HomeA la uneCELLOU DALEIN DIALLO, homme politique guinéen « L’organisation des élections ne doit pas dépendre des humeurs du président de la République »

CELLOU DALEIN DIALLO, homme politique guinéen « L’organisation des élections ne doit pas dépendre des humeurs du président de la République »


 C’est connu, Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), était à Ouagadougou à l’occasion du 2e congrès ordinaire de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Cet opposant politique guinéen, nous l’avons rencontré lors de son séjour et voilà ce qui ressort des échanges avec lui.

 

« Le Pays » : Dans quel cadre êtes-vous ici au Burkina Faso ?

 

Cellou Dalein Diallo: Je suis venu pendre part au congrès de l’Union pour le progrès et le changement (UPC)  de mon ami et frère, Zéphirin Diabré. C’est un parti libéral qui est proche de l’UFDG. Je suis également  envoyé par l’International libéral dont je suis le vice-président exécutif.

 

 Avez-vous des rapports particuliers avec le Chef de file de l’opposition burkinabè, Zéphirin Diabré, au-delà du fait que vous êtes tous des libéraux ?

 

Depuis longtemps, nous nous rencontrons, nous échangeons et nous nous sommes rendus compte que nous avons des proximités au plan idéologique. Nous  défendons les mêmes valeurs.  Il se trouve, par hasard, que nous sommes tous les deux, chefs de file de l’opposition dans nos pays respectifs.  Il est vice-président du Réseau libéral africain et moi le vice-président de l’International  libéral.  C’est pourquoi il  m’a adressé une invitation et je me suis déplacé pour prendre part au congrès de son parti.

 

A l’inverse, quels sont vos rapports avec l’actuel prédisent du Faso, Roch Marc Christian Kaboré ?

 

C’est un homme que je connais. Mais c’est un homme avec qui  je n’ai pas eu de rapports particuliers, comme Zéphirin Diabré.

 

Est-ce que le courant passait entre vous et l’ancien président burkinabè, Blaise Compaoré, dont d’aucuns disent qu’il a contribué à l’accès au pouvoir d’Alpha Condé ?

 

Le président Blaise Compaoré est un homme courtois. J’avais une bonne relation humaine avec lui.  Il avait été désigné médiateur dans la crise guinéenne. Dans ce cadre, je l’ai rencontré, mais bien avant, j’étais venu comme représentant du Général Conté à son investiture en 2005. Depuis lors, nous entretenions des relations humaines très fortes.

 

Quelles   sont vos relations avec l’actuel ministre des Affaires  étrangères du Burkina Faso, Alpha Barry ?

 

Je connais le ministre Alpha Barry. Il était très proche du Général Sékou Bah  qui était le président de la Transition guinéenne. Il fut très proche du président Alpha Condé. Pendant la Transition, nous nous rencontrions très souvent. Mais depuis un moment, nos relations  sont devenues un peu plus distancées.

 

Comptez-vous rencontrer votre compatriote Moussa Dadis Camara, par ailleurs ancien président de la Guinée en exil au Burkina ?

 

Oui.  Je vais chercher à lui dire bonjour !

 

Comment se porte votre parti politique, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) ?

 

L’UFDG se porte bien et ce, vu les résultats qu’elle a enregistrés lors des précédentes élections communales. Vous l’avez sans doute appris, nous avons fait de bonnes  performances.   Non seulement dans nos fiefs traditionnels, mais aussi  dans  des régions qui étaient jadis considérées comme des  fiefs du parti présidentiel.  C’est ainsi qu’en basse Guinée, nous avons pratiquement été premier dans toutes les circonscriptions. Dans certaines, nous étions   largement  premiers au point que nous  pouvions constituer   les exécutifs  de communes tous seuls, sans  aucune alliance. Dans d’autres, nous étions  également premiers, mais nous avions besoin de faire des alliances pour constituer des exécutifs de ces communes. Malheureusement, comme vous l’avez sans doute appris, nous avons gagné dans les urnes dans beaucoup de communes. Au niveau des  centralisations des résultats,  sur le fait de l’intimidation et parfois, hélas de la corruption, nos résultats ont été falsifiés et les résultats qui ont été  proclamés étaient loin de refléter la  vérité des urnes. C’est pourquoi nous avons refusé d’accepter les résultats proclamés. Nous avons organisé des manifestations pour exiger la publication des vrais résultats issus des urnes et pour lesquels nous avions des preuves  irréfutables parce que nous avions les procès-verbaux (PV) de tous les bureaux  de vote dont nous réclamions  la publication des résultats.

 

D’aucuns disent que vous avez mis beaucoup d’eau dans votre vin à l’issue de votre rencontre avec le chef de l’Etat de la Guinée. Est-ce le cas ?

