HomeA la uneINSURRECTION POPULAIRE DES 30 et 31 OCTOBRE 2014 : Deux ans après, des insurgés racontent  

INSURRECTION POPULAIRE DES 30 et 31 OCTOBRE 2014 : Deux ans après, des insurgés racontent  


 

Les 30 et 31 octobre prochains, le Burkina Faso commémorera le deuxième anniversaire de la deuxième insurrection populaire de son histoire. Cet évènement commémoratif sera marqué par diverses activités qui permettront de rendre hommages aux « héros et martyrs » qui se sont sacrifiés dans la lutte contre la modification de l’article 37 et la mise en place du Sénat. Dans la révolte populaire qui a suivi cette lutte qui a entraÎné la chute de Blaise Compaoré, nombreux étaient les hommes et femmes qui ont joué pleinement leur partition. Nous avons rencontré du 26 au 27 octobre 2016, en prélude à la commémoration de l’an 2 des évènements d’octobre 2014, certains d’entre eux qui ont accepté de témoigner sur le rôle qu’ils ont joué durant le combat. L’occasion a été également fort belle pour ces acteurs politiques et civils, d’apprécier les acquis de l’insurrection et de la situation du pays dans une période post-insurrection.

Le Burkina Faso est aujourd’hui cité comme un exemple, voire une référence en matière de démocratie. Ce palmarès est reconnu au-delà des frontières africaines puisque le pays semble avoir retrouvé sa place dans le concert des Nations où le processus démocratique est en marche. Il constitue le fruit de plusieurs actions de lutte dont celle de l’insurrection populaire survenue les 30 et 31 octobre 2014. Deux années après, le souvenir de cet évènement historique reste intact dans l’esprit de plusieurs Burkinabè, surtout ceux qui ont été aux avants postes de la « bataille » contre le référendum et la modification de l’article 37. C’est le cas de Marcel Tankoano, président du Mouvement du 21 avril 2013 dénommé M21. « Je me rappelle comme si c’était hier », soutient-il lorsque nous échangions avec lui à la mi-journée du 26 octobre dernier. Cette date (26 octobre) rappelle une autre qui est celle du 26 octobre 2014, qui avait marqué ce que d’aucuns qualifient de « début de la fin » du régime déchu. En effet, le 26 octobre 2016, des jeunes de Ouagadougou se sont levés, selon Marcel Tankoano, juchés sur près de 600 motos, pour se rendre dans les domiciles des députés influents de l’ancien régime pour chanter devant leur portail, l’hymne national. A l’occasion, le message qui était porté à l’attention de ces députés était clair : « leur rappeler que s’ils sont à l’Assemblée nationale, ce n’est pas à cause du président Blaise Compaoré, mais du peuple qui refuse d’aller à une forfaiture telle que le référendum. A l’époque, nous avions démarré au domicile du président de l’Assemblée nationale, Soungalo Ouattara, qui était vers l’hôpital pédiatrique. Nous avons fait environ une vingtaine de domiciles des députés influents du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) à l’époque. C’était le 26 octobre 2014 », a rappelé le président du M21. Et de soutenir : « Depuis le 21 octobre 2014 (ndlr : date de l’adoption du projet de loi pour le référendum en conseil des ministres), nous étions des morts vivants quand Blaise Compaoré s’est entêté à aller à son référendum via le projet de loi à l’Assemblée nationale. C’est à partir du 21 octobre déjà que Blaise Compaoré nous a déclaré la guerre et nous lui avons dit que ça ne marchera pas et que ça passera ou ça cassera. A moins qu’il passe sur nos corps, un référendum n’est pas possible. Au besoin, nous allons assister à ce vote à l’hémicycle », a confié le patron du M21. Et de poursuivre que la date décisive pour les insurgés, n’était pas les 30 et 31 octobre mais celle du 29 du même mois. « Ce jour là, nous nous sommes retrouvés au siège du Chef de file de l’opposition politique (CFOP) en tant que jeunes qui ont choisi d’être au devant de la lutte. Moi-même Marcel Tankoano ainsi que Hervé Kam, Hervé Ouattara, Adama Kanazoé. Au niveau de la société civile, nous étions trois et Adama Kanazoé qui est le président de l’AJIR. Nous nous sommes retrouvés à partir de 22 h et nous nous sommes quittés vers 3 h du matin. Donc, nous ne sommes plus rentrés à partir du 29. La nuit, on n’a pas dormi et lui qui est assis (ndlr : son compagnon de lutte du M21) était sur les points sensibles que l’on devrait gérer. Toutes les décisions et stratégies ont été peaufinées à partir de la date du 29 octobre. Il fallait faire en sorte que la jeunesse et tous ceux qui veulent rentrer à l’Assemblée nationale puissent le faire. Et le matin, à partir de 4h 30mn, nous étions déjà sur des cibles, à des endroits précis et il fallait faire en sorte que l’on ne mette pas la main sur nous. Parce que quand vous dirigez une lutte et qu’on arrive à mettre la main sur les leaders, c’est déjà un échec. Donc, nous avons fait en sorte qu’il soit quasiment impossible de savoir nous-mêmes où nous étions pour ne pas risquer de se faire prendre. Et entre nous, nous ne nous faisions même pas confiance parce qu’on n’a pas montré à tous les jeunes où l’on était», a expliqué Marcel Tankoano.

