MEETING DU RHDP A YAMOUSSOUKRO
Le 7 décembre dernier, les militants du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ont convergé vers Yamoussoukro, capitale politique du pays et surtout ville natale du père de la Nation. L’objectif, dit-on, du côté des organisateurs, est de rendre hommage au « vieux », 26 ans après sa disparition. Mais personne n’est dupe. En effet, il s’agissait, pour Alassane Ouattara et ses partisans, d’apporter la réplique au PDCI de son rival historique, Henri Konan Bédié. En rappel, ce parti avait organisé à Yamoussoukro, en octobre dernier, un meeting. Les organisateurs l’avaient qualifié de méga. A l’époque, l’on avait estimé à 150 000 le nombre de militants qui avaient fait le déplacement de Yamoussoukro. Eh bien ! Ce 7 décembre, la coalition au pouvoir a mis un point d’honneur à faire mieux ; histoire d’apporter la preuve que le pays baoulé en général et la localité de Yamoussoukro en particulier, ne sont pas un territoire conquis du PDCI, encore moins du Sphinx de Daoukro, c’est-à-dire Henri Konan Bédié.
Derrière la guerre des chiffres, se cache mal celle de positionnement comme l’unique et légitime héritier du père de la nation ivoirienne
Et sans prendre parti dans la guerre des chiffres à laquelle se livrent les deux camps, l’on peut se permettre de dire que Alassane Ouattara peut se frotter les mains à propos de la mobilisation. Ils étaient, en effet, très nombreux, les partisans du RHDP à avoir convergé vers Yamoussoukro. L’actuel président du Sénat, Jeannot Ahoussou, n’a pas craint d’avancer le chiffre de 300 000. Derrière cette guerre des chiffres à propos des deux meetings organisés à Yamoussoukro, se cache mal une autre guerre. Celle de positionnement comme l’unique et légitime héritier du père fondateur de la nation ivoirienne. Le fait d’organiser un meeting réussi dans la ville natale du « vieux » en dit long sur la légitimité des uns et des autres. Et le fait de retenir le jour anniversaire de la mort du « vieux », n’est pas non plus anodin. Ces deux grands symboles du houphouëtisme ont, en effet, une grande portée politique. Et Bédié tout comme Ouattara le savent. Ils savent notamment que l’un des moyens pour gagner le cœur des Ivoiriens en général et celui du peuple akan en particulier, est de verser aucune mesure dans le culte d’Houphouët Boigny. Car, ce dernier évoque, pour la grande majorité des Ivoiriens, la paix, la tolérance et quelque part la prospérité économique. Avec les graves déchirures que la Côte d’Ivoire a connues depuis sa disparition, l’on peut comprendre pourquoi les Ivoiriens ainsi que les étrangers qui se sont établis dans le pays, sont nostalgiques de l’époque du « vieux ». Et l’ironie de l’histoire, c’est que beaucoup de ceux qui l’ont combattu farouchement alors qu’il était au pouvoir, n’ont aucune gêne aujourd’hui à revendiquer certaines de ses idées. Le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo dont la posture principale était l’anti-houphouëtisme se garde aujourd’hui, de cracher dans la soupe léguée en héritage par Houphouët Boigny. Aujourd’hui donc plus que hier, l’houphouëtisme est un véritable fonds de commerce politique. Et c’est cette raison qui explique l’engouement pour la ville natale du « vieux ». Et la probabilité est forte que sa tombe fasse un jour l’objet de pèlerinage. Cela dit, et pour revenir au discours de ADO prononcé ce samedi 7 décembre, l’on peut s’arrêter sur trois faits marquants.
On a des raisons de croire que le pire est à venir pour la Côte d’Ivoire
Le premier, c’est qu’il n’a pas pipé mot sur sa candidature ou non pour un troisième mandat. Il s’est contenté de dire ceci : « Je voudrais rassurer les candidats… Il n’y aura pas d’exclusion, y compris ADO ». Et face à ses partisans qui scandaient à tout rompre « 3e mandat, 3e mandat », il leur a répondu : « Si vous me demandez de faire un troisième mandat, alors on en reparlera ». Le doute donc persiste. Et cette posture n’est pas pour rassurer les Ivoiriens. Peut-être attend-il que ses rivaux tombent le masque en premier lieu avant de dévoiler sa position à ses compatriotes. Et lorsque l’on appréhende ainsi les choses, l’on peut craindre que la présidentielle à venir soit placée sous le signe d’un pugilat entre trois papys revanchards. Ce faisant, on a des raisons de croire que le pire est à venir pour la Côte d’Ivoire. En tout cas, ce qui se profile à l’horizon s’écarte du houphouëtisme dont Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara se réclament pourtant. Le deuxième fait marquant du discours de ADO, a été la pique qu’il a lancée à Bédié. Morceau choisi : « Je souhaite demander à tous ceux qui se considèrent houphouëtistes, d’être au RHDP, parce que c’est la maison d’Houphouët ». Le troisième fait marquant est l’avertissement lancé à tous ceux qui caressent le secret espoir d’une transition politique via un putsch en Côte d’Ivoire pour régler la question politique de sa succession. Et il l’a dit en ces termes : « Les hommes politiques qui comptent sur l’armée pour faire une transition, se trompent ». Cette pique pourrait avoir été adressée en premier lieu à Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion. En effet, l’on peut croire que l’homme n’est pas étranger aux nombreuses mutineries qui ont fortement secoué le régime de Ouattara. Et puis, Alassane Ouattara sait de quoi il parle quand il lance cet avertissement. L’on peut ajouter à ces faits marquants, la rencontre qu’il a eue avec les chefs traditionnels, en marge du meeting. Et ces derniers se sont engagés à aller voir Bédié pour réduire l’animosité qui existe entre les deux hommes. L’objectif des têtes couronnées du peuple « baoulé », est noble mais l’on peut se demander s’il ne s’y prennent pas tard. En effet, les deux hommes naguère alliés, ont eu tout le temps d’installer entre les héritiers d’Houphouët Boigny, un climat qui fait peur et qui n’augure rien de bon pour la Côte d’Ivoire. De ce point de vue, l’on peut leur suggérer, pour autant qu’ils soient des disciples de Houphouët, de cogiter sur la boutade du gouverneur de Yamoussoukro, à l’occasion du discours que ce dernier a prononcé lors du méga- meeting du RHDP: « Le houphouëtisme n’est pas un vain mot, c’est un comportement ».
« Le Pays »