HomeRencontreLUTHER YAMEOGO, Directeur Pays de Diakonia A PROPOS DU COUP D’ETAT MANQUE: «Le peuple a une fois de plus démontré sa maturité »

LUTHER YAMEOGO, Directeur Pays de Diakonia A PROPOS DU COUP D’ETAT MANQUE: «Le peuple a une fois de plus démontré sa maturité »


 

Au lendemain de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, ils sont nombreux les partenaires techniques et financiers, les missions diplomatiques, les Organisations non gouvernementales (ONG) qui accompagnent la transition burkinabè. Les uns et les autres ne lésinent pas sur les moyens pour surtout soutenir le processus électoral et est de ces institutions, Diakonia. Cette ONG s’investit énormément pour que ces élections ne soient pas comme les autres, a relevé le directeur pays de Diakonia, Luther Yaméogo. Ce juriste de formation que nous avons rencontré, juste avant le coup d’Etat et après celui-ci, n’a pas hésité à aborder des sujets sur la Transition, les élections, le putsch du 16 septembre 2015 et les raisons qui guident Diakonia à s’investir à fond dans le processus électoral burkinabè.

 

Le Pays : Quelles sont la nature et la provenance des fonds de Diakonia ?

Luther Yaméogo : Diakonia est une Organisation non gouvernementale (ONG) internationale suédoise basée à Stockholm et présente dans 30 pays dans le monde, dont 9 en Afrique. La première source de financement de Diakonia, ce sont les cotisations de ses membres parce qu’elle est une organisation de la société civile suédoise. Historiquement, dans le cadre de ses actions humanitaires, ses membres mobilisaient des fonds pour venir en aide à plusieurs pays qui étaient en détresse dont le Burkina en 1987. Par la suite, Diakonia s’est structurée davantage pour devenir une ONG internationale de développement officiellement reconnue dans les différents pays d’intervention. A ce titre, l’ONG mobilise des fonds sous forme de subventions auprès du gouvernement suédois en sus des contributions de ses membres. Dans son évolution, Diakonia a opéré une déconcentration organisationnelle et une décentralisation présentielle qui lui permettent d’être opérationnelle en Suède, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Afrique.

« Nous avons un portefeuille annuel de près de trois milliards de FCFA »

C’est ce processus de développement stratégique qui a permis l’implantation dans notre pays, d’un Bureau national conduit par un Burkinabè avec des cadres et opérateurs burkinabè et des organisations partenaires et bénéficiaires burkinabè. Cette dimension épouse le postulat selon lequel les acteurs locaux, dès lors qu’ils en ont les capacités, induisent des changements durables suivant des méthodes qu’ils s’approprient. Les programmes des différents pays ont la latitude de mobiliser des fonds au niveau local, régional et international. Diakonia a un portefeuille de partenaires techniques et financiers diversifiés sur la base d’idéaux, de valeurs et de principes partagés. Pour ce qui est du Burkina, nous avons outre l’Ambassade de Suède, l’Union européenne, les Ambassades de Suisse, du Danemark et de France qui soutiennent les actions de développement à travers Diakonia. Nous travaillons donc sur la base de subventions obtenues suivant des sources diversifiées et contributives à des missions de développement.

 

Quelle est la philosophie qui sous-tend Diakonia ?

L’ONG Diakonia s’est assigné pour vision de contribuer à des sociétés justes et équitables dans les pays où elle intervient. Pour le Burkina, l’ONG œuvre pour une société juste où les populations vivront de façon équitable, à l’abri de la misère, de la pauvreté et de la violence. Pour traduire la réalité de cette vision, Diakonia s’est assigné la mission d’infléchir les dynamiques injustes porteuses de violences. Car on sait très bien que l’un des défis du Burkina, c’est de travailler à réduire la pauvreté. Mais, pour réaliser cette mission, celle-ci doit être portée par des valeurs. C’est pour cela que Diakonia travaille à des sociétés justes. Elle travaille à la transparence et à la démocratie comme valeurs. Elle travaille aussi à l’implication de toutes les parties prenantes sociales comme valeurs cardinales de son action dans les pays d’intervention. Diakonia mobilise par la justesse, par le caractère inclusif des actions qu’elle mène ainsi que par les performances qui sont atteintes par son bureau. Diakonia a une forte capacité de mobilisation de fonds. Pour le Burkina, nous avons un portefeuille annuel de près de trois milliards de FCFA pour différents projets au Burkina.

 

Quels sont vos domaines d’activités ?

Pour ce qui est du Burkina, Diakonia intervient dans cinq domaines majeurs. Il s’agit de l’appui à la démocratie, aux droits humains, à la justice économique et sociale, à la gestion des conflits et à la promotion du genre. Ces axes sont liés. De ce fait, Diakonia évalue dans chaque pays les axes qui sont porteurs d’une dynamique de changement, en adéquation avec les politiques nationales les plus prégnantes qui permettent aux acteurs d’être les artisans de leur propre développement. Il faut souligner aussi que l’ONG n’intervient pas elle-même pour porter des actions et des programmes.

