DEMANDE D’UN PROCES EN APPEL CONTRE LAURENT GBAGBO ET BLE GOUDE
Trois jours. C’est le temps dont disposait, depuis le 22 juin 2020, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) pour convaincre la Chambre d’appel de ladite Cour de la pertinence de son appel contre l’acquittement prononcé fin janvier 2019, en faveur de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo et de son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant la juridiction pénale internationale. Sera-t-elle suivie dans sa demande d’un procès en appel, ou bien va-t-on vers une libération totale de ces deux acteurs majeurs de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, et ex-détenus de Scheveningen dont les mesures restrictives de liberté ont été fortement allégées fin mai dernier ? On attend de voir. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Fatou Bensouda ne lâche pas prise. Mais on ne saurait lui en tenir rigueur car elle est dans son rôle.
Fatou Bensouda ne semble plus avoir une grande marge de manœuvre dans la conduite de ce dossier
Et l’on peut même comprendre qu’elle cherche à utiliser tous les moyens de recours possibles pour prouver la culpabilité des prévenus, au risque de paraître, pour certains, pour quelqu’un qui roule pour le camp de leurs adversaires. Mais dans ce feuilleton judiciaire qui tient en haleine la Côte d’Ivoire depuis plusieurs années maintenant et qui a vu le vent tourner progressivement en faveur des prévenus au point que les signaux de la mise en liberté totale leur semblent à présent favorables, Fatou Bensouda n’est pas loin de jouer son va-tout. Et cela, au propre comme au figuré. Car, à moins d’un an de la fin de son mandat à la tête de l’instance judiciaire internationale, elle ne semble plus avoir une grande marge de manœuvre dans la conduite de ce dossier judiciaire qui n’est pas loin d’être un baroud d’honneur pour elle. Et si elle réussit à relancer le dossier, au-delà de la satisfaction du devoir accompli qu’elle pourrait personnellement en tirer, cela permettra aussi aux familles des victimes qui n’attendent rien d’autre de ce dossier que la vérité, d’entretenir l’espoir que justice leur soit un jour rendue. Mais si elle échoue à convaincre la Chambre d’appel de la CPI de la nécessité de rejuger l’affaire, non seulement elle perdrait la face dans cette affaire qui aura connu un fort engagement de sa part, mais aussi c’en serait fini, devant cette Cour, de l’affaire Laurent Gbagbo et Blé Goudé. Une décision qui contribuerait à rendre encore plus inextricable l’équation des responsabilités dans les 3000 morts de cette crise sociopolitique et doucherait du même coup les espoirs des familles des victimes qui attendent aussi réparation. Cela dit, cette demande d’un procès en appel contre leur acquittement, est une grande épreuve pour Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. En effet, au moment où le bout du tunnel dans ce long feuilleton judiciaire à la CPI, semble pointer à l’horizon, ces derniers pourraient voir des tuiles judiciaires leur retomber sur la tête si le procès devait être repris pour vice de forme.
Ce procès Gbagbo à la CPI, si l’on n’y prend garde, ne servira pas la cause de la réconciliation en Côte d’Ivoire
Dans ces conditions, Dieu seul sait combien de temps durera encore leur calvaire et quand est-ce qu’ils finiront de porter leur croix pour espérer regagner leur chère Côte d’Ivoire natale dont ils brûlent visiblement d’envie de fouler à nouveau le sol. En tout état de cause, même en cas de validation de leur acquittement à la CPI, la présidentielle d’octobre prochain ne semble pas pouvoir être un objectif pour le Christ de Mama et son « général de la rue ». D’autant qu’ils sont, tous les deux, sous le coup de la Justice ivoirienne qui a déjà prononcé des condamnations de 20 ans d’emprisonnement à leur encontre, dans des affaires différentes. Au-delà, la question que l’on pourrait se poser est de savoir si dans cette affaire, l’on connaîtra jamais la vérité. En tout cas, tout porte à croire que quel que soit le verdict final, des gens trouveront toujours à redire. Car, si une éventuelle confirmation de l’acquittement du Woody et son acolyte sera célébrée par leurs partisans, c’est peu de dire qu’il y aura des grincements de dents dans le camp de leurs contempteurs. De même, si les prévenus devaient voir leur procès et leur calvaire se prolonger, cela pourrait être vu comme un début de justice par leurs adversaires et dénoncé comme un acharnement par leurs partisans. C’est dire si ce procès Gbagbo à la CPI, si l’on n’y prend garde, ne servira pas la cause de la réconciliation en Côte d’Ivoire. Bien au contraire. Après près de dix ans, on peut avoir l’impression que les lignes n’ont pas véritablement bougé dans le bon sens. Et c’est bien dommage !
« Le Pays »