 A Kosyam, les Hervé Ouattara et Augustin Bambara ont pu entrer et voir Blaise Compaoré.

A la question de savoir où il était caché le jour du 30, il a indiqué qu’il était « logé » derrière une banque située à proximité d’une gare, dans une maison abandonnée dernière laquelle il y avait une autre maisonnette. « Mais il y avait toutes les stratégies pour m’informer s’il y avait des hommes qui venaient vers moi pour que je puisse m’échapper. Dans les stratégies, on avait dit qu’à partir du 30 octobre, s’il y a mort d’homme, cela changerait les données. Et les stratégies que l’on avait déjà peaufinées le 29 au soir étaient que s’il y avait mort d’homme, on avait seulement 4 cibles à prendre coûte que coûte », a déclaré le patron du M21. La première cible était, a-t-il dévoilé, l’Assemblée nationale, la deuxième le siège du CDP. La 3e cible, était la RTB télé et radio tandis que la dernière cible était le palais présidentiel de Kosyam. Pour conquérir toute cible, il fallait tenir bon et des instructions avaient été données, a confié Marcel Tankoano, aux insurgés dans ce sens. A l’en croire, les insurgés avaient été répartis sur les cibles ci-dessus citées. C’est ainsi que vers la zone de Kosyam, a-t-il expliqué, c’est Hervé Ouattara, président du Citoyen africain pour la renaissance connu sous le nom de CAR (ex-Collectif anti-référendum) qui dirigeait les opérations. Lui-même, Marcel Tankoano, était en ville pour diriger les combats et Hervé Kam à un autre endroit. « Chacun jouait un rôle et celui qui coordonnait l’ensemble des opérations était Adama Kanazoé. Malheureusement, aujourd’hui, on n’en parle pas, mais c’est sur lui que l’on recentrait toutes les informations, toutes les stratégies et même tout ce qui se passait. A Kosyam, les Hervé Ouattara et Augustin Bambara ont pu entrer et voir Blaise Compaoré. C’est le général Gilbert Diendéré qui est venu avec Nadié et d’autres militaires chercher les Hervé Ouattara, Augustin Bambara et un autre qui, aujourd’hui, est décédé, pour les conduire devant Blaise Compaoré qui les attendait et qui a tout de suite demandé ce qui se passait. Les Hervé Ouattara lui ont répondu qu’ils ont perdu beaucoup de gens sur le terrain et que son départ était non négociable. Et Blaise Compaoré lui-même avait promis de faire d’abord un discours. Il avait aussi signifié qu’il y avait l’Etat d’urgence qu’il avait déjà décrété et qu’il allait faire son discours dans les secondes qui suivaient ». Au moment où ces faits qu’il racontait se déroulaient, le président du M21 était tombé dans le coma et se trouvait à l’hôpital, a-t-il dit. Au niveau de l’Assemblée nationale, Marcel Tankoano indique qu’il avait été demandé aux jeunes de venir avec des mouchoirs mouillés et du beurre de karité. Parce qu’au cas où ça chaufferait, on savait que ce ne serait pas possible de supporter le gaz. Et on disait à nos camarades qui étaient sur le terrain de tenir bon car en 2 ou 3 heures, ils (ndlr : les éléments des forces de sécurité déployées) vont lâcher prise. « Ce qui a été fait. A un moment donné, le gaz lacrymogène était fini. Il fallait que les forces de sécurité utilisent des véhicules. Et nous avons convié les insurgés à la place de la révolution où nous leur avons demandé d’aller à pied, sans branches ni cailloux ni autres matériels, directement sur Kosyam. Et que dans la lancée, d’aller vers l’Assemblée nationale. Si quelqu’un tombe, que ceux qui n’ont pas le courage de supporter, foncent seulement.

