HomeA la uneDISPARITION D’ETIENNE TSHISEKEDI :  Bientôt la danse des vautours

DISPARITION D’ETIENNE TSHISEKEDI :  Bientôt la danse des vautours


C’est alors que de sa haute stature, le Sphinx de Limete, Etienne Tshisekedi, dominait la scène politique congolaise, après avoir réussi le pari de mettre sous éteignoir le rêve d’éternité au pouvoir de Kabila Fils, qu’il a cassé sa pipe. Il laisse ainsi orphelines, les nombreuses foules acquises à sa cause dans ce qui, de tout temps, a été son combat : l’alternance politique en République démocratique du Congo (RDC). C’est dire que les rives du Congo sont aujourd’hui une immense vallée de larmes pour tous ceux qui, en raison des tractations politiques en cours dans le pays, voyaient leur rêve à portée de main. A ces cris de malheur, viennent se mêler les larmes de crocodiles du pouvoir qui voit dans ce coup du sort, un coup de pouce de la Providence qui le débarrasse d’un obstacle.

L’histoire personnelle de Tshisekedi se confond avec celle de la RDC

Sans nul doute, pour se donner bonne conscience, le gouvernement n’hésitera pas à se lancer dans des cérémonies d’hommage et des journées de deuil pour masquer très peu sa tristesse feinte. Mais la majorité présidentielle aurait bien tort de se réjouir de la disparition du vieux lion. Et pour causes. D’abord, de par son legs politique, Etienne Tshisekedi  n’appartient pas à la seule opposition congolaise. Son histoire personnelle se confond avec celle de la RDC et il a incarné des valeurs politiques aux sources desquelles,  toute la classe politique congolaise et au-delà, toute l’élite politique africaine, devraient s’abreuver. Il s’agit, entre autres, de l’attachement à la mère-patrie dont l’indépendance et l’unité semblaient lui tenir à cœur, de l’attachement aux valeurs démocratiques et du rejet de toutes les formes de dictatures qu’il a combattues en s’opposant aux différents régimes qui se sont succédé en RDC, de Mobutu Sese Seko à Joseph Kabila en passant par Laurent Désiré Kabila. Il aura surtout marqué en un demi-siècle de vie politique, la conscience universelle par sa constance et sa fidélité à ses idéaux qu’il a défendus à vie, défiant la prison, les violents passages à tabac et la corruption. Ensuite, le pouvoir devrait se garder de tout triomphalisme car, comme on le dit bien souvent, en Afrique, « les morts ne sont pas morts ». Cette disparition de l’emblématique figure de l’opposition peut être perçue par la jeunesse congolaise, comme le sacrifice suprême pour la cause du peuple congolais. Jusque sur son lit de mort, l’homme a, en effet, porté, sans faiblir, le combat du peuple. Les cendres de Tshisekedi devraient donc agir en fertilisants de la lutte des combattants de l’alternance en ce sens qu’il constitue non seulement pour eux un modèle de héros de la résistance dont le martyre  est un précieux viatique, mais aussi un ciment pour l’unité d’action afin que ne soit trahie sa mémoire et que son combat ne soit pas vain. C’est dire à quel point l’adage selon lequel « le lion, même mort, fait peur », peut s’avérer exact. Mais disons-le tout net, tout cela relève de l’idéal et les craintes que la  chute du grand baobab de la forêt congolaise n’entraîne d’importants dégâts sur la configuration de la scène politique et le processus politique en cours, sont bien réelles. Il faut, en effet, craindre que la guerre de succession au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), n’entraîne des schismes qui mettraient en lambeaux l’immense patrimoine politique du vieux. A cette guerre des ego aux conséquences dévastatrices, devraient s’ajouter les manœuvres du pouvoir pour débaucher les cadres du parti par « l’enfeuillement » et l’appât des postes et autres portefeuilles ministériels aux avantages mirobolants.

La disparition de l’opposant historique pourrait entraîner le déraillement du processus politique

En Afrique, on ne le sait que trop, militer dans l’opposition, c’est épouser la diète et il faut plus que de l’héroïsme pour résister à l’attrait des richesses de l’Etat. Nécessairement, il va s’opérer une redistribution des cartes politiques avec de fortes chances que le peuple congolais en soit le principal perdant. Mais là où le décès de l’opposant historique fait véritablement froid dans le dos, c’est le boulevard qu’il ouvre à Joseph Kabila qui n’a renoncé qu’à demi-mots à son rêve de pérennisation au pouvoir. En tout cas, la tentation est grande que le satrape, en l’absence du leader de l’opposition, ne s’engage sur la voie de la remise en cause des accords qu’il avait acceptés sous les coups de boutoir de l’opposition. Il pourrait être encouragé en cela par les divisions de l’opposition qui ne pourra certainement pas, dans l’immédiat, générer un leader charismatique, capable de coordonner les troupes en lutte. Mieux, il bénéficie d’un environnement international favorable à un nouveau printemps des dictatures sur le continent, avec l’accession de Donald Trump au pouvoir aux USA.  En effet, le nouveau locataire de la Maison Blanche fait de la démocratie et des droits de l’Homme le cadet de ses soucis. Cela devrait donc se traduire par un relâchement de la pression internationale sur les dictateurs africains. C’est dire que le ciel de la RDC bruisse des vols des vautours qui attendent de se repaître de la dépouille mortelle du vieux lion. Mais la charogne pourrait être indigeste. Si l’unité de l’opposition devrait voler en éclats pour donner lieu à un rush vers les tables garnies du pouvoir, non seulement la colère populaire, dans un contexte de misère jamais égalée, pourrait se révéler une déferlante non maîtrisable, mais aussi les opposants  eux-mêmes risquent de courir, de leur poste. Du côté du pouvoir, les risques  sont tout aussi grands. La disparition de l’opposant historique qui croyait encore au dialogue comme mode de règlement des conflits politiques, pourrait entraîner le déraillement du processus politique, le transformant en un conflit armé. En effet, une grande partie de la classe politique congolaise a fait ses armes dans les maquis et ne croit qu’à la guerre comme mode de règlement des contradictions.

« Le Pays »


No Comments

Leave A Comment