HomeA la uneSIAKA COULIBALY, POLITOLOGUE « Ce n’est pas la Constitution qui est responsable des troubles mais plutôt la qualité de la classe politique »

SIAKA COULIBALY, POLITOLOGUE « Ce n’est pas la Constitution qui est responsable des troubles mais plutôt la qualité de la classe politique »


 

En marge du 7e congrès mondial contre la peine de mort, tenu du 26 février au 1er mars dernier à Bruxelles en Belgique, le ministre de la Justice, René Bagoro, a révélé que la nouvelle Constitution sera adoptée par la voie parlementaire. Ce qui relance le débat entre ceux qui épousent cette option et le camp de ceux qui tiennent à un référendum. Nous avons rencontré le politologue Siaka Coulibaly qui s’exprime sur les différentes implications de ces deux options.

« Le Pays » : Y a-t-il urgence pour le Burkina d’aller vers une nouvelle Constituante ?

Siaka Coulibaly : Vous avez utilisé abusivement le terme Constituante à la place de Constitution. La Constituante est l’assemblée chargée d’élaborer et éventuellement d’adopter une Constitution. Pour l’appliquer à notre contexte, le Conseil national de la transition (CNT) aurait pu être mieux formé qu’il ne l’a été, et aurait dû être une Constituante. L’un des principaux arguments contre une éventuelle adoption d’une Constitution qui aurait l’appellation, comme le voudraient certains, « cinquième République », c’est le moment où devrait intervenir cette adoption. La réponse à votre question est bien connue, il n’y a aucune urgence à passer à une cinquième République, du moment où le peuple voit bien aujourd’hui que ce n’est pas la Constitution qui est responsable des troubles mais plutôt la qualité de la classe politique et que la situation actuelle relève directement de la majorité qui détient et exerce le pouvoir politique. Le peuple ne se sent pas très concerné par le besoin d’une nouvelle Constitution dont l’utilité n’existe que pour un groupe de politiciens. Cette Constitution de 1991 a toujours besoin d’améliorations, mais il est indispensable que les évolutions constitutionnelles correspondent au moment du peuple, comme, fort à propos, le verrouillage de la modification du mandat présidentiel.

Certaines informations font dire au ministre Bagoro que la nouvelle Constitution sera adoptée par voie parlementaire. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

La Constitution du 2 juin 1991 n’ayant pas prévu de procédure d’adoption d’une nouvelle Constitution, et les exemples similaires étant inexistants, l’on est bien obligé de ne retenir que la pratique en matière de nouvelle Constitution. Cette pratique, notamment au Burkina Faso, a produit des Constitutions nouvelles après des ruptures brutales de l’ordre constitutionnel préexistant, en particulier après des coups d’Etat militaires. La Transition politique de 2015 était une occasion semblable à un coup d’Etat avec une brève suspension de la Constitution, l’adoption d’une Charte organisant les principaux pouvoirs politiques, etc. Par calcul politicien, l’adoption de la Constitution de la cinquième République a été différée et maintenant, cette adoption est problématique.
Une fois que l’ordre constitutionnel a été rétabli entièrement avec les élections de 2015 et 2016, une nouvelle Constitution doit obligatoirement respecter certaines conditions minimales. On ne pourra justifier un passage à une nouvelle république, la cinquième en l’occurrence, que si cette nouvelle Constitution, d’abord, est adoptée par référendum à une majorité significative, au moins 60%, et ensuite, que le modèle d’organisation des pouvoirs soit différent de celui de la Constitution actuelle qui consacre un régime semi-présidentiel. Si on veut faire du départ de Blaise Compaoré du pouvoir un jalon de l’histoire politique du Burkina Faso en faisant prendre au pays une autre direction de gouvernance politique, économique et sociale, une cinquième république peut être justifiée. Si on veut modifier l’organisation des pouvoirs en passant au parlementarisme, une cinquième république peut être justifiée. Dans ce cas, il aurait fallu apporter des modifications de fond dans la Constitution et la faire adopter massivement par le peuple. Mais, à froid, et par voie parlementaire, on aura juste modifié la Constitution comme cela l’a déjà été plusieurs fois, point barre. Si d’aventure, l’idée de l’adoption par voie parlementaire est mise en pratique et la Constitution modifiée, seuls ceux qui ont un intérêt matérialiste à cette opération, l’appelleront Constitution de la cinquième République. Je me contenterai, pour mon humble part, de l’appeler Constitution de la quatrième République révisée.