« Cette année électorale, nous travaillons avec un portefeuille de 50 OSC »

C’est une organisation qui promeut le “faire-faire”. Les choix de partenariat se font suivant le postulat qu’il vaut mieux apprendre aux populations à pêcher plutôt qu’à leur donner du poisson. De ce fait, l’ONG intervient suivant un modèle de développement appelé “la stratégie du changement“. Le premier principe en est l’identification des parties prenantes locales par processus concurrentiels pour une action de conscientisation, d’information et de communication (axe1). Une fois que ces acteurs sont identifiés, des plans de renforcement de capacités, d’organisation et de mobilisation de ces acteurs sont convenus afin que ces derniers puissent travailler en synergie, en groupes, en réseaux ou en coalitions (axe2). Le troisième niveau est celui de l’influence politique, du plaidoyer et de la promotion de cadres de dialogue entre les acteurs (axe3). La stratégie de changement n’est pas linéaire, mais elle doit être en tout état de cause long-termiste. A titre conjoncturel, des actions adhoc peuvent y contribuer, mais celles – ci doivent in fine renforcer la perspective durable. Car nous recevons parfois beaucoup de sollicitations d’organisations avec des idées ou des projets certes pertinents, mais qui sont limités dans le temps ou par l’opportunité du moment. Nous travaillons avec des projets suivant un horizon qui va de 3 à 5 ans pour être sûrs qu’au bout de 2 ans, nous avons réussi à informer, à mobiliser et à organiser. Et qu’au bout de 3 ans, nous puissions constater des effets. Mieux, qu’au bout de 4 ans nous puissions déjà avoir des résultats qui sont reproductifs et ont induit des changements durables au bout de 5 ans. Cet horizon nous permet alors de les passer à l’échelle et de produire des outils de capitalisation et de partage de bonnes pratiques.

 

A ce jour, combien d’OSC et d’Associations, Diakonia a-t-elle financé au Burkina ?

Diakonia a été reconnu au Burkina en 1987. Ce qui signifie que si on analyse de façon indirecte l’impact que l’action de cette structure a eu au Burkina, ce sont des centaines, voire des milliers d’organisations et de populations comme bénéficiaires. Car, le travail que nous faisons est en phase avec les besoins sociétaux. Mieux, il permet un mieux-être de tous les Burkinabè, même si les cibles prioritaires sont les catégories sociales vulnérables, les femmes, les jeunes et le monde rural. Nous pouvons dire à moyen terme que pour le portefeuille d’action 2012-2015 qui constituait notre programme triennal, Diakonia a travaillé avec 60 Organisations de la société civile, 15 institutions et 16 partenaires horizontaux, notamment d’autres ONG avec qui nous travaillons en synergie ou en réseau pour avoir des résultats agrégés. Ce travail a permis des réformes institutionnelles, des changements organisationnels et des effets locaux considérables. A court terme, cette année étant une année électorale, nous travaillons avec un portefeuille de 50 OSC dont 35 actives en matière de démocratie et de participation électorale.

 

Quelles sont les difficultés que Diakonia rencontre parfois sur le terrain?

Diakonia travaille suivant des mécanismes qui prémunissent contre les menaces et qui garantissent la mitigation des risques au fur et à mesure. Dans notre travail, tous les programmes ont l’obligation de faire une analyse sur les opportunités, les menaces/risques, les forces et les faiblesses. De façon générale, les difficultés sur le terrain sont liées à l’incompréhension de la démocratie elle-même, du mécanisme de la démocratie, de son fonctionnement, du rôle des acteurs. Nous évoluons dans un contexte de pauvreté exacerbée et nous remarquons que les partenaires que nous approchons ou qui viennent vers nous, ne voient Diakonia que comme “partenaire financier“. Diakonia est d’abord une ONG de développement opérant suivant les principes appelés “good partnership/donorship”. Ainsi, nous sommes d’abord un partenaire technique et nous avons, dans notre vision pour le Burkina, indiqué que Diakonia est le partenaire référentiel et préférentiel des OSC au Burkina. Nous privilégions l’appui technique avant l’appui financier. Aucune organisation ne bénéficie uniquement que d’appui financier de la part de Diakonia. Tous nos contrats sont assortis de clauses d’appui technique qui postulent que l’organisation doit pouvoir identifier des axes de renforcement de capacités, ensuite identifier les besoins qui permettent à ces capacités d’être opérationnelles, et c’est ce “gap” que nous finançons le cas échéant. Si vous avez un projet quelconque que vous nous soumettez, nous vous demandons de faire une étude de référence en identifiant le niveau de capacités des populations que vous allez soutenir, la problématique qui se pose dans le domaine dans lequel vous souhaitez intervenir. Une fois que nous avons cette évaluation escomptée, nous travaillons avec vous à identifier ce que l’appui ou l’apport de Diakonia peut permettre d’apporter comme changement. Ensuite nous identifions vos propres capacités en tant que porteur du projet et nous l’inscrivons dans une dynamique de projet qui stipule que vous devez être accompagné techniquement et financièrement. De façon concrète, si vous postulez pour un budget de 100 millions de F CFA, nous allons orienter 70% à l’atteinte des besoins des bénéficiaires ou à la résolution des besoins techniques que vous avez identifiés, et 30% de ce budget ira à votre renforcement professionnel et organisationnel éventuellement.

 

« Il y a un travail à faire pour infléchir les rôles que les acteurs politiques jouent »

Ce qui veut dire que nous allons vous aider à acquérir du matériel roulant, à louer des bâtiments, à former régulièrement votre staff. Mais aussi à participer à des rencontres internationales pour des échanges d’expériences. Ce qui vous permettra d’avoir au bout de trois ans, des résultats satisfaisants et surtout de vous autonomiser car Diakonia accompagne toujours des organisations sur une période qui leur permet de produire des changements durables, mais surtout d’autonomiser les acteurs. C’est ce que nous appelons la capacitation qui est un processus de fertilisation des capacités. La difficulté principale réside donc dans la perception de “bailleurs de fonds” que nous avons. Heureusement, les résultats atteints, la communication citoyenne avec des partenaires comme vous et notre expérience de partenariat permettent de nous positionner comme un acteur référentiel, avec des femmes et hommes qui changent le monde.

 

Quel regard portez-vous sur les acteurs politiques burkinabè ?