 

Je ne sais pas ce qu’on appelle mettre de l’eau dans son vin.  J’ai  des revendications légitimes auxquelles je tiens ; et jusqu’à présent, les conseils communaux  ne sont pas installés parce qu’ensemble, nous avons décidé de trouver des solutions  pour satisfaire nos revendications légitimes.   Ma rencontre avec le président,  bien sûr en tant que chef de file de l’Opposition, est dans la loi.  Lorsqu’il y a une crise, lorsqu’il y a un besoin d’échanger sur des questions d’intérêt national, nous devons nous rencontrer. C’est dans ce cadre qu’il m’a adressé une invitation et je suis allé le voir pour lui exposer les problèmes qui font objet de frustration au niveau de l’opposition. Il a pris note et a confié les problèmes au comité du suivi du dialogue politique. Actuellement, nous sommes en train de discuter à ce niveau.

 

 Comptez-vous maintenir ce cap ?

Bien sûr !  C’est mon objectif. J’ai ma vocation qui est  de rassembler et réconcilier les Guinéens ; les rassembler autour des valeurs essentielles. Qu’on soit de l’opposition ou de la mouvance, je pense qu’il y a  des valeurs que nous partageons. Le problème du pouvoir d’Alpha Condé, c’est qu’il ne respecte pas la Constitution. Il ne respecte pas les lois de la République ; il  ne respecte pas les accords politiques. Et çà, c’est un  problème.     Les élections locales, on devait les organiser depuis 2011.  Il a fallu que  l’opposition organise des marches  pacifiques, souvent réprimées dans le sang, pour obtenir ces élections.  L’organisation des élections ne doit  pas dépendre  des humeurs du président de la République.  C’est du domaine de la loi. Les mandats sont   fixés par la Constitution.   Mais il n’aime  pas les élections parce qu’il ne peut pas  gagner une élection transparente en Guinée. C’est cela le problème.  Il a fallu qu’on bataille pendant trois ans avec 57 morts lors des manifestations réprimées dans le sang, pour qu’on ait droit à des élections législatives alors que celles-ci étaient prévues pour mars 2011.  Pour les locales, il a fallu huit ans de bataille alors que  le mandat élu est  déchu depuis  décembre 2010.  Voilà les sources de conflits.  Souvent, on pense que nous sommes violents et que nous aimons les manifestations. Ceux qui le pensent ont tout faux.  D’abord, la manifestation est le dernier recours lorsque tous les autres ont échoué. Surtout que ces manifestations sont souvent réprimées dans le  sang, sans  qu’une enquête ne soit diligentée pour identifier les  auteurs des crimes. Depuis qu’Alpha Condé est au pouvoir,  l’opposition  a perdu 94 militants, tués à bout portant lors des manifestations sans que jamais une commission d’enquête ne  soit mise en place  pour identifier les auteurs des crimes.

 

Que dites-vous à ceux qui vous reprochent de prôner le régionalisme ?

 

Ce n’est pas du tout  vrai. L’UFDG est une force qui effraie tout le monde.  Vous avez suivi les élections en 2010  au premier tour.  Cette force n’est pas perdue. Aujourd’hui, malgré 8 ans de pouvoir, nous sommes toujours  plus forts que le RPG. Alors, il faut nous discréditer, il faut effrayer la population. C’est dans ce cadre qu’une campagne d’intoxication et de dénigrement a été menée surtout entre les deux tours et qui a continué après l’installation d’Alpha Condé au pouvoir pour affaiblir l’UFDG. Mais les Guinéens ont compris aujourd’hui et les résultats des élections communales sont là pour le montrer. Je précise que mon engagement, c’est de rassembler et de réconcilier les Guinéens, instaurer l’Etat de droit, une démocratie apaisée, respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales du citoyen. Le malinké et le peulh sont tous Guinéens.  Et en tant que Guinéens, on doit travailler à promouvoir la fraternité, l’entente entre les fils du pays, faire en sorte qu’il n’y ait plus de discrimination entre les filles et fils du pays, des discriminations basées sur l’appartenance ethnique ou sur la sensibilité politique.  Le citoyen doit être un prince au droit inviolable, quelle que soit sa sensibilité politique ou son appartenance ethnique.

 

 D’aucuns   soupçonnent le président Condé de vouloir briguer un troisième mandat. Pensez-vous qu’il s’agit d’un simple procès d’intention ?

 

Il y a beaucoup de signaux  qui montrent que monsieur  Alpha Condé avait ou a toujours l’intention de   tripatouiller la Constitution pour se maintenir au pouvoir. D’abord, il  a entretenu une ambiguïté. Ensuite, dès qu’on lui pose la question,  il s’énerve.  Il a dit que c’était au peuple de décider au moment venu.  Tout cela indique qu’il y a sans doute des intentions de le faire parce que c’est très simple de répondre à la question : « je respecterai la Constitution   et le moment venu, je passerai le service à celui qui sera élu ».  Le président Mahamadou Issoufou du Niger l’a fait, le président Aziz de la Mauritanie l’a fait, et le président Alassane Ouattara vient d’apporter des  précisions. Je pense qu’il est temps aussi que M. Alpha Condé  précise ses intentions,  parce que le peuple guinéen n’acceptera pas,  naturellement, que la Constitution  soit tripatouillée pour se maintenir au pouvoir.

 

Avez-vous les moyens de l’en empêcher s’il décide de franchir le Rubicon ?

