HomeA la uneCINQUANTENAIRE DE LA PROCLAMATION DE L’INDEPENDANCE DU BIAFRA  :  Le fantôme est toujours dans la maison

CINQUANTENAIRE DE LA PROCLAMATION DE L’INDEPENDANCE DU BIAFRA  :  Le fantôme est toujours dans la maison


Le 30 mai 1967, le lieutenant-colonel Emeka Ojuku proclamait l’indépendance du Biafra, du nom de cette région du Sud-Est du Nigeria, habitée par les Igbo, 3ème plus importante ethnie sur les 250 qui se partagent le pays, après les Haoussa et les Yoruba et riche en gisements pétroliers. S’en est suivie une terrible guerre civile aux allures d’épuration ethnique. Après 3 ans d’hostilités et surtout de blocus terrestre et maritime, plongeant les populations civiles dans une terrible famine, les soldats biafrais, dix fois moins nombreux et moins équipés que l’armée fédérale, déposent les armes. Le bilan fait état alors d’1 million de morts.  Comment en était-on arrivé là ? En rappel, le Nigeria a hérité de l’administration coloniale anglaise à son indépendance le 1er octobre 1960, de trois provinces autonomes dont les contours épousaient les espaces habités par les trois principaux groupes ethniques : l’Est habité majoritairement par les Igbo chrétiens et animistes, le Nord peuplé de Haoussa majoritairement musulmans  et enfin l’Ouest où vivent les Yoruba répartis sur les 3 religions.

Les velléités sécessionnistes n’ont pas disparu

Cet équilibre est vite mis à rude épreuve par les tensions ethniques, attisées par le régime du président Nnamdi Azikwe qui, originaire de l’Est, installe un régime corrompu qui permet aux Igbo de s’emparer de tous les postes administratifs et politiques. Par conséquent, en 1965, le parti igbo, l’UPGA (United Progressive Grand Alliance) perd les élections contre le NNA (Nigerian National Alliance), parti conservateur yoruba et haoussa. Mais des officiers igbo, taxant la victoire de frauduleuse, renversent le gouvernement élu et portent au pouvoir le général Johnson Aguiyi-Ironsi qui met fin au fédéralisme hérité de la colonisation. Eclate alors dans le Nord une rébellion anti-igbo qui se solde par le massacre d’environ 30 000 personnes et provoque leur exode massif vers l’Est. Le 29 juillet 1966, le général Johnson Aguiyi-Ironsi lui-même est assassiné lors d’un coup d’Etat organisé par la junte musulmane qui place à la tête de l’Etat un chrétien, le général Yakubu Gowon. Celui-ci est incapable de mettre fins aux pogroms contre les Igbo dans le Nord. Pire, il opère une réforme administrative qui prive la région Est de ses ressources pétrolières du delta du Niger. Malgré la médiation du Ghana, le clash est inévitable et Emeka Ojuku, alors gouverneur militaire de la région de l’Est, annonce la sédition de la région et proclame la République du Biafra avec pour capitale Enugu, mettant ainsi le feu aux poudres. Cinquante après cette proclamation unilatérale de l’indépendance du Biafra, les velléités sécessionnistes n’ont pas disparu, au point que l’on peut douter même de la fédération du Nigeria comme modèle d’intégration. Bien au contraire, elles semblent avoir décuplé au cours de ces dernières années. C’est donc dans de fortes tensions que le pays a commémoré le cinquantenaire de ce douloureux évènement, hier 30 mai 2017. Les principaux groupes indépendantistes, en l’occurrence le Mouvement pour les peuples indigènes du Biafra (IPOB) et le Mouvement pour la réalisation de l’Etat souverain du Biafra (MASSOB) ont appelé à une journée ville morte, au regard des risques bien perceptibles d’éruptions de violences, notamment dans les points chauds de l’ex-Biafra où des manifestations ont tourné au massacre l’an passé. Ils exigent du gouvernement central l’organisation d’un référendum  d’auto-détermination. C’est dire si le fantôme est encore bien présent dans la maison. L’on peut donc légitimement se demander pourquoi le temps n’a pas eu raison du rêve de sécession des Biafrais.

Les frustrations des populations ont grandi

L’une des raisons est sans nul doute que l’on ne peut tuer le rêve de liberté à coups de fusils. Le cours de l’histoire est alimenté de nombreux récits de combattants de la liberté morts sur les champs de bataille sans que le flambeau de la lutte ne s’éteigne. Bien au contraire, le sang des martyrs a souvent servi à raviver la flamme du combat. Et pour cause. «  La liberté, disait Pierre Larousse, est le plus grand des biens ». Cela dit, l’on peut se risquer à dire que le rêve d’indépendance est le plus grand legs dont ont hérité les jeunes générations du Sud-Est de leurs parents morts sur les champs de combats. L’autre raison, non moins importante, est que les gouvernements successifs au Nigeria se sont montrés incapables, outre l’argument de la force, de résoudre les problèmes socio-économiques des populations de l’ex-Biafra. Les frustrations des populations ont d’autant grandi qu’en plus de se sentir exclues politiquement, elles assistent à l’exploitation presque sauvage des ressources naturelles notamment pétrolières de leur terroir, sans bénéficier en retour du moindre investissement. Elles sont impuissantes face à la dégradation de leur cadre de vie et n’ont pour toute réponse à leurs préoccupations que la violence militaire. «  Le Nigeria n’a rien fait pour nous depuis la fin de la guerre. Nous n’avons ni routes ni infrastructures ni travail », confiait à l’AFP un jeune igbo avant de conclure « il est temps d’achever ce que nos pères ont commencé ».

Pour exorciser donc le mal, le Nigeria a tout intérêt à changer son fusil d’épaule. D’abord, parce que les discours indépendantistes en Afrique, bénéficient d’un nouveau printemps avec l’indépendance du Soudan du Sud qui est venue ébranler le sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, imposé par l’Union africaine (UA). Ensuite, parce que le cancer biafrais peut se gangrener avec des risques de métastase. Et le seul remède possible, c’est de travailler à instaurer une gouvernance politique et économique vertueuse,  destinée à gommer les disparités régionales et ethniques.

« Le Pays »


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