la parole du lieutenant-colonel Zida et aux actes qui ont été posés jusque-là, il y a des raisons de croire qu’il ne déviera pas de sa trajectoire. Mais tant que dans les faits, le pouvoir ne sera pas réellement transmis aux civils, le doute subsistera et sa position restera une équation à plusieurs inconnues, surtout si les choses devaient traîner en longueur.

Le lieutenant-colonel Zida doit se montrer à la hauteur des attentes de ses compatriotes

Toutefois, il convient de saluer l’esprit républicain de l’Armée qui, lors des événements,  a refusé de tirer aveuglément sur la foule, ce qui aurait certainement occasionné des pertes bien plus importantes en vies humaines. Ne serait-ce que sous cet angle, la Grande muette a positivement frappé les esprits. Et elle gagnerait à ne pas détruire le capital de sympathie dont elle jouit jusque-là.

En tout cas, à l’heure actuelle, l’armée burkinabè semble dans une position telle, qu’on a envie de dire qu’elle est  à la fois « si proche et si loin du pouvoir ». De fait, malgré les déclarations rassurantes des militaires, les Burkinabè et toute la communauté internationale attendent de voir si l’Armée jouera le jeu jusqu’au bout, et ne cherchera pas, par des moyens détournés, à conserver le pouvoir, comme par exemple en cas de candidature non-consensuelle. En tant que composante de la société burkinabè, il est « normal » qu’elle ait son candidat, comme l’a du reste annoncé le lieutenant-colonel Zida. Et si la Grande muette s’engage à adhérer à la chartre de la transition selon laquelle celle-ci sera menée par un civil, il n’y a pas de raison de croire que son candidat ne sera pas un civil. La seule question est de savoir si ce dernier aura les coudées franches s’il venait à être l’heureux élu, pour agir en toute indépendance, ou s’il sera l’homme-lige de l’Armée. A ce moment, ce serait l’Armée qui détiendrait, en fait, la réalité du pouvoir. Et si son homme n’était pas retenu, l’Armée tenterait-elle toujours de jouer un grand rôle dans l’ombre ?

En tout cas, les autorités transitoires actuelles auraient tout à gagner, si elles réussissaient  le défi d’un  retour à une vie constitutionnelle normale, en termes de crédibilité, de reconnaissance de la Nation, de notoriété aussi bien sur le plan national qu’international, toutes choses qui pourraient leur ouvrir bien des portes et leur offrir aussi des opportunités.

Toute attitude contraire les exposerait non seulement à   des sanctions de la Communauté internationale, mais pourrait aussi être source d’un regain de tension sur le front sociopolitique au Burkina. A ce moment, cette révolution n’aura pas vraiment servi à grand-chose.

En tout état de cause,   le lieutenant-colonel Zida doit se montrer à la hauteur des attentes de ses compatriotes et des amis du Burkina, en menant à bien sa mission et en installant la transition dans un cadre constitutionnel, comme il l’a promis. C’est en cela qu’il inscrira son nom en lettres d’or, dans l’histoire de ce pays.

 

« Le Pays »


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