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NOUNA : La colère des veilleurs de nuit


L’injustice sociale, source d’indignation, voire de révolte, a la peau dure dans certaines institutions de l’Etat dans la ville de Nouna. Des gardiens de nuit communement appelés vigiles ou veilleurs de nuit engagés depuis plusieurs années, travaillent jusqu’à présent sans rénumération.

 

Ce dimanche nuit du 29 mai 2016, nous sommes allé à leur rencontre pour nous enquérir de leurs conditions de vie et de travail.

“Le travail nourrit son homme”, dit-on souvent sous nos cieux.

Dans la commune de Nouna, ce n’est qu’une simple lapalissade pour les vigiles qui exercent ce métier dans une insécurité totale, pire sans salaire. Il suffit de faire un tour dans certains services de l’Etat pour toucher du doigt cette triste réalité qui crève les yeux et heurte la sensibilité.

Il est 22h 30 mn, lorsque nous arrivions au service de l’Action sociale de Nouna. Taille élancée, un fer à repasser en main, tout transpirant, regard envieux avec une voix grave et très réceptif, Lansina Dama, puisque c’est de lui qu’il s’agit est âgé de 55 ans, marié, père de 4 enfants dont 3 sortis du cursus scolaire faute de moyens. Il nous confie être le gardien des locaux du service de l’Action sociale depuis 2004. Ces bâtiments qu’il garde sont la direction, le Centre d’éducation et de promotion sociale de Nouna (CEPS) et la structure FARF avec un salaire mensuel de 5 000 F CFA sans aucune protection sociale. «  Ni ma famille ni moi ne sommes déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale. Le peu que je gagne ne peut pas subvenir aux besoins vitaux de ma pauvre famille. C’est pourquoi, je repasse les vêtements pour assurer l’argent de la popote et régler d’éventuelles ordonnances », affirme-t-il. Très bavard, ouvert et cultivé, Lansina Dama a cité tous les noms des ministres, des directeurs régionaux de la Boucle du Mouhoun, des directeurs provinciaux de l’Action sociale de la Kossi de 2004 à 2016, un exercice que M. Zongo, un agent de l’Action sociale venu pour lui rendre visite n’a pas pu faire. « J’ai maintes fois entamé des négociations auprès de tous les directeurs provinciaux ayant exercé dans la Kossi, la seule réponse  c’est : “Je vais voir”. C’est avec Mme Simboro que j’avais eu une lueur d’espoir, mais après son départ mon vœu resta vain et tout est tombé aux oubliettes », témoigne-t-il.

Il signifie que certains de ses proches lui ont conseillé de déposer une plainte  afin de recouvrer son droit. Cependant, force est de constater que la voie judiciaire est longue. Elle est faite en fonction de la tête du client.

De surcroît, il dit avoir peur de leur lexique judiciaire : « l’enquête suit son cours », « l’affaire est renvoyée en délibéré », « circonstances atténuantes, recevable pour la forme, mais le fond a un vide juridique ». A cet effet, la victime devient un potentiel coupable. C’est pourquoi, il préfère confier son triste sort à Dieu tout en l’implorant de lui venir un jour au secours.

En tout cas dit-il, « nous espérons que le Dieu Tout-Puissant leur permettra d’avoir de la sagesse afin qu’ils débloquent notre situation dans un bref délai au grand bonheur de nos enfants ». En attendant, le fer électrique qu’il tient lui a été prêté par Moustapha Ouattara, l’actuel directeur provincial des services de l’Action sociale.

Notre randonnée nocturne nous a conduit chez Bachirou Konaté, un autre vigile, au secteur 6 de Nouna à 00h 30 mn. Assis sur une natte de fortune, un gourdin en main, ce jeune homme de 48 ans est marié et père d’un enfant. Il assure la surveillance des locaux des Inpections de l’enseignement de base de Nouna II, Nouna IV, des dortoirs et du magasin avec une rénumération mensuelle de 5 000 à 10 000 F CFA, non déclaré à la CNSS. Quelques fois il fait des mois sans salaire et la justification qu’avancent ses employeurs est que les cotisations APE ne sont pas rentrées d’abord ; il faut de la patience. Il exerce ce métier dans une obscurité totale car les bâtiments ne sont pas éclairés. Aussi, il n’est pas doté en matériel de sécurité eu égard à sa faible rémunération. « Mes parents m’ont conseillé d’abandonner ce métier, mais c’est avec les encouragements de certains amis que je continue de garder les lieux », sussure-t-il.

Il dit compter sur l’indulgence de ces employeurs pour une issue heureuse de sa situation qui a trop traîné.