« Aujourd’hui, aucun gouvernant n’est assez fou pour se hasarder à faire la même chose qu’avant”

Puisque si tu regardes la personne qui est tombée et que tu la connais, c’est difficile à supporter. Mais on devait rentrer coûte que coûte à l’Assemblée nationale avant 9h30mn, car la plénière devait démarrer à 10h. Il fallait prendre l’AN avant 10H », a justifié le patron du M21. Deux ans après ces évènements qu’il raconte avec visiblement toujours beaucoup d’émotions, il a affirmé ne pas regretter, loin s’en faut, la conduite tenue par les insurgés. « Si c’était à refaire, je le ferais pour mon pays parce qu’il fallait qu’il y ait des gens aussi qui acceptent le sacrifice. A un moment donné de l’histoire d’un pays, c’est comme ça. Vous savez qu’en allant, on va vous tuer, mais c’est le prix à payer. Nous n’avons pas fait cette lutte pour nous-mêmes. C’est pour nos enfants et nos petits-enfants. Là où on est arrivé, nous sommes fiers, quoiqu’il y ait des difficultés. Mais il fallait y arriver car tout début a une histoire ». Cette conviction de Marcel Tankoano est aussi partagée par ses camarades de lutte dont Me Guy Hervé Kam, Hervé Ouattara, Safiatou Lopez que nous avons tenté de joindre au téléphone sans succès. Elle pourrait également se rapprocher de celle du président du parti, Le Faso Autrement, Ablassé Ouédraogo qui est par ailleurs, le président de la CODER. Répondant à nos questions au téléphone dans la soirée du 26 octobre alors qu’il était à l’aéroport pour embarquer à destination du Congo, celui-ci a tenu avec insistance à rappeler qu’il a été en 2014, selon ses mots, le Coordonnateur national de toutes les manifestations organisées par le Chef de file de l’opposition politique (CFOP) contre le référendum et la révision de l’article 37. Dans son diagnostic de la situation post-insurrectionnelle, Ablassé Ouédraogo fait un constat amer : « Après deux années, l’insurrection a été confisquée et le pays va mal. Les aspirations des populations ne trouvent pas de réponse et la crise multidimensionnelle que vit le pays en ce moment est sans égale. C’est pour cela que la seule alternative pour que les Burkinabè puissent sortir de ce mauvais pas, c’est d’œuvrer à un dialogue inclusif pour aboutir à une réconciliation nationale inclusive, qui fait de la justice sa priorité, c’est-à-dire que la justice se trouve au cœur de la réconciliation nationale», a laissé entendre au téléphone, Dr Ablassé Ouédraogo, alors que nous étions assis au bureau de Me Bénéwendé Stanislas Sankara pour la même cause. Les deux personnalités qui ne semblent pas se retrouver dans le même camp politique aujourd’hui, ont été des compagnons de la lutte qui a abouti à l’insurrection populaire. Il en est de même pour Dr Emile Pargui Paré du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Mais ce dernier n’a pas souhaité se prononcer sur les deux ans de l’insurrection, au moment où nous le contactions. Le chat noir du Nayala qui s’est présenté au téléphone comme le héro national de l’insurrection populaire, n’a pas voulu s’exprimer avant les 30 et 31 octobre. Pour cause : il a beaucoup de choses à dire aux Burkinabè, sur l’insurrection populaire, a-t-il expliqué. Il  souhaite le faire au cours d’une interview spéciale qui occuperait toute une page entière de journal. Sacré Emile Paré ! En attendant qu’une suite soit accordée à sa requête d’interview exceptionnelle auprès de son « patron » de parenté à plaisanterie qu’est le DG des Editions « Le Pays », il s’insurge de nouveau contre le fait, dit-il, qu’il soit accusé d’avoir brûlé des équipements de la télévision. « Ce sont des affirmations gratuites », a rétorqué le  chat noir du Nayala. De son côté, Me Bénéwendé Stanislas Sankara ne souhaite plus revivre  l’insurrection populaire. « Plus jamais ça au Burkina Faso ». Tel est son cri de cœur, deux années après les évènements des 30 et 31 octobre 2014. Pour Me Sankara, ceux qui n’ont pas vécu l’insurrection populaire dans leur corps et dans leur âme, peuvent aujourd’hui spéculer et tout dire. « Mais nous autres qui étions au cœur et dans le feu de l’action, quand nous entendons, deux ans après, des gens dire qu’il y aura encore une autre insurrection et que s’il y a une autre insurrection, personne ne va quitter ce pays, je prie Dieu pour que le Burkina Faso soit épargné d’une autre insurrection populaire. Je le dis sur la foi de ma prière parce que je suis croyant. Ce que j’ai vécu, je ne souhaite plus jamais ça pour mon pays », a déclaré le président de l’UNIR/PS qui s’était, du reste, présenté aux dernières élections présidentielle et législatives comme le candidat des insurgés. Pour lui, l’insurrection populaire fait partie de l’histoire du pays et à ce titre, les Burkinabè doivent travailler ensemble, main dans la main, pour le développement de leur pays afin  de le bâtir sur une valeur qui repose sur le burkindlim (l’intégrité). Bénéwendé Sankara s’est félicité de la détermination du peuple qui a lutté contre la révision de l’article 37 et la mise en place du Sénat. « Quand je revois cette Assemblée nationale qui était en flammes, ces jeunes qui affrontaient les balles, qui criaient leur ras-le-bol et acceptaient de verser leur sang pour ce pays, c’est…. Voilà pourquoi je pense que deux ans après, on devrait tirer tous les enseignements. Parce que désormais, l’insurrection populaire appartient à l’humanité et particulièrement aux pays africains qui citent le Burkina Faso comme un exemple. Nous avons un peuple qui, s’il se met debout,  s’assume mais les dégâts collatéraux sont énormes. Plus jamais ça », a souhaité Bénéwendé Stanislas Sankara. Pour lui, les acquis de l’insurrection restent énormes car le pays a amorcé une autre ère de démocratie. « Aujourd’hui, aucun gouvernant n’est assez fou pour se hasarder à faire la même chose qu’avant. C’est comme si l’on a gagné 100 ans d’avancée démocratique. Nous sommes aujourd’hui obligés dans la gouvernance, de rendre compte », s’est-il réjoui à quelques jours de la commémoration du 2e anniversaire des évènements d’octobre 2014.