En tant que Directeur pays de Diakonia, j’aurais pu alléguer avoir une obligation de réserve vis-à-vis de la politique. Mais aucune organisation ne peut être neutre. Pour nous, la neutralité n’existe pas. Si vous travaillez avec des acteurs qui veulent la justice, vous n’êtes plus neutre. Si vous acceptez de travailler avec des populations qui ont réalisé une insurrection et qui veulent changer le système de gouvernance, vous n’êtes plus neutre. Par contre, notre obligation est de rester indépendant et objectif dans ce que nous faisons, en faisant de sorte que tous les acteurs qui méritent d’être accompagnés soient accompagnés à titre équitable et dans la dynamique de notre vision. Pour répondre spécifiquement à votre question, je dirai que les acteurs politiques burkinabè sont à saluer et à encourager. Car il faut bien avoir du courage pour pouvoir s’engager en politique. Ceux qui ont le courage de le faire sont à féliciter. Cela dit, beaucoup d’acteurs de la scène nationale se contentent de critiquer, de remettre en cause ce que les autres font sans proposer d’alternatives. Quand quelqu’un s’engage en politique, cela veut dire qu’il veut contribuer à un nouveau modèle de société car faire de la politique, c’est travailler pour le bien-être de la cité. Je pense qu’au Burkina, il y a un travail à faire pour infléchir la perception que les citoyens ont de la politique. Il y a aussi un travail à faire pour infléchir les rôles que les acteurs politiques jouent. Les acteurs politiques pensent souvent qu’il faut tout changer pour qu’ils puissent rester les mêmes acteurs et en définitive rien ne change selon la formule du guépard. On peut le remarquer à travers les causes qui ont entraîné l’insurrection populaire. On a constaté qu’en Afrique, il y a même souvent des renouvellements sans renouveau, c’est-à-dire qu’on change la forme mais le contenu ou les acteurs restent les mêmes. Ce qui veut dire qu’on peut changer le nom du parti, du programme ou de titre en étant aujourd’hui ambassadeur, demain président d’institution, après-demain, ministre, etc. Si j’ai un message à l’attention des acteurs politiques burkinabè, c’est de leur demander de cultiver davantage les valeurs en politique. Car la politique est un art. C’est une passion mais elle est d’abord un sacerdoce dans l’intérêt des populations à servir. Nos acteurs politiques gagneraient mieux à être des démocrates par conviction, plutôt que des acteurs politiques par convenance. Les démocrates par conviction, sont ceux qui s’engagent parce qu’ils veulent le bien-être partagé ou l’intérêt général et les démocrates par convenance sont ceux qui suivent les différentes vagues de changement politico-institutionnel et juridique. A ce titre, nous devons saluer les initiatives qui visent au renforcement des partis politiques, à l’introduction d’un système ouvert où toutes les voix comptent, où tous les projets de société remplacent les démagogies et promesses électorales. L’actualité politique offre des perspectives intéressantes à ce niveau d’autant plus que le Burkina Faso a désormais un système ouvert qui succède au verrouillage de l’ère précédent.

 

Comment une ONG comme Diakonia dénonce-t-elle les présidents qui veulent s’éterniser au pouvoir ?

L’intervention de Diakonia à ce niveau peut se faire de deux façons. La première en est que Diakonia, étant une ONG internationale, peut s’engager au niveau international pour changer des structures injustes. Ensuite, en tant que partenaire technique des organisations qui interviennent dans un pays, elle les accompagne surtout à travers l’évocation d’expériences similaires des autres pays. Nous sommes par exemple au Mozambique, au Mali, en RDC et au Kenya. Les meilleures expériences sont partagées avec nos partenaires locaux. S’il y a un incident dans un pays, les mauvaises expériences sont partagées avec les autres pour qu’ils ne tombent pas dans les

mêmes travers.

 

« Comment les putschistes ont-ils osé? »

Donc, nous avons la possibilité de dénoncer les choses dans ce sens-là. Pour induire le changement, Diakonia peut doter des organisations qui s’y engagent, en moyens techniques et financiers mais aussi en partage de bonnes pratiques. Car, nous assumons chaque fois l’accompagnement que nous faisons et nous évaluons les organisations que nous accompagnons sur la base de leur adhésion à nos valeurs. Le portefeuille des 50 organisations que nous avons en 2015 est composé d’organisations qui ont adhéré aux valeurs de Diakonia et qui sont engagées de façon juste et équitable à accompagner le développement durable dans une vision partagée. Ceci dit, la limitation des mandats est une valeur cardinale en phase avec l’essence même de la démocratie. La rotation des élites est une condition d’accélération du développement car l’usure est nocive et enfin, le respect de la règle de droit est un principe sacro-saint, si l’on veut des Etats civilisés et des sociétés organisées.

 

Donc l’expérience de l’insurrection populaire peut être partagée avec tout le monde ?

Absolument ! Ce travail a même commencé. Diakonia a été la première ONG à lancer dès Novembre 2014 un programme d’action prioritaire proactive au profit des acteurs burkinabè. Dans le cadre de ce programme, nous avons permis aux acteurs locaux, la documentation et la capitalisation de la mémoire institutionnelle de l’insurrection populaire. Diakonia a soutenu l’Association SEMFILMS et le CNPNZ (Centre national de presse Norbert Zongo) par exemple pour la réalisation du film intitulé « Les dix jours qui ont précédé la chute de l’ancien président Blaise Compaoré » et la rédaction d’un dossier de presse en deux tomes sur l’insurrection populaire. Diakonia a également accompagné un travail de recherches avec certaines OSC dont le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP), l’association des femmes juristes du Burkina (AFJB), le REN-LAC, le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), sur le rôle des femmes, des jeunes, des acteurs et des politiques publiques qui ont contribué à l’avènement de l’insurrection populaire. L’ONG a fait aussi des recherches avec le Mouvement burkinabè pour le développement et le civisme (MBDC) sur le rôle des réseaux sociaux. C’est cet exercice de capitalisation qui permettra au Burkina d’éviter l’amnésie collective. Nous allons donc travailler pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Nous allons travailler à ce que les meilleurs pratiques qui se sont produites au Burkina puissent servir d’exemples à d’autres démocraties en Afrique.

Comment avez-vous vécu et accueilli ce coup d’Etat manqué ?

