HomeA la uneMAMAN SAMBO SIDIKOU, SECRETAIRE PERMANENT DU G5 SAHEL« Il serait inexact de considérer que le G5 Sahel ne constitue pas une valeur ajoutée »

MAMAN SAMBO SIDIKOU, SECRETAIRE PERMANENT DU G5 SAHEL« Il serait inexact de considérer que le G5 Sahel ne constitue pas une valeur ajoutée »


 

Il s’appelle Maman Sambo Sidikou. De nationalité nigérienne, il a fréquenté plusieurs universités en Espagne, au Sénégal et aux Etats-Unis. En tant que diplomate, il a parcouru l’Afrique et le reste du monde et ce, au gré des missions à la demande de son pays ou encore pour le compte de l’Union Africaine et des Nations Unies. Aujourd’hui, il occupe le poste de Secrétaire Permanent du G5 Sahel. Nous l’avons rencontré lors de son séjour à Ouagadougou, à l’occasion du sommet extraordinaire du G5 Sahel. Voici ce qu’il nous a dit !

« Le Pays » : Le Burkina Faso vient d’abriter un sommet extraordinaire du G5 Sahel. Quels ont été les enjeux de cette réunion et le rôle joué par le Secrétariat Permanent du G5 Sahel ?

Maman Sambo Sidikou : La Chancelière allemande, SE Madame Angela Merkel, a été ce mercredi 1er mai, l’invitée spéciale du Sommet extraordinaire du G5 Sahel tenu à Ouagadougou. Cette rencontre à huis clos a permis à nos cinq chefs d’Etat et à leur hôte de marque, de faire le point sur la coopération G5 Sahel et Allemagne et plus généralement, sur le soutien international au bénéfice de l’espace G5 Sahel qui est, comme nous le vivons tous, en proie à une crise multidimensionnelle de plus en plus préoccupante. L’Allemagne constitue pour nous un partenaire  stratégique comme l’a rappelé le Président du Faso, Président en exercice du G5 Sahel, SEM Roch Marc Christian Kaboré. Nous sommes heureux des annonces qui ont été faites à la suite de ce sommet, notamment l’apport financier supplémentaire de l’Allemagne au profit du G5 Sahel ainsi que l’engagement de la Chancelière à intensifier les efforts diplomatiques en vue d’une mobilisation internationale plus conséquente dans la région. Nous sommes pleinement satisfaits des résultats de ce sommet, qui avait pour enjeu majeur de renforcer le partenariat avec l’Allemagne, de nous assurer de son soutien concret dans la bataille que le G5 Sahel mène sur les deux fronts au cœur de sa vocation et de son action : la sécurité et le développement. Le Secrétariat Permanent du G5 Sahel a contribué aux préparatifs de ce Sommet, sous la direction de la présidence en exercice assurée actuellement par le Burkina Faso. Il s’agit ici incontestablement d’un succès de la diplomatie agissante du Burkina Faso à la tête du G5 Sahel.

Comment se passe la collaboration entre le Secrétaire Permanent et le Président en exercice du G5 Sahel ?

C’est une excellente relation. Je connais bien le Président du Faso, une personnalité remarquable qui tient à faire progresser davantage le G5 Sahel au cours de sa présidence en exercice. Nos rapports sont très cordiaux et particulièrement axés sur les résultats à atteindre le plus rapidement possible afin de répondre au mieux aux préoccupations légitimes de nos populations. Dans le cadre de la présidence en exercice du G5 Sahel, le travail se fait donc sous l’impulsion du Président du Faso et en étroite collaboration entre le Secrétariat Permanent du G5 Sahel et les ministères clés concernés, dont le Ministère de l’Economie, le Ministre Lassané Kaboré assumant la Présidence du Conseil des Ministres du G5 Sahel, ses collègues Alpha Barry des Affaires étrangères et Chérif Sy de la Défense Nationale pour ne citer que ces quelques noms. Tout est bien huilé et le travail d’équipe se poursuit dans de bonnes conditions.

« Les promesses faites ne suivent pas toujours au rythme souhaité »

Certains observateurs estiment que le G5 Sahel fait seulement dans le discours et qu’il n’apporte pas grand-chose dans la lutte actuelle contre les terroristes dans les pays qui le composent. Que leur répondez-vous ?