Saïdou ZOROME (Collaborateur)


Comments
  • La politique anarchiste de la gouvernance de la rue que d’aucuns ont pris plaisir à implémenter au Burkina sous la transition de 2014 à 2015 est une exception qui ne saurait se substituer aux règles normales de la gouvernance administrative et politique. Ainsi, les acteurs politiques et de la société civile qui ont fait fortune dans cette pratique et rêvent de la perpétuer comme leur principale activité génératrice de ressources financières occultes, devraient vite se réveiller et sortir de leur chimère de la voie lactée. Autres temps, autres mœurs ! Toutes les actions citoyennes doivent s’inscrire dans les principes républicains où les droits et devoirs sont codifiés dans le respect des libertés individuelles et collectives. Les OSC qui prétendent ne pas être politiques et qui font une ingérence dans les affaires politiques en dictant le choix de tel ou tel ministre, sortent de leur prérogative en démontrant qu’elles sont l’objet de manipulations politiciennes à des fins partisanes. Le ministre d’Etat Simon Compaoré a eu une belle réplique par voie médiatique en disant que ce ne sont pas des OSC qui nomment les ministres. Le Chef de l’Etat Roch Marc Christian Kaboré quant à lui, a clos le débat en précisant que les menaces terroristes se font un peu partout à travers le monde et ne concernent pas exclusivement le Burkina. Pour ce faire, il exhorte le peuple burkinabè à rester courageux pour la défense de la Patrie selon l’esprit qui sous-tend le concept de la «Patrie ou la mort, nous vaincrons. » Pour lui, la solution efficiente dans la lutte contre le terrorisme réside dans la coopération entre les populations et les forces de défense et de sécurité. Il ne s’agit pas systématiquement, a –t-il précisé de la démission du gouvernement comme d’aucuns tentent de l’insinuer. Avec davantage de moyens et de coopération entre civils et agents de sécurité en matière de renseignement pertinent, la sécurité publique pourra être mieux renforcée.

    29 octobre 2016

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