GUEGUERRE ENTRE LE MALI ET LA FRANCE: Bamako et Paris doivent s’assumer !
De la surenchère verbale entre les autorités maliennes et françaises, l’on est passé aux tensions diplomatiques avec l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali. Dans les deux camps, les opinions publiques internes surchauffées appellent au divorce entre les deux partenaires. Mais contre toute attente, la rupture se fait attendre. L’on peut alors se poser la question suivante : pourquoi aucune des deux parties ne prend l’initiative de franchir le Rubicon ? La réponse à cette question se trouve sans doute dans le fait que les deux Etats se tiennent par de gros intérêts mutuels.
On le sait, la France a d’importants intérêts économiques au Mali et cela, depuis la période coloniale. Sans même revenir sur l’économie de traite qui s’est développée pendant l’occupation française ou même le transfert à Kayes, des réserves du trésor français pendant la Seconde Guerre mondiale, l’on sait aujourd’hui que les géants du paysage économique malien restent les multinationales françaises. Mieux, en dépit de son enclavement, le Mali est le 3e marché sous-régional de la France après la Côte d’Ivoire et le Sénégal.
Les deux Etats ont besoin l’un de l’autre
Il n’est non plus un secret pour personne que les richesses minières, avérées ou supposées, du sous-sol malien, attisent les convoitises de la France. Il y a aussi tous les enjeux géostratégiques avec l’entrée, sur la scène sahélienne, de nouveaux concurrents dans le pré-carré français. Il s’agit des Russes et des Chinois qui ont d’ailleurs l’avantage de ne pas poser de conditionnalités liées à la démocratie et à la bonne gouvernance dans leur coopération. Il y a aussi et surtout les enjeux sécuritaires. On ne le sait que trop, la porte d’entrée du terrorisme en France, se trouve au Sahel. A cet important paquet d’intérêts viennent s’ajouter les enjeux cruciaux de l’élection présidentielle française : tout retrait en catastrophe de l’armée française du Mali, serait assimilé à un échec du pouvoir de Macron.
Du côté malien, l’on se garde aussi de franchir certaines lignes comme, par exemple, le rappel de l’ambassadeur malien en France ou même le renvoi pur et simple de la force Barkhane du territoire malien. Cette attitude de la junte est aussi dictée par de gros intérêts. Au plan économique, la France est l’un des premiers partenaires commerciaux du Mali en dehors des pays de l’UEMOA et les transferts de fonds des Maliens expatriés en France constituent près de 7% du PIB malien. Il ne faut pas non plus mettre de côté l’importante aide au développement et la dette qui sont d’un intérêt quasi vital pour le Mali. Sur le plan diplomatique, la France constitue la porte d’entrée du Mali dans l’Union européenne (UE) et dans bien des hautes sphères de la scène internationale. Au plan sécuritaire, nul n’est besoin de rappeler que le Mali doit son existence aux différentes opérations militaires qui ont empêché les groupes armés de s’emparer de Bamako.
En tout état de cause, les deux Etats ont besoin l’un de l’autre. L’on peut donc légitimement se demander pourquoi ils se volent sans cesse dans les plumes.
La France devrait revoir sa politique africaine en faisant le deuil des rapports coloniaux
La raison est bien simple : la junte militaire surfe sur et alimente le sentiment anti-français qui lui permet de se maintenir au pouvoir. La pratique est bien connue. Quand les politiques font face à des problèmes internes, ils manœuvrent pour faire porter tous les péchés par l’étranger pour se présenter aux yeux de l’opinion, comme des victimes. Mieux, cette posture anti-française constitue une sorte de pression pour le pays d’Emmanuel Macron qui doit faire beaucoup plus dans la lutte contre le terrorisme pour retrouver sa place dans le cœur des Maliens. Mais cette posture des Maliens passe mal pour la France qui s’accommode mal du régime de Bamako, issu d’un putsch et qui n’a aucune « légitimité » à ses yeux, ainsi que de la présence du groupe de mercenaires russes de Wagner.
Cela dit, la question qui est sur toutes les lèvres est la suivante : jusqu’où ira l’escalade entre les deux parties ? Il est difficile de répondre avec précision à la question mais la France dispose d’une batterie de mesures de représailles contre Bamako. Et la première de ces mesures, c’est déjà le départ de la force Barkhane du territoire malien. C’est le scénario qui parait le plus plausible même si l’Hexagone ne quittera pas le Sahel. Mais les hommes politiques les plus durs en France demandent l’interruption de tous les financements en direction du Mali, le blocage des transferts d’argent vers Bamako et l’expulsion de tous les migrants maliens en situation irrégulière sur le territoire français. Si l’on devrait en arriver là, c’est la population malienne qu’il faudrait plaindre. En plus de payer un lourd tribut à l’insécurité et aux sanctions de la CEDEAO, elles devraient désormais vivre, sevrées des fruits de la coopération internationale car ce que veut Paris en ce moment, c’est une sanction groupée de l’UE contre le Mali. Mais pour éviter cette situation qui n’est dans l’intérêt d’aucune des parties, Bamako et Paris doivent s’assumer. Le Mali doit se donner les moyens d’une véritable indépendance vis-à-vis de Paris en se dotant d’une armée et d’institutions républicaines fortes en vue de répondre aux attentes de ses populations et la France devrait aussi revoir sa politique africaine en faisant le deuil des rapports coloniaux pour faire la place à un partenariat gagnant-gagnant fondé sur le respect mutuel avec les Etats africains.
« Le Pays »