A sa suite, nous sommes revenu à la mairie de Nouna autour de 2h 30min du matin où nous nous sommes entretenu avec le vigile Kassoum Simboro qui, lui aussi, assure le gardiennage des locaux d’une administration de la ville. Marié et père de 5 enfants dont 4 enfants scolarisés et tous déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale. Il nous relate qu’il exerce ce métier depuis 2000. Il poursuit qu’au tout début, il travaillait sous contrat signé de 2001 à 2002 avec un salaire de 36 000 F CFA renouvelable chaque année. C’est après la fin de son premier contrat qu’ils ont rectifié en « me considérant comme un prestataire de services avec d’autres personnes et de 36 000 F CFA, ils ont diminué à 25 000 F CFA sous pretexte que nous étions nombreux ». Cela a duré un an. En 2004, il  a exigé un meilleur traitement salarial et de bonnes conditions de vie et de travail. C’est à la réponse à cette préoccupation qu’« ils ont accepté regulariser ma situation à 40 000 F CFA en déclarant mes enfants à la CNSS, pour un cumul de 46 000 F CFA », a-t-il précisé.

Avec cette rémunération, il s’est affilié à ECOBANK-Nouna pour bénéficier d’un prêt afin d’investir.

Kassoum Simboro n’a pas manqué de souligner les difficultés veçues dans son travail.

« Je suis seul ici et je travaille sans interruption même pendant les jours non ouvrables. Je n’ai pas droit aux congés. C’est au cours du mandat de Mariam Fofana que j’ai eu la chance de bénéficier des congés. Aussi, je n’ai pas de guérite et je suis obligé de rester à l’air libre avec un faible éclairage des locaux. Cet état de fait me met en insécurité. De surcroît, ma principale préoccupation c’est l’octroi d’arme et de permis de port d’arme, étant donné qu’avec le bitumage de la voie, la ville de Nouna est accessible par des bandits qui peuvent nous agresser à bout portant », clame-t-il.

A l’issue de cette entrevue, nous avons rendu visite au vigile Boureima Diakité, 58 ans, marié et père 8 enfants dont deux sont scolarisés et les autres ne le sont pas à cause du manque de moyens. Boureima Diakité garde les locaux de la maison provinciale de la femme depuis 20 ans avec une rémunération de 7 500 à 10 000 F CFA, une récente augmentation. Aucun membre de sa famille n’est déclaré à la CNSS. « Je garde, nettoie, apprête la salle pour des rencontres », justifie-t-il.

Boureima Diakité explique qu’il a frappé à beaucoup de portes à plusieurs reprises pour espérer une amélioration de ses conditions de vie, mais il n’a pas vu d’interlocuteur. Il ajoute qu’il a même supplié à l’animatrice de la Maison de la femme afin qu’elle intercède auprès des plus hautes autorités de la province afin de le sortir de ce bourbier miséreux, mais tout est resté lettre morte jusqu’à l’heure où il nous parlait. « Au moins si j’avais une rémunération conséquente, j’allais payer de l’engrais pour soutenir ma famille dans les travaux champêtres afin d’assurer une autosuffisance alimentaire de celle-ci. Depuis février, il paye des céréales pour nourrir sa famille. Ma femme vend du bois pour assurer l’argent des condiments » relève-t-il avec un air tendu. D’ailleurs, c’est pour ne pas s’attirer la foudre que la préfecture et le haut-commissariat  n’ont pas de gardien même s’il faut déplorer que le bâtiment du haut-commissariat a été

cambriolé. Après ce témoignage émouvant, il faut notifier que la précarité des conditions de vie et de travail de ces veilleurs de nuit mérite une attention particulière de la part des dirigeants locaux qui devaient rendre compte dans leurs plans d’action ou programmes d’activités. A ce prix, ils s’abstiendront de fabriquer des laissés pour compte, ou des cas sociaux au sein des strucutres dont ils ont la lourde responsabilité de gérer les ressources humaines avec équité, égalité et probité.

Nul ne doit être laissé à son propre sort dans un Burkina post-insurrectionnel où tous les citoyens doivent jouir pleinement de la justice, de la vérité et de la liberté.

Aussi, nous interpelons l’Etat à plus d’égard sur les institutions ou les structures déconcentrées en octroyant des moyens financiers et matériels conséquents pour un minimum de survie. Courant mai, nous avons été témoin d’un cri de cœur d’un directeur provincial dans un kiosque à café qui disait  ceci : «  J’ai l’impression que nos supérieurs nous nomment pour nous créer des problèmes. Tenez-vous bien, j’envoie mes courriers à mes propres frais. Je n’ai aucun frais de base pour accomplir dignement cette fonction. Souvent, ils nous mettent en porte-à-faux avec nos familles qui croient que nous nous tirons à bon compte ».

 

Madi KEBRE

(Correspondant)

 

 


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