Vous me permettrez dans un premier temps une pensée pour les personnes qui ont sacrifié leur vie pour la restauration de la démocratie, de porter un encouragement aux blessés et aux familles des martyrs. Ensuite, il convient de souligner haut et fort qu’il y a bel et bien eu coup d’Etat puisqu’il a été proclamé et consommé avant d’être rabroué par le peuple burkinabè. Ceci dit, la réaction du peuple burkinabè confirme à souhait que cette initiative d’un anachronisme avéré nous a rappelé que la démocratie est faite d’acquis qui doivent être sauvegardés par une vigilance à tous égards. Beaucoup de commentaires et d’analyses ont été faits sur ce coup d’Etat mais ce qu’il convient de retenir comme leçons apprises, c’est que le peuple a une fois de plus démontré sa maturité. Il a opérationnalisé le slogan “plus rien ne sera comme avant”, il a confirmé que les actions de conscientisation, d’éducation aux droits humains et de formation ont mis du temps mais ont résulté. La démocratie étant le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple, les Burkinabè ont montré que cette définition revêt un sens concret et cette dynamique restera propédeutique, didactique et pédagogique autant pour la science que pour les consciences citoyennes.

Comment, selon-vous, la transition a-t-elle pu se laisser surprendre par ce coup de force alors que le RSP s’était déjà manifesté plusieurs fois? 

La question mérite d’être posée mais je dirais plutôt comment les putschistes ont-ils osé? Car j’ai la ferme conviction que tous les observateurs avisés ont noté dans les matrices de risques la probabilité de “bruits de bottes” après les deux premières tentatives, mais j’assumerai également que ces mêmes acteurs se sont dit : “ils n’oseront pas”, étant donné que les mobiles avancés semblaient désuets puisque par exemple “les personnalités déclarées inéligibles avaient déjà pris acte des décisions du Conseil Constitutionnel” et que la proposition de la CRNR (Commission de réconciliation nationale et des réformes) comportait un agenda processuel pour le démantèlement du RSP. La Transition, ce ne sont pas seulement les autorités en place mais c’est l’ensemble des citoyens burkinabè. C’est pourquoi il convient de mettre l’accent sur la réaction appropriée qui a été apportée à tous les niveaux. Un sentiment de destin commun, de fibre patriotique et de “burkindi” semble en reconstitution et cela participera à la déconstruction du système précédent, à la désobstruction psychologique vis-à-vis de ses mythes et à la reconstruction des valeurs démocratiques. Ce processus doit se poursuivre car la dynamique du changement n’est jamais linéaire. D’autres épreuves pourraient subvenir mais avec le peuple comme rempart, elles seront surmontées. En mandarin (langue chinoise, NDLR), la crise est étymologiquement définie comme “opportunité” et c’est le cas pour cet épisode douloureux que notre pays a connu, mais qui ouvre de nouvelles fenêtres consolidantes pour la démocratie.

« Les politiques et les acteurs politiques naviguent souvent dans le marigot politique au gré des informations »

Pouvons-nous penser que cet intermède dû aux putschistes va jouer sur votre soutien au processus électoral?  

Comme je viens de le souligner, cette étape de notre marche irréversible vers la démocratie ne devrait nullement rasséréner les ardeurs des démocrates mais plutôt les décupler. Avec l’appui de nos partenaires techniques et financiers et l’engagement de l’ensemble des parties prenantes, le processus doit être consolidé et nous sommes davantage motivés à jouer notre partition. Le retour progressif à la normalité institutionnelle nous offre, malgré les sacrifices consentis (victimes et dégâts collatéraux), l’occasion de refondation de la démocratie autour de l’unité nationale et de la démilitarisation de notre processus démocratique dans lequel l’armée s’est invitée depuis 1966. Ce défi est plus complexe à relever qu’il n’y paraît, mais les élections démocratiques à venir nous en offrent une trame d’incubation majeure. Assurément, toutes choses concourent à confirmer qu’il s’agira d’élections “pas comme les autres“. Deux préoccupations a priori ambivalentes sont à concilier ; à savoir un report unilatéral et injustifié des élections ou toute autre initiative visant à prolonger, sans fondement légitime, la Transition ; et une fixation exclusive sur le processus électoral et une précipitation vers la tenue des élections dans des conditions sécuritaires, judiciaires et politiques inadéquates. Il s’agit donc, ici, de réussir l’organisation des élections couplées avant la fin de l’année 2015 à tout le moins, tout en adoptant des réformes permettant que les résultats de ces élections soient “incontestables” et consolident la démocratie à travers des acteurs représentatifs. Des scenarii techniques démontrent, si les conditions sont réunies, que les élections pourraient se tenir le 15 novembre pour le premier tour et être bouclées avec la probabilité d’un second tour et l’apurement du contentieux éventuel autour du 23 décembre 2015. Ce scénario reste purement technique et n’engage personne.

Le Président du Faso a d’ailleurs souligné que les signataires de la Charte se réuniront bientôt pour en décider et nous restons convaincus que les décisions idoines seront prises dans ce cadre de dialogue participatif portant orientation de la Transition.

Quel est votre regard sur la presse burkinabè ?

