HomeA la uneVIOLENCES XENOPHOBES EN AFRIQUE DU SUD : « Le Nigeria est dans son droit de protester », dixit Albert Ouédraogo

VIOLENCES XENOPHOBES EN AFRIQUE DU SUD : « Le Nigeria est dans son droit de protester », dixit Albert Ouédraogo


Ceci est un coup de gueule du Pr Albert Ouédraogo à propos des violences xénophobes en cours en Afrique du Sud. Selon lui, le Nigeria est en droit de protester contre les autorités sud-africaines. Lisez plutôt pour en savoir davantage !

 

L’Afrique est-elle condamnée éternellement à apparaître comme le bon dernier de la classe ? Sans être un partisan de l’afro-pessimisme, on est en droit de se poser des questions sur ce qui se passe depuis quelques années en Afrique du Sud du Président Jacob Zuma. A-t-on la mémoire si courte  et la reconnaissance si légère ? Au temps fort de l’apartheid, les Africains épris de paix, de liberté et de justice, du Nigeria en Algérie, du Kenyan au Mali en passant par le Burkina Faso, des voies se sont élevées pour condamner le régime sanguinaire et raciste de Ian Smith et autre Pieter Willem Botha. Des combattants de la liberté en provenance du continent et d’ailleurs ont même rejoint les maquis pour mener la guérilla contre les forces de répression des régimes de l’apartheid.  Le Burkina du capitaine Thomas Sankara a convoyé, en son temps,  des armes pour les combattants de l’African National Congress (ANC). Lorsqu’après d’âpres luttes assorties d’un embargo et du boycott des produits sud-africains par la quasi-totalité des pays membres de l’OUA, le régime de l’apartheid s’est essoufflé pour finalement s’effondrer, toute l’Afrique a exulté. L’on a fêté la libération de Nelson Mandela qui est apparu comme le nouveau messie du continent. Après vingt-sept années passées dans les geôles de l’apartheid,  l’homme s’est montré grand. Sans rancœur ni rancune, il a mené à bien, à travers un processus de justice transitionnelle fondée sur la Vérité et la réconciliation, une véritable  catharsis collective qui a permis de renouer le fil du dialogue entre, d’une part, les bourreaux et, d’autre part, les victimes. Encore que les bourreaux et les victimes se recrutaient dans chacun des deux camps. Nelson Mandela, et c’est en cela qu’il est profondément entré dans l’Histoire, a su éviter d’implémenter une justice des vainqueurs qui aurait consisté  à blanchir les Noirs et à noircir les Blancs.  Cerise sur le gâteau : après avoir peiné des années durant à libérer son pays du joug de l’apartheid, et contrairement à la pratique de tous les pères fondateurs du continent, une fois au pouvoir, il refusa de briguer un second mandat, alors que les textes l’y autorisaient. Le poids de l’âge ne saurait constituer un alibi, car dans de nombreux pays africains, l’on a vu des présidents qui ont privilégié des mandats renouvelés  jusqu’à ce que la mort les surprenne. De ce point de vue, Mandela restera une icône pour l’éternité, car il a œuvré à faire de l’alternance politique une marque de fabrique de la démocratie sud-africaine.

Thabo Mbéki a chaussé les bottes de l’illustre homme pour continuer à faire de l’Etat sud-africain, une nation arc-en-ciel qui fédère les énergies de toutes les composantes de la société et qui s’ouvre au monde.  Malgré quelques erreurs d’appréciation sur certains défis majeurs du continent et même de l’Afrique du Sud, il aura permis à Jacob Zuma d’hériter d’une Nation prospère et fiable.

Considéré comme un des fleurons les plus sûrs de l’économie africaine, l’Afrique du Sud a attiré de  nombreux migrants en provenance du continent ; aussi bien des pays limitrophes que de pays plus éloignés tels le Nigeria et le Ghana. De nombreux Burkinabè vivent en Afrique du Sud et subissent les violences xénophobes qui se sont emparées, depuis quelques années, de certains Sud-africains. Que la crise économique fasse disjoncter certains Sud-africains paumés et désorientés, soit ! Mais que les autorités sud-africaines trouvent moyen de justifier de telles dérives et de tels crimes, non ! Il est inadmissible, voire indécent,  qu’un ministre sud-africain, toute honte bue, au lieu de compatir et de présenter ses condoléances au Nigeria qui a perdu des dizaines de ses compatriotes, profère des menaces et se croit dans son droit de laisser massacrer des Africains par d’autres Africains, sur le sol d’Afrique. C’est démériter de Nelson Mandela que d’avoir une telle attitude qui tend à prouver que la xénophobie est instrumentalisée en réalité par les nouvelles autorités sud-africaines qui se révèlent incapables de conduire le pays vers des lendemains qui chantent.

Le Nigeria est dans son droit  de protester contre une Afrique du Sud devenue xénophobe  et qui abandonne les ressortissants nigérians et africains à la merci d’escadrons de la mort et de milices instrumentalisées. Félicitation à la grande nation nigerianne qui se préoccupe de ses ressortissants vivant à l’extérieur et qui n’hésite pas à rompre avec l’hypocrisie diplomatique, quand la vie des siens est en cause !  Que dire du Burkina dont des ressortissants probablement figurent sur la liste des morts et disparus ? Non, il ne faut pas espérer entendre une protestation de la part d’autorités pour des ressortissants dont on se soucie si peu et dont la citoyenneté demeure des plus problématiques. La preuve est qu’il a toujours été refusé aux Burkinabè de l’extérieur le droit de vote. Et les différentes promesses faites par-ci, par-là n’engagent que ceux qui y croient.

Nous invitons l’Union Africaine à se saisir du dossier de la montée de la xénophobie en Afrique du Sud afin d’exiger la conduite d’une enquête indépendante pour situer les responsabilités, condamner les coupables et rendre justice aux victimes.  L’Afrique mérite mieux, nous nous devons de combattre l’injustice, la xénophobie et le racisme d’où qu’ils viennent ! Les dirigeants actuels de l’Afrique du Sud sont en train de créer un enfer pire que l’apartheid, aux ressortissants des pays africains qui sont battus et lynchés publiquement. Le Président Nelson Mandela (Prix Nobel de la paix en 1993) doit, en ce moment, se retourner dans sa tombe. Shame on you !

 

Albert OUEDRAOGO

Professeur titulaire de littérature orale africaine

Officier de l’Ordre du Mérite du Ministère de la Justice et de la Promotion des droits humains

 

 

 


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