VISITE DE MACRON EN ALGERIE : Vers la décrispation entre Alger et Paris ?
Sur invitation de son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, le président français, Emmanuel Macron, séjournera le 25 août 2022 en Algérie et ce, pour une visite de 72 heures. Officiellement, l’objectif de ce déplacement au sommet, est de lancer « un nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel » des souverainetés respectives des deux Etats. Dans ce discours enrobé de finesse diplomatique, l’on perçoit très nettement les enjeux du moment qui contraignent les deux pays qui ont rarement manqué l’occasion de s’étriper, à se retrouver pour tisser une nouvelle toile pour leurs relations. Du côté français, l’urgence socio-économique, aujourd’hui, est de faire face à la crise du gaz née de la guerre russo-ukrainienne. La flambée des prix du gaz consécutive aux sanctions occidentales contre le pays de Poutine et, à l’inverse, à la fermeture des vannes gazières en représailles à ces sanctions par la Russie, fait courir la plus grande des menaces sur les pays européens, y compris la France : celle de mourir de froid ou de faim. Même si le porte-monnaie des ménages tient éloigné, pour l’instant, ce péril, il n’en demeure pas moins que celui-ci plane au-dessus des têtes des Occidentaux comme une épée de Damoclès.
De puissants concurrents font aussi les yeux doux à l’Algérie
L’Algérie qui dispose d’immenses réserves de gaz est, dans ce contexte, une alternative importante. Et cela vaut bien qu’Emmanuel Macron qui avait suscité, il y a peu, le courroux des autorités algériennes en accusant le pays de s’être « construit sur une rente mémorielle entretenue par le système politico-militaire », ravale son orgueil de chef d’Etat pour aller chercher le souffle de feu nécessaire à son peuple. Il y avait d’autant plus urgence à le faire que de puissants concurrents font aussi les yeux doux à l’Algérie, en l’occurrence l’ogre chinois vers lequel l’économie du pays s’est largement tournée. L’autre raison majeure qui pourrait expliquer le rapprochement entre Paris et Alger, est, sans doute, la convergence de vues entre les deux capitales sur la question malienne. L’on se souvient que dans la soirée du 31 juillet dernier, le Chef de l’Etat algérien avait appelé les militaires au pouvoir à Bamako, à retourner dans les meilleurs délais, à la légalité et à mettre en application l’Accord d’Alger. « Tant que l’Accord d’Alger ne sera pas appliqué, les problèmes au Mali persisteront », avait-il ajouté. Cette sortie ne faisait qu’apporter de l’eau au moulin du président français dont les prises de position contre la junte malienne, avaient fini par agacer Assimi Goïta et ses compagnons d’armes qui n’ont eu d’autres solutions que de divorcer d’avec la France. Macron retrouve donc, en plus du Niger, un allié africain dans l’imbroglio malien et pas des moindres. L’Algérie, en plus d’avoir un lien ombilical avec certains des groupes djihadistes qui endeuillent les pays sahéliens, partage 1400 km de frontière avec le Mali, et a pris une part active à l’accord de paix signé en 2015 entre la rébellion indépendantiste du Nord et Bamako.
Les grandes nations ne reculent devant aucun obstacle pour défendre leurs intérêts
Le pays d’Abdelmadjid Tebboune devient donc un important point d’appui de la diplomatie française dans un Sahel où le sentiment anti-français est aujourd’hui la chose la plus partagée dans les opinions publiques. Et cela vaut bien le détour d’Emmanuel Macron à Alger d’autant que le Sahel demeure un trésor stratégique et économique pour la France. Du côté algérien, l’on a aussi tout à gagner dans ce rapprochement avec la France avec laquelle le pays est lié par l’histoire et par la géographie. En effet, la France accueille la plus grande des diasporas algériennes et la visite de Macron devrait constituer une occasion pour vider le contentieux des visas qui, récemment, a mis à mal les relations entre les deux pays. Sur le plan économique, la longue crise politique algérienne a mis dans l’impasse l’économie du pays et toutes les occasions sont bonnes pour Abdelmadjid Tebboune, de relancer la machine de la production, de la consommation et de l’emploi. La visite de Macron est aussi et enfin l’occasion, pour l’Algérie, de briser quelque peu l’isolement diplomatique dans lequel le pays s’est installé depuis un certain temps. Cela dit, si cette visite s’inscrit dans une dynamique de partenariat gagnant-gagnant, il n’en demeure pas moins que le président français s’aventure sur un terrain périlleux où la susceptibilité née depuis la colonisation et la guerre d’indépendance de l’Algérie, constitue la principale trappe. Emmanuel Macron sera suivi donc de très près et par l’opinion française et par l’opinion algérienne ; tant les réminiscences du passé sont encore fortes. L’on est donc loin du scénario classique des randonnées du « grand chef blanc » dans ses anciennes colonies pour se poser en donneur de leçons de morale politique ou pour gratifier ses sujets les plus serviables, de quelques gadgets financiers et économiques. L’on a toutes les raisons de le croire en ce sens que les sujets qui fâchent, comme la question des droits de l’Homme dont on sait que le régime algérien s’en soucie comme d’une guigne, ou les relations enflammées avec le voisin marocain, seront sans doute soigneusement évités. Et c’est tout cela qui fait le charme de cette visite dont le reste du continent devrait tirer deux principales leçons. La première est que les grandes nations ne reculent devant aucun obstacle pour défendre leurs intérêts. Et la seconde est que l’indépendance s’assume. Elle ne se défend pas juste dans les discours souverainistes comme on en voit sur le continent.
« Le Pays »