La presse burkinabè est un acteur cardinal. Les politiques et les acteurs politiques naviguent souvent dans le marigot politique au gré des informations ou manipulent souvent l’information pour faire illusion quant à leurs réalisations, et la presse y joue un rôle. Malgré les difficultés qu’elle traverse, la presse burkinabè a su rester un acteur majeur de la promotion de la démocratie au Burkina. Dans l’histoire du Burkina, la presse a toujours été avant-gardiste, elle a toujours été celle qui a tiré la sonnette d’alarme. Elle a toujours été celle qui a contribué non seulement à la culture des Burkinabè, mais aussi à l’évocation des grands problèmes politiques qui ont jalonné l’histoire politique du Burkina. A titre d’exemple, pendant l’insurrection populaire, la presse a joué un rôle clé, au-delà des traditions tribunitiennes. Car, elle a été un facteur de convergence de l’information. Il y a encore beaucoup à faire pour soutenir la presse nationale.   Il convient ici de saluer l’ensemble des initiatives en cours pour consolider son professionnalisme, notamment les lois adoptées en sa faveur, la subvention annuelle majorée et la reconnaissance de nouveaux acteurs sur l’échiquier de l’information et de la communication tels la presse en ligne et les publicitaires. Toutefois, un rendez-vous majeur a peut-être été raté, à suivre l’analyse des acteurs eux-mêmes, avec le maintien de sanctions pécuniaires assez considérables dans le texte sur la dépénalisation des délits de presse. Il est vrai que ces sanctions sont dissuasives et il revient donc aux acteurs de presse, en toute responsabilité, d’éviter par exemple la diffamation pour que cette sanction ne s’applique pas. Ceux qui seront professionnels et responsables n’ont pas à craindre des mentions de sanctions dans une loi, mais peut-être est-ce leur niveau salé? Mais je dis aussi, que si la sanction avait été uniquement symbolique, un signal fort aurait été donné pour que la presse elle-même prenne davantage de responsabilités en matière d’auto contrôle et de mécanismes d’évaluation par les pairs. Le principe cardinal devant être celui de la responsabilité, il aurait fallu peut-être leur laisser le libre choix de réguler cette responsabilité mais d’autres facteurs doivent également être considérés. Qu’à cela ne tienne, je retiens qu’il faut féliciter l’ensemble des acteurs pour le dialogue qui prévaut et qui révèle des acquis fondamentaux que seul le travail professionnel de la presse et des médias va contribuer à consolider. Cette loi étant votée, il appartiendra aux acteurs de nous démontrer que des cas ne tomberont pas sous le coup des sanctions prévues, quel que soit leur degré.

 

La presse est-elle un domaine que Diakonia peut financer ?

Les médias en général sont un partenaire référentiel de Diakonia. Depuis que Diakonia a commencé à travailler, il y a toujours eu des organes de presse qui ont contribué soit pour partager l’information, soit pour les campagnes de sensibilisation ou d’information. La presse est aussi partenaire pour l’information et le plaidoyer. Diakonia accompagne depuis une longue période le Centre national de presse Norbert Zongo. Il a accompagné techniquement et financièrement le MBDHP à travers son programme Radio liberté. Diakonia accompagne la télévision nationale depuis l’insurrection populaire pour des programmes qui sont en adéquation avec la réalité du Burkina. Dans le cadre des élections, nous travaillons avec l’Union nationale de l’audiovisuel libre du Faso (UNALFA) pour le renforcement des capacités des journalistes en matière d’éthique et de déontologie pour la couverture médiatique des élections. Nous lancerons très bientôt, avec nos partenaires parmi lesquels la presse et les médias, un instrument de mesure du respect des engagements des politiciens pendant la campagne électorale et de la mise en oeuvre de leur déclaration politique, à l’image du “Mackymètre” au Sénégal, que nous baptiserons “Présimètre” et nous aurons aussi un nouveau projet appelé “TIC et Démocratie” dans lequel la presse et les médias auront un rôle clé.

« La CODEL a la possibilité de publier indépendamment aussi des résultats alternatifs »

 

Combien Diakonia a-t-elle investi jusque-là dans l’organisation du scrutin du 11 octobre ?