Nous devons garder à l’esprit que le G5 Sahel est une jeune organisation (sa création date de 2014) avec pour vocation de servir de cadre sous- régional de mutualisation des moyens entre ses cinq pays membres en vue de relever ensemble, avec le soutien des partenaires et amis, leurs énormes défis en matière de sécurité et de développement. Dans un contexte de plus en plus difficile sur ces deux volets d’intervention eu égard à la crise qui se complexifie, tenant compte aussi des moyens limités de nos Etats, il est illusoire d’attendre des résultats spectaculaires à brève échéance comme il serait inexact de considérer que le G5 Sahel ne constitue pas une valeur ajoutée pertinente dans la recherche des solutions pour le bien-être et la sécurité de nos populations. En effet, depuis sa création et malgré plusieurs écueils, nous pouvons dire que le G5 Sahel progresse notablement dans ses deux volets d’intervention que sont donc la Sécurité et le Développement. Face à l’urgence de la situation sécuritaire, notre organisation a mis en place depuis 2017 une Force militaire spéciale de 5000 soldats, dénommée « Force Conjointe du G5 Sahel » (FC-G5S). Certes, la FC-G5S n’est pas encore totalement opérationnelle. Toutefois, elle a déjà mené plus d’une dizaine d’opérations sur le terrain dont six récemment, entre janvier et avril 2019. Les retards dans son opérationnalisation sont essentiellement en matière d’équipements adaptés et de soutien financier notamment de nos partenaires. Les promesses faites ne suivent pas toujours au rythme souhaité. Il en a d’ailleurs été question lors du Sommet extraordinaire de ce mercredi.

« La dernière évaluation faite le mois passé, situe le potentiel opérationnel général de la Force Conjointe à 75%, ce qui est conforme à nos standards »

Sur le plan opérationnel, quelles sont les missions du G5 Sahel ?

Le G5 Sahel œuvre selon le fameux nexus «Sécurité et Développement». Dans cette optique, un document de référence dénommé « Stratégie de Développement et de Sécurité » (SDS) a alors été élaboré entre 2014 et 2016 afin de servir de base de travail, de boussole du G5 Sahel sur plusieurs années. A son niveau opérationnel, la SDS se décline en Programme triennal d’Investissements Prioritaires (PIP) dont la première phase couvre les années 2019-2021. Les activités du G5 Sahel se concentrent essentiellement sur quatre axes d’intervention : Défense et Sécurité ; Gouvernance ; Résilience et développement humain ainsi qu’Infrastructures. Ce travail se fait dans une optique d’intégration sous-régionale, avec une attention spéciale pour les zones transfrontalières souvent marginalisées. Plus concrètement, afin de mieux informer l’opinion sur les avancées du G5 Sahel. Sachez que tout en œuvrant à la pleine opérationnalisation de la Force conjointe, le G5 Sahel s’active aussi sur le volet de la lutte contre la pauvreté et du développement durable de la sous-région. C’est dans ce cadre que nous avons organisé, en décembre dernier avec succès à Nouakchott, la Conférence de coordination des partenaires et bailleurs de fonds du G5 Sahel pour le financement du Programme d’Investissements Prioritaires du G5 Sahel (PIP), dans sa première phase couvrant la période 2019-2021. Des promesses de financement de plus de 2,3 milliards d’euros ont été enregistrées. Nous espérons que la phase de mobilisation de ces fonds sera la plus courte possible tant il est vrai que nos populations sont de plus en plus nombreuses à désespérer d’un possible avenir socioéconomique meilleur dans la zone sahélienne. Ce désarroi inquiétant et croissant, surtout au sein de la jeunesse, sert de terrain fertile pour les « manipulateurs et autres marchands d’illusions et de la mort » qui en profitent pour entraîner plusieurs de nos enfants sur le chemin de l’extrémisme et du terrorisme ou encore sur celui périlleux de l’immigration clandestine. Aussi, conscient de l’urgence de la situation, parallèlement à la mobilisation autour du PIP, le Sommet des Chefs d’Etat du G5 Sahel tenu en juillet 2018, a décidé de la mise en œuvre d’un Programme de développement d’urgence (PDU). Ce programme est déjà en cours, il a été finalisé avec à la clé le bouclage de son financement par la contribution des membres de l’Alliance Sahel et de l’Union européenne. Du bilan fait la semaine passée sur la mise en œuvre du PDU, il est ressorti des motifs réels de satisfaction, considérant notamment les projets déjà entamés dont ceux reliés à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en Mauritanie (région des Hodhs) et au Niger (régions de Tahoua et Tillaberi), ou encore le projet dit des « trois frontières » (Mali-Burkina-Niger) dans le domaine agropastoral. Mentionnons aussi qu’au Tchad, la mobilisation est forte pour apporter rapidement une réponse adaptée à la situation préoccupante dans la région du Kanem en terme d’accès à l’eau, grâce notamment au soutien de l’Union européenne. De plus, les composantes « résilience et cohésion sociale » du PDU seront au cœur des projets prochainement à exécuter dans cette partie du Tchad particulièrement. Je tiens à préciser que notre priorité dans l’action de lutte contre la pauvreté et en matière de développement durable s’articule principalement autour du soutien aux jeunes et aux femmes, conscients que nous sommes de l’impérieuse nécessité d’appuyer les efforts de résilience de ces deux catégories de la population particulièrement vulnérables. En effet, les jeunes et les femmes sont au cœur des enjeux de cohésion et de stabilité de nos sociétés en profondes crises et mutations et le défi démographique illustre bien ces enjeux : dans moins de quinze ans, la population de l’espace G5 Sahel augmentera de 60% ! Avec quelles infrastructures, quels moyens des Etats, quelles conditions sanitaires et de formation appropriées gérer une telle donne ? Nous sommes conscients de cette situation très délicate et nous œuvrons afin de relever ces défis colossaux.

