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KAGAME A L’ELYSEE


Macron réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué ?

Hier mercredi, l’homme mince de Kigali était à l’Elysée et cela est en soi un événement. Car, Paul Kagame est certainement le président africain qui connaît le moins les arcanes et les couloirs du Palais de l’Elysée. En effet, l’homme fort de Kigali y a mis les pieds depuis 2011. En cela, il marque la différence avec bien de ses homologues du continent noir, qui semblent avoir un faible pour le siège de la présidence française, si bien que le fait de passer un trimestre sans y mettre les pieds, s’apparente à une éternité. Et l’on peut imaginer les raisons d’une telle assiduité. Certains y vont pour crier famine, d’autres pour s’assurer de l’amitié et du soutien du grand chef des Blancs dans la consolidation de leur pouvoir. Car, il ne faut pas se leurrer, depuis le Général De Gaulle, tous les présidents que l’Afrique noire francophone a connus, savent le risque auquel ils s’exposent en boudant l’Elysée.

La France de Macron est en train de faire les yeux doux au Rwanda

Paul Kagamé est l’un des rares chefs d’Etat qui peuvent se le permettre sans grand dommage. Et pour cause. L’homme, à la tête de ses partisans armés du FPR (Front patriotique rwandais), s’est emparé du pouvoir contre le bon vouloir de Paris. C’était en 1994. Il s’en est suivi un génocide anti-tutsi qu’il a imputé à tort ou à raison à la France de François Mitterrand. Depuis lors, les relations entre les 2 pays ont pris un sérieux coup de froid. Par moments, l’on a craint même une rupture diplomatique entre les deux capitales. Bref, Kigali et Paris se regardaient en chiens de faïence.
L’une des conditions posées par Kagamé pour dissiper les nuages, était que la France reconnaisse officiellement sa part de responsabilité dans le drame que son pays a connu et qu’elle fasse publiquement son mea-culpa. Cet exercice a toujours été refusé par les différents présidents français qui se sont succédé à l’Elysée. Conséquence, Paul Kagamé avait pris ses distances avec Paris, allant jusqu’à tourner le dos à la langue de Molière pour adopter celle de Shakespeare. C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron a accédé au pouvoir en France. Et c’est la première fois qu’il reçoit à l’Elysée, l’homme qui a la dent dure et la rancune tenace contre Paris depuis 1994. La question que l’on peut se poser est de savoir si Macron va réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, c’est-à-dire, réussir à vider le lourd contentieux du passé entre les deux pays et surtout, à amener l’homme fort de Kigali à avoir de meilleurs sentiments vis-à-vis de l’Hexagone. A cette question, il est difficile de répondre de manière catégorique. Ce dont l’on peut être sûr, c’est que la France de Macron est en train de faire les yeux doux au Rwanda. Et l’on peut illustrer cela par les faits suivants. D’abord, il y a la volonté affichée de Paris de traquer sur son sol, les Rwandais soupçonnés par Kigali d’avoir pris une part active dans la survenue du génocide et dans son exécution. Ainsi, des maires rwandais qui avaient trouvé refuge en France après le drame, ont été jugés et condamnés. Et cela n’est pas pour déplaire à Paul Kagame. Loin s’en faut. Ensuite, Emmanuel Macron a invité, hier, les stars de la Tech dont Mark Zuckerberg (Facebook), Satya Nadella (Microsoft), Ginni Rometty (IBM), pour un déjeuner à l’Elysée en compagnie de Paul Kagame. Et ce n’est pas là où s’arrête l’opération de charme.

Macron se gardera d’évoquer les sujets qui fâchent

En effet, la plupart des invités se retrouveront aujourd’hui à Viva Tech à la Porte de Versailles que le président français visitera avec son homologue rwandais. Le dernier fait qui illustre la cour assidue faite au Rwanda par la France, est liée à l’éventuelle candidature de Louise Mushikiwabo, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Cette candidature qui, visiblement, a les faveurs de Paris, semble avoir pour vocation de faire revenir le Rwanda dans la sphère d’influence française. L’on peut ajouter à ces 3 éléments de séduction, le fait que Paul Kagamé est, depuis janvier, le président en exercice de l’Union africaine (UA). A ce titre, il porte deux réformes sur le financement des opérations de maintien de la paix et sur l’UA. La France qui semble à bout de souffle dans le financement de l’opération Barkhane au Sahel, ne cracherait pas sur le fait que l’UA la soulage en supportant en partie l’addition. Et Kagame, en tant que président en exercice de l’institution, qui plus est, défend l’idée selon laquelle l’Afrique doit prendre en charge sa défense, peut y contribuer. Bref, les circonstances font que Paris a plus besoin de Kigali que Kigali de Paris. C’est donc en homme courtisé que Paul Kagame a été reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron. En plus d’être un homme courtisé par Paris, Paul Kagame a réussi le tour de force d’inverser le rapport puissance colonisatrice/pays colonisé en sa faveur pour avoir exploité à fond le génocide dont les Tustsi ont été victimes en 1994 et dans lequel la France a du mal à apporter des preuves de son innocence. Pour toutes ces raisons, Emmanuel Macron se gardera d’évoquer devant Kagame les sujets qui fâchent. L’un d’eux est, de toute évidence, la gouvernance politique de l’homme mince de Kigali. Par courtoisie, Kagame pourra ne pas évoquer à son tour le sujet du génocide.

« Le Pays »


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