Depuis l’insurrection populaire, Diakonia a mis en place un Programme d’actions prioritaires proactives en abrégé PAPP. Diakonia a évalué les réalisations qui ont été faites dans ce premier PAPP. Sur cette base, il a lancé un nouveau PAPE, le Programme d’appui au processus électoral. Ce programme est doté d’une enveloppe financière de 2,5 milliards de F CFA, mais réparti sur trois axes pour ce qui concerne des élections couplées législatives et présidentielle avec la possibilité d’aller à un second tour sans oublier les élections locales. Ce programme est dédié directement à la transparence, à la régularité des élections et à la participation citoyenne. Les actions qui sont déjà en œuvre sont constituées de cinq volets. Le premier volet c’est l’éducation au vote. Dans ce volet, Diakonia a accompagné un certain nombre d’organisations qui ont fait le monitoring de la révision du fichier électoral. Nous avons accompagné les campagnes de la CENI suivant un regard citoyen. La seconde action en cours est l’éducation au vote avant les élections. Pour ce portefeuille, plus de 20 organisations ont été identifiées et sont sur le terrain en train de sensibiliser les citoyens sur comment il faut voter, pourquoi il faut voter, mais certainement pas pour qui il faut voter. Ces campagnes d’éducation et de sensibilisation vont s’intensifier à l’occasion des campagnes électorales et il y aura des affiches, des appels à la paix, au dialogue, au respect des résultats du scrutin. Il y a aussi trois actions fortes qui seront aussi menées au cours de ce scrutin. Il s’agit de la lutte contre la fraude électorale. Sur ce segment, nous avons le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) qui est en train de travailler en tandem avec l’ASCE pour une campagne intitulée « Tolérance zéro pour la corruption électorale ». Le troisième axe du Programme d’appui au processus électoral (PAPE) est le renforcement des capacités. A ce titre, nous travaillons à former les différents acteurs de la société civile. Nous avons aussi un appui à certaines institutions dont le ministère de la communication, le Conseil national de la Transition (CNT). Le renforcement des capacités doit permettre à des acteurs d’opérationnaliser ce qu’ils ont appris. Pour ce qui est de l’acte 4 de notre PAPE, nous avons l’observation des élections. Sur ce volet, nous accompagnons la formation des observateurs pour les élections. Au nombre de        5 000, ces observateurs sont mobilisés par les OSC pour couvrir l’ensemble du territoire national. Car, en matière électorale, l’observation utilitaire est une mesure qualitative pour mesurer les dysfonctionnements du processus afin de pouvoir les corriger en temps réel. Mais l’observation électorale n’est pas efficace quand elle se résume à la quantité. C’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif répondant à trois critères. Un critère géostratégique, un critère thématique et un critère de spécialisation. Ce qui fait que la mission d’observation électorale nationale sera renforcée par une coalition que nous accompagnons avec le NDI, appelée la Coalition des Organisations de la société civile pour l’observation domestique des élections (CODEL). Cette coalition va donc porter le portefeuille d’actions liées à la mutualisation des actions de la société civile pour une observation des élections. Il y aura trois composantes. La première est que toutes ces organisations vont faire un déploiement groupé. Elles vont renforcer les capacités des observateurs sur les mêmes modules et sur les mêmes actions qui seront mises en œuvre pour des élections réussies. La deuxième composante est révolutionnaire parce que, pour la première fois au Burkina, nous aurons l’utilisation des Technologies de l’information et de la communication (TIC) pour l’observation des élections. C’est pour cela que le nombre des observateurs est limité pour utiliser plutôt la qualité que la quantité. Tous les observateurs seront dotés de téléphones portables. Il y aura une configuration pour que ces observateurs puissent envoyer gratuitement des SMS à partir de leurs téléphones portables. Ces informations seront enregistrées sur une plateforme déjà active qui est www.burkinavote.com. Sur cette plateforme, le jour des élections, toutes les irrégularités en matière d’élections vont être transmises par ces observateurs. Une équipe de veille constituée de 50 opérateurs va les recevoir en temps réel. Puis, elle les transmettra à une chambre constituée d’experts électoraux. Ces experts électoraux vont proposer à la chambre des décisions de la CODEL, les mécanismes qu’il faut prendre immédiatement pour remédier à ces dysfonctionnements. La CENI aura un mécanisme responsif vis-à-vis de la CODEL, à travers la disponibilisation des commissaires régionaux et des équipes d’experts pour que les dysfonctionnements soient résolus en temps réel. C’est tous ces mécanismes qui constituent le dispositif de veille des élections ou en anglais « Electoral situation room ». Les critères sont les irrégularités en matière électorale, la prise en compte de la participation des jeunes et des femmes dans le processus électoral, la prévention et la gestion des conflits électoraux. Par ailleurs, nous avons un partenariat avec le Réseau ouest africain pour l’édification de la paix, le WANEP, qui a déjà lancé une plateforme grâce à laquelle, nous savons déjà des zones à haut risque pour les élections à venir. Aussi, un mécanisme d’anticipation et de proactivité a été mis en place pour éviter des rapports classiques que nous avons l’habitude d’avoir à la fin du scrutin. Puisque la formule générale, c’est de dire que les élections se sont bien déroulées et que malgré l’observation d’irrégularités de forme, celles-ci ne sont pas à mesure de remettre en cause la qualité du scrutin et mieux, que le processus s’est bien déroulé. Cette fois-ci, nous n’aurons pas ce genre de rapport dans la mesure où il y a une plateforme qui nous permet de suivre en temps réel les irrégularités. Parmi les 5 000 observateurs, la CODEL en a spécialisé 1 200 qui seront dotés de smartphones à haute capacité. Ils vont utiliser des emails, des images, des informations en temps réel pour alimenter une base de données qui est installée sur le www.burkinavote.com dont l’accès est strictement limité à des administrateurs. En plus des correctifs apportés par la CENI et les décideurs sur les irrégularités, la plate forme a une seconde valeur ajoutée. Le lendemain de la publication des résultats par la CENI, la CODEL a la possibilité de publier indépendamment aussi des résultats alternatifs. Ce qui permettra aux partis politiques et aux différents candidats d’avoir un recours contentieux pacifique basé non seulement sur les résultats qu’ils ont, mais aussi sur les résultats de la CENI et de la CODEL. Des campagnes dans les jours à venir seront initiées pour expliquer le mécanisme aux partis politiques et aux candidats. Nous avons utilisé ce mécanisme qui a été une réussite au Nigeria, au Mali, au Mozambique, au Kenya et au Sénégal.

Pourquoi les ONG, en particulier Diakonia, s’intéressent-elles tant aux élections burkinabè ?

Je dirai que les élections ont une triple fonction. Il y a la légitimation parce que dans un régime démocratique, il faut régulièrement interroger les citoyens sur leur adhésion au mandat qu’ils ont donné aux politiques. A ce niveau, la question qu’on pose aux électeurs chaque fois qu’il y a une élection est : « Est-ce que vous me renouvelez votre confiance ou bien vous voulez changer ? ». Ensuite, nous avons une fonction ludique qui amène tous les citoyens à participer à l’exercice de la démocratie et enfin, les politiques disent que les élections ont une fonction de renouvellement de la classe politique. C’est ce qui explique pourquoi les ONG s’intéressent aux élections en tant qu’école de la démocratie, en tant que mécanisme d’expérimentation des avantages de la démocratie et qui ouvrent des fenêtres d’opportunités pour l’ancrage de la démocratie.

Que pourront représenter les élections au Burkina en matière de promotion de la démocratie dans le monde?