Ce ne sera pas un problème de l’UFDG ou de Cellou Dalein Diallo. Ce sera le problème de toute la Guinée.  Je pense que le peuple du Burkina a donné l’exemple en 2014.

 

 Depuis que la Guinée a renoué avec le processus démocratique, toutes les élections ont été entachées de violences. N’avez-vous pas une part de responsabilité en tant que leader ?

 

Non !  Lorsqu’on revendique son droit, y compris par une manifestation pacifique, on ne provoque pas la violence. C’est la répression dans le sang des militants qui exercent un droit constitutionnel,  qui est la source des violences.  Si le peuple manifeste dans la rue, organise des manifestations et le gouvernement réprime dans le sang ces manifestants, c’est le gouvernement qui est à l’origine du conflit et des violences qui en découlent.

 

Vous êtes toujours un éternel perdant aux élections, à quoi attribuez-vous cela ?

 

A la fraude électorale. C’est pourquoi, maintenant, pendant les élections locales, les militants de l’opposition ont décidé de ne plus accepter de  gagner  par  les urnes  et de  perdre dans la centralisation. La bataille que nous menons actuellement, ce n’est pas uniquement pour  des sièges qu’on récupère dans les  conseils communaux ou de  quartiers dont on va prendre le contrôle ; c’est surtout pour mettre fin à une  pratique qui dévoie complètement la démocratie guinéenne et qui a permis d’installer au pouvoir,  que ce soit le pouvoir législatif, local ou présidentiel,  des  gens qui n’ont pas gagné dans les urnes mais qui ont bénéficié de la fraude organisée  au niveau de la centralisation des votes.

 

Avez-vous espoir que  les auteurs des massacres du 28 septembre 2009 soient jugés ?

 

Oui, je pense.  Ces derniers temps, il y a beaucoup de déclarations, des engagements plus fermes de faire le procès des auteurs de ces crimes odieux. J’espère qu’on va le faire.  C’est possible qu’on instrumentalise ce procès à des fins politiques, parce que  beaucoup soupçonnent Alpha Condé et son gouvernement d’instrumentaliser cette affaire à des fins  politiques. Mais comme la communauté internationale continue de faire pression et les victimes continuent d’exiger la justice, je pense que le gouvernement finira par plier.

 

 Le débat sur l’avenir du Franc CFA devient de plus en plus intense dans les pays qui ont en partage cette monnaie. Quel est votre point de vue sur la question ?

 

Je pense qu’il y a des réformes qui pourraient être faites au niveau du Franc CFA. Le Franc CFA, franc  de l’UEMOA, en ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, est un instrument d’intégration et il faut le reconnaître. Maintenant, la France s’est engagée, à travers les accords de coopération  monétaire, à garantir sa convertibilité moyennant l’engagement des Etats membres de la zone Franc à  mettre en  œuvre une certaine  politique monétaire pour justement favoriser la stabilité de cette monnaie.  Je pense qu’aujourd’hui, il faut  essayer d’améliorer le système. On peut même couper le cordon avec la France si on est à même, et je pense que c’est le cas, de mettre en œuvre une politique monétaire capable de garantir la stabilité de la monnaie.  Je pense qu’il faut avancer au niveau  d’une  monnaie qui peut s’appeler CFA ou autre chose  au niveau de la CEDEAO.  Au niveau de l’UEMOA, on peut mener des réformes pour, peut-être, satisfaire certains économistes qui pensent qu’une monnaie fixe par rapport à l’Euro ne favorise pas la compétitivité des entreprises de la zone et qu’il faut introduire une dose de flexibilité pour tenir compte de l’évolution des monnaies dans le reste du monde.  Je pense qu’au lieu de définir le franc de la Communauté économique  de l’Afrique de l’Ouest à travers l’Euro, on peut le définir par rapport à un panier de monnaies. Et s’il y a des chocs externes très forts, on peut trouver le moyen de procéder à une dévaluation sans que  cela n’affecte vraiment la crédibilité de la  monnaie ou la compétitivité des entreprises. Il faut aussi tenir compte de la structure du commerce extérieur de la zone. Aujourd’hui, la Chine est devenue un partenaire important. Nous importons beaucoup de la Chine et même si  les importations, en dehors des  matières premières, restent faibles, il faut tenir compte de la structure  commerce extérieur pour définir un panier de monnaies qui puissent maintenir non seulement la stabilité de la monnaie, mais aussi la compétitivité des entreprises.

 

Le Burkina vient de rompre avec la Chine-Taïwan pour renouer avec la Chine populaire.  Comment voyez-vous cette nouvelle dynamique impulsée par les autorités burkinabè ?

 

Je ne me prononce pas sur les politiques et sur la diplomatie des gouvernements. Chaque gouvernement est souverain pour faire ses choix. Mais je pense  que la Chine est devenue une grande puissance et sera dans quelques années, la première puissance économique et  peut-être militaire.  Ce n’est pas évident qu’on puisse ignorer cela complètement, compte tenu de la puissance économique et même commerciale de la Chine.

 

Propos recueillis par Issa SIGUIRE

 

 

 

 

 


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