Quels sont les risques en adoptant la Constitution par voie parlementaire ?

Les risques d’une adoption par voie parlementaire sont d’abord la possibilité de faire passer des clauses qui ne seraient jamais passées si le peuple, par référendum, devait se prononcer sur la Constitution. Il est relativement plus facile de réunir l’adhésion d’une majorité simple à l’Assemblée nationale pour adopter n’importe quel texte de loi. Le second risque est un principe cash. Une Constitution adoptée par voie parlementaire aura, pour son application, une faible adhésion du peuple, surtout si certains principes ne conviennent pas à beaucoup de Burkinabè. Cela ouvrirait la voie à toutes sortes de postures de défiance. C’est là même le lit de ce qui est appelé incivisme.

D’aucuns estiment que la priorité actuelle du Burkina est la lutte contre l’insécurité qui nécessite beaucoup de moyens. Est-ce un argument solide ?

Cet argument n’est plus valable dès qu’on parle de l’adoption par voie parlementaire, puisqu’elle ne coûterait quasiment rien, en comparaison à l’organisation d’un référendum pour adopter la « nouvelle » Constitution. L’argument financier apporte même de l’eau au moulin de ceux qui veulent l’adoption par voie parlementaire.

La nouvelle Constitution interdit la peine de mort alors que nous sommes dans un contexte sécuritaire où apparaissent de grands criminels. N’y voyez-vous pas un déphasage ?

L’abolition de la peine de mort est devenue maintenant une valeur universelle qui a intégré les règles des relations internationales et surtout la conditionnalité de l’aide publique au développement. Les pays bénéficiaires de cette aide sont plus ou moins explicitement contraints d’abolir la peine de mort. On a vu le Burkina Faso pressionné pendant longtemps pour franchir ce cap. Au regard de la situation sécuritaire, il suffit d’adapter le droit national aux nouvelles criminalités pour les prendre en charge. Vous savez bien que dans certains pays comme l’Italie et certains Etats américains, un criminel peut être condamné à des peines de prison dépassant 100 ans ; c’est comme cela que les cas de terrorisme des années quatre-vingt avec Carlos Ramirez, les brigades rouges, la bande à Baader, etc., ont été traités. Il est vrai que la grande tendance au Burkina Faso était le maintien de la peine de mort pendant longtemps. Il me semble que le gouvernement, dans son obsession à faire revenir François Compaoré au Burkina Faso, s’est fait avoir par la France, pays d’origine de la suppression de la peine de mort, sans non plus atteindre son objectif.

Amnesty international redoute un « affaiblissement des libertés «avec la révision annoncée du Code pénal. Qu’en dites-vous ?

Cette organisation internationale vient confirmer ce que nous disions depuis au moins 2017. Sous couvert de lutte contre l’incivisme ou le terrorisme, on a assisté, au Burkina Faso, à de sérieuses atteintes aux libertés d’expression et d’opinion. L’emprisonnement de Naïm Touré a été une violation de la liberté d’expression. Le parquet a dû « trouver » des charges curieuses pour le jeter en geôle. Le projet de pénalisation des expressions sur les actes de terrorisme qui était en préparation, est encore une violation des principes universels des droits humains qui rétrécirait, s’il était adopté, les libertés civiles et politiques au Burkina Faso. Les dérapages langagiers comme les injures et calomnies dont les réseaux sociaux sont souvent le siège, sont une problématique de la vie publique et pas seulement au Burkina Faso. Le Congrès américain a bien voulu légiférer sur ce problème, de même que le gouvernement Macron en France. A bien y regarder, toutes les dérives d’expression sont le fait de faux profils ou de personnes utilisant des pseudonymes. Mon idée de solution sur ce fléau social, c’est d’amener les réseaux sociaux et toutes les entreprises qui les utilisent, à exiger l’identification systématique de tous ceux qui ouvrent des comptes et qui communiquent par ces canaux. De cette manière, tout auteur d’actes délictueux en matière d’expression sera facilement incriminé. Par ce biais, on verra rapidement les dérives langagières, en général, diminuer sensiblement sur les réseaux sociaux.

Interview réalisée par Drissa TRAORE

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« Une Constitution adoptée par voie parlementaire aura, pour son application, une faible adhésion du peuple »


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