Le Burkina est à une phase historique et le président de la CENI aime à dire que « le monde entier nous regarde ». Les élections au Burkina vont entraîner des dizaines, des centaines voire des milliers d’observateurs internationaux. Toutes les missions d’observations, les agences qui interviennent dans les élections dans le monde sont intéressées à venir au Burkina pour le scrutin. Il y a un indice qui existe au niveau des agences actives en matière électorale qui a inscrit le Burkina comme pays prioritaire non pas parce qu’il y aura un chaos, mais à cause de la forte charge pédagogique des élections du pays. Les élections du Burkina doivent réussir parce qu’elles doivent corroborer un processus de responsabilisation des populations qui ont elles-mêmes sanctionné un pouvoir qui a verrouillé le système pendant 27 ans et qui ont décidé que les choses ne doivent plus être comme avant. Nous estimons à Diakonia que, « les élections au Burkina seront des élections pas comme les autres » et celles-ci auront trois significations principales. Elles doivent être andragogiques, incontestables et le troisième sens constitue la réconciliation comme dit Laurent Bado, « du Faso et du Burkina » en disant que le Faso est notre terre et le Burkina est le symbole de notre intégrité. Il dit que quand le Faso va se réconcilier avec son Burkindi, nous pourrons être fiers de porter à nouveau le nom Burkina Faso. Ces élections sont porteuses de valeurs et celles-ci doivent pouvoir être exemplaires pour nous-mêmes, pour le reste des pays africains et le reste du monde. C’est en cela que nous lançons encore une fois un appel à la responsabilité de tous les acteurs parce que chacun a une partition à jouer, que ce soit les médias, les partis politiques, les organisations de la société civile, les ONG, le gouvernement de la transition, le CNT, les autorités juridiques et judiciaires, les institutions traditionnelles et régaliennes pour la préservation des valeurs constitutives de notre vivre-ensemble.

Quel regard portez-vous sur le déroulement de la Transition ?

On ne peut pas faire maintenant le bilan de la transition puisqu’elle court jusqu’à la fin des élections qui constituent l’indicateur principal de la réussite de la Transition. Mais, il serait également incongru de dire que les élections sont le seul mandat de la transition sinon tous les 25 Ministères auraient été destinés à cela. Dès le début de celle-ci, nous avons perçu un triple mandat qui était dans un premier temps de réconcilier les Burkinabè entre eux en termes de capacités d’inculquer de nouvelles valeurs pour montrer que des choses positives sont possibles. Elle a réussi à impulser des dynamiques qui restent à renforcer. Le second mandat était d’opérer des réformes profondes puisque dans toutes les transitions au monde, elles ont toujours été l’occasion de le faire au niveau institutionnel, organisationnel et citoyen. Au Burkina, nous sommes heureux de constater qu’il y a la Commission de réconciliation nationale et des réformes mais, ces réformes qui viendront en fin de transition ne pourront peut-être pas avoir l’adhésion et l’onction populaires qui auraient été souhaitables pour leur opérationnalisation après la transition. Les élections, pour nous, constituent tout simplement le point d’achèvement de la Transition parce qu’elles seront une autre étape charnière entre la fin de la transition et la consolidation de la démocratie et c’est pour cela que notre programme s’appelle, «Transition apaisée pour une démocratie consolidée ». Nous estimons que ce triple mandat de la Transition doit pouvoir nous conduire au passage « de la transitologie à la consolidologie ». La transitologie, c’est l’exaltation des valeurs mais la consolidologie, c’est leur implémentation, c’est à dire arriver à l’expérimenter et le faire de façon durable. Je vais imager pour dire que cette Transition que nous vivons ressemble un peu, pour ceux qui ont lu la Bible, à ce qu’on appelle, “la sortie d’Egypte” où il y a une traversée du désert pour atteindre la terre promise. Cette transition que nous vivons a été jalonnée de plusieurs phases avec les trois premiers mois qui ont été une phase d’euphorie et d’optimisme béat et tous les citoyens ont cru que tout était possible puisqu’on voulait tout, tout de suite et maintenant. Mais, les autorités de la Transition, après quelques tergiversations somme toute compréhensibles, ont pu expliquer que tout ne pouvait pas être réalisé sous la transition. Il y a eu ensuite le bilan des six mois de la transition où les citoyens ont exprimé un désappointement et des désillusions parce qu’ils ont estimé que certains dossiers judiciaires n’ont pas eu l’aboutissement souhaité, que des réformes tardent à se mettre en place et que la Transition n’a pas de boussole concrète en termes de feuille de route. Ces plaintes justifiées étaient en voie de s’estomper au fur et à mesure de l’approche des élections quand survint le coup d’Etat. L’épreuve du coup d’Etat est l’une des résistances au changement dans la trajectoire vers la “terre promise”. Nous pensons que l’aboutissement de la transition nous permettra d’y arriver, malgré toutes les péripéties qui l’ont jalonnée, en ayant de l’optimisme. Le vrai bilan se fera au soir des élections et consacrera cette dynamique en trois phases : de l’euphorie à un optimisme mesuré en passant par le désenchantement.

« Le dialogue va s’installer durablement et permettra de manière participative à tous les acteurs de s’exprimer »

Quel commentaire faites-vous du jugement du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel est d’abord l’instance judiciaire qui intervient en dernier ressort dans ses domaines de compétence et ses décisions sont insusceptibles de recours. Tout commentaire sur le sujet a peut-être une vocation andragogique, d’enseignement ou de cas jurisprudentiel pour des cas similaires qui arriveraient à se poser. Le Conseil constitutionnel n’a fait que suivre le droit positif qui est le droit en vigueur dans un pays, à un moment donné.

Que pensez-vous de l’exclusion de certains caciques de l’ex-majorité des prochaines élections ?

Il convient de noter sur ce sujet que le terme exact dans les textes et autres décisions, c’est l’inéligibilité.