A quel stade se trouve l’opérationnalisation de la force conjointe du G5 Sahel ?

La dernière évaluation faite le mois passé, situe le potentiel opérationnel général de la Force Conjointe à 75%, ce qui est conforme à nos standards tels que définis dans le Concept d’opérations stratégique (CONOPS). Cette estimation ne prend pas en compte les déficits importants actuels en terme d’équipements notamment.

Quelles sont les contraintes actuelles auxquelles fait face cette force ?

Il s’agit particulièrement des retards, comme je viens de l’évoquer, dans l’équipement approprié de nos troupes, des difficultés dans leur approvisionnement aussi et plus généralement, la lenteur de la mise à disposition des fonds promis pour soutenir la pleine opérationnalisation de la FC-G5S.

Pensez-vous que l’on parviendra un jour à rendre véritablement opérationnelle la force conjointe G5 Sahel au regard des différentes difficultés ?

Je suis un optimiste de nature. La longue expérience acquise sur des théâtres des plus variés, m’a toujours poussé à ne jamais céder au défaitisme. Nous sommes tenus de réussir, nos populations attendent de nous du concret et, en matière de lutte contre l’insécurité et le terrorisme notamment, la Force conjointe doit et va jouer son rôle de manière plus convaincante au fur et à mesure que les difficultés de son opérationnalisation seront réglées. C’est un engagement dicté par le sens de responsabilité et, rassurez-vous, tous nos chefs d’Etat sont pleinement mobilisés afin de parvenir rapidement à des résultats. Au niveau du Secrétariat Permanent, en étroite collaboration avec le Commandement militaire de la Force conjointe, nous travaillons dans ce sens.
L’ONU accepte finalement de soutenir le G5 Sahel à travers la MINUSMA, sur le plan de l’alimentation, du transport des troupes et du carburant.

Quel impact ce soutien aurait-il sur le fonctionnement de la force conjointe ?

Nous bénéficions certes d’un appui de la MINUSMA, mais celui-ci demeure circonscrit au territoire malien. Hors, cela ne concerne que 2 bataillons sur les 7 qui composent la FC-G5S. Vous comprenez donc que nous tenions à la révision de cet accord dit «Arrangement technique» avec les Nations Unies. Nous sommes sur la bonne voie et, prochainement, grâce notamment au soutien diplomatique de nos partenaires dont l’Allemagne et la France, et à la totale mobilisation de l’Union Africaine, nous espérons obtenir un appui plus adapté de la part des Nations Unies et, à terme, l’opérationnalisation optimale de la Force conjointe. Ceci facilitera la multiplication de ses interventions sur le terrain dans tout son champ opérationnel divisé en trois fuseaux (Fuseau Centre : Niger-Burkina-Mali / Fuseau Est : Niger-Tchad / Fuseau Ouest : Mali-Mauritanie).

Propos recueillis par Michel NANA

 

Bio express de l’Ambassadeur Maman S. Sidikou

Nommé par les chefs d’Etat du G5 Sahel au cours du Sommet tenu à Niamey, au Niger, le 6 février 2018, l’ambassadeur Maman Sambo Sidikou assume actuellement les fonctions de secrétaire permanent du G5 Sahel. Avant ce poste, monsieur Sidikou a été le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la République démocratique du Congo (RDC) et chef de la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) d’octobre 2015 à la fin janvier 2018.  Entre 2014 et 2015, l’ambassadeur Sidikou fut représentant spécial du président de la Commission de l’Union africaine pour la Somalie et chef de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). De manière générale, monsieur Sidikou possède une riche expérience en matière diplomatique au sein de la fonction publique tant nationale qu’internationale. Il compte en effet à son actif plus de 25 années d’activités à des hautes fonctions notamment dans le cadre des Nations unies et de l’Union africaine. L’ambassadeur Sidikou a aussi occupé depuis 1976 plusieurs postes importants au service de son pays, notamment en qualité d’ambassadeur du Niger aux Etats-Unis (2011 à 2014), de directeur de cabinet du chef de l’Etat avec rang de Ministre en 1999 et, entre 1997 et 1999, de ministre des Affaires étrangères et de l’intégration africaine du Niger. Il fut aussi directeur de cabinet du Premier ministre et directeur de la Télévision nationale au sein du ministère de l’Information.


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