Il y a un jeu politicien quand on évoque les termes d’inclusion ou d’exclusion qui sont à géométrie sémantique variable. La question fondamentale, c’est encore une fois l’imputabilité politique et la responsabilité des acteurs et c’est la redevabilité socio-économique. Les lois en vigueur dans un pays et les principes de fonctionnement de la démocratie veulent que pour une élection, il y ait des acteurs admis à la compétition sur la base de règles et d’autres comme électeurs. En prenant l’exemple du code électoral, celui-ci dit qu’il y a des cas d’inéligibilité et si le Juge constate ces cas, il faut éviter que ce soit le voleur qui crie au voleur. C’est peut-être de bonne guerre, mais je pense qu’il n’y a pas d’exclusion au sens que les acteurs politiques veulent lui donner, si l’on prend simplement en compte que les signataires de la Charte sont représentatifs des composantes socio- politiques, que le CNT est à composition participative et que les partis politiques exercent. Il y a simplement une application des normes juridiques et judiciaires et il faut saluer le fait que tous ces acteurs aient choisi en dernier ressort de s’en tenir aux décisions judiciaires. Il est souhaitable que tous les acteurs, ensemble, puissent participer aux élections et je pense que c’est le cas puisqu’aucun parti politique ne s’est vu retirer son droit de prendre part aux élections. Tous les citoyens qui remplissent les critères pourront prendre part aux élections et tous les acteurs et ingrédients sont réunis pour des élections qui, je le dis, seront inclusives puisque tous les acteurs sont concernés. Maintenant, s’il y a des exclusions liées à des personnes/individus, c’est un terme normal puisque cela se fait sur des critères préalablement énumérés et le nier serait ce qu’on appelle en droit, « se prévaloir de sa propre turpitude ». Toute compétition a des règles, comme le football par exemple, où il y a des cartons jaunes et des cartons rouges qui permettent de garantir l’équité et la justice. Je pense que les acteurs le comprenant, le dialogue va s’installer durablement et permettra de manière participative à tous les acteurs de s’exprimer en respectant le prescrit de la règle de droit. En politique, si c’est de cela qu’il s’agit, la noblesse de la complétion réside dans le fait de reconnaître l’opérationnalité des règles (dura lex sed lex) mais aussi d’avoir une culture démocratique et un sens élevé de citoyenneté qui postule qu’on peut gagner, perdre mais se respecter et poursuivre sa contribution dans un cadre républicain, quelles que soient les postures de tenant du pouvoir ou d’opposant (c’est le fair-play politique). Les défaites d’aujourd’hui préparent de futures victoires et pour ce faire, il faut savoir se remettre en cause, avoir l’humilité de reconnaître ses erreurs et les assumer. Les mécanismes de pardon ne réussissent que dans un triptyque de Vérité et de Justice qui précède la Réconciliation. Toute autre démarche est folklorique. La reculturation politique passera par cette acceptation de la règle de droit. Elle sera processuelle, basée sur un dialogue sincère et non le monologue parallèle. Et en cela, j’estime qu’il faut faire confiance aux Autorités de la Transition qui, mesurant les risques, resteront des facilitateurs de ce processus de manière impartiale et en toute responsabilité. Le dialogue n’est pas seulement un momentum mais un processus qui intègre le maintien du cap vers les élections prévues dont la conduite transparente sera un acquis pour la perpétuation de la réconciliation nationale.

Qu’est-ce que vous auriez aimé dire que nous n’ayons pas pu aborder ?

Je voudrais reconnaître et saluer avec votre permission, tous les lecteurs du quotidien “Le Pays” et l’engagement citoyen de tous les Burkinabè. Le Burkina et l’ensemble de ses citoyens nous ont montré et démontré à souhait qu’on peut passer de l’indignation à l’engagement citoyen et de la colère à l’implication citoyenne de manière responsable. Pour concrétiser cette colère et cette indignation que les Burkinabè ont manifestées lors de l’insurrection, le meilleur moyen est de participer activement aux élections. C’est aller voter en son âme et conscience pour le ou les candidats de son choix mais, c’est aussi travailler à préserver un climat de sérénité pour que ces élections restent des élections historiques comme on le souhaite. Il faut aussi saluer le sursaut d’orgueil des Burkinabè parce qu’il y a un penseur qui dit que, « la pauvreté de l’Afrique, c’est l’ignorance de ses richesses ». Aujourd’hui, le Burkina est certes classé comme un pays pauvre suivant les indicateurs socio- économiques mais, on voit qu’il est riche de sa jeunesse, de ses femmes vaillantes, de sa presse dynamique, de ses médias professionnels et de son burkindi. Je note avec satisfaction, depuis les récents évènements, que tous les Burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur sont enclins à la démarche de pardon et de réconciliation dès lors que Vérité et Justice auront été faites de manière équitable.

Tous les acteurs, par la mise en étendard de l’intérêt général et de notre communauté de destin, ont chacun un rôle à jouer et chacun devra faire son examen de conscience, assumer sa part de responsabilité et se consacrer avec humilité à la préservation de nos valeurs communes que des opinions politiques, mûes par des intérêts égoïstes, ne sauraient désaxer.

Ces valeurs doivent être portées et montrées à l’échelle nationale et internationale et le Burkina doit maintenir le cap parce qu’il agrège les trois “I” du développement démocratique que sont “I” comme Intelligence stratégique, “I” comme Inventivité et “I” comme Intégrité. Ainsi, le Burkina osera inventer son propre avenir suivant une trajectoire éclairée vers le développement durable. Le génie créateur de ses filles et fils nous permet d’y croire plus que jamais.

Interview réalisée par Antoine Battiono

 Qui est Luther Yaméogo ?

 

Juriste de formation, né le 23 octobre 1974, Luther Yaméogo est titulaire d’un DEA en droits fondamentaux, option relations internationales, Expert en Stratégie, prospective et management des organisations internationales et en développement institutionnel. Auteur de travaux de recherche sur la société civile en Afrique, la gouvernance démocratique et l’ingénierie de la capacitation. Luther Yaméogo est aujourd’hui directeur pays de Diakonia. Leader et expérimenté dans l’implémentation d’institutions de gouvernance en Afrique de l’Ouest, de l’Est et dans les grands lacs, Luther Yaméogo est diplômé des Universités de Montpellier, Bordeaux, Paris Nanterre et Auditeur de l’académie de la Haye, des programmes d’échanges du département d’état américain, de la Coopération Suisse, du British Council, de l’institut international pour la démocratie de Stockholm et Pretoria et de DANIDA.

 

 

 

 


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