HomeA la unePLUMAGE DES POULETS A OUAGA : Quand l’insalubrité devient la chose la mieux partagée

PLUMAGE DES POULETS A OUAGA : Quand l’insalubrité devient la chose la mieux partagée


 

Pour diverses raisons, ils sont nombreux les Ouagalais qui sollicitent les services de jeunes présents dans les marchés de volailles, chargés d’égorger et de plumer les poulets ou pintades sur place. Ces jeunes, disons-le, sont devenus incontournables pour nombre de citadins. Le hic, c’est que les aires aménagées dans ces marchés et où sont égorgés et plumés les gallinacées, en un mot « arrangés », laissent à désirer. En effet, l’insalubrité y règne à telle enseigne que lorsque l’on y pense, l’envie de consommer un poulet ou une pintade que l’on n’a pas soi-même arrangé, coupe l’appétit.   Est-ce un secteur d’activité négligé, méprisé ? Qu’est-ce qui est fait par les autorités communales pour amener les acteurs de ce secteur à revoir leur copie en matière d’hygiène? Nous avons fait un tour dans quatre marchés de volaille où la pratique se mène et voici notre constat.

 

Samedi 9 décembre 2017, il est 11h lorsque nous arrivons au marché de Gounghin, précisément au marché de  volailles situé un peu plus au sud de la capitale. A notre arrivée, des jeunes, au nombre de quatre,  nous accostent en ces termes : « Madame, venez voir, il y a  de bons poulets et pintades ici. Venez, on va faire  bon prix pour vous ». Au moment où chacun des « démarcheurs » jouait son va-tout pour nous convaincre de le suivre, un hangar attire particulièrement  notre attention.  En effet, alors que les poulets et pintades cherchaient à fuir leur cage, tout juste à côté, cinq jeunes, debout autour d’une table, plument avec grand art des poulets.  Nous nous approchons, saluons  et demandons à voir le propriétaire dudit hangar. Assis sur une chaise pliante, ce dernier se lève et se dirige vers nous. Il s’agit d’un vieil homme, plus de la soixantaine, un peu en forme.  Nous avançons un peu plus pour décliner  notre identité et l’objet de notre présence sur les lieux, particulièrement sous son hangar. Toute chose qui le met en confiance. Il décline alors son identité en ces termes : « Moi c’est Salam Zoundi, vendeur de poulets à Gounghin  yaar, le propriétaire des lieux ». Commence alors notre conversation. A la question de savoir depuis combien d’années il vend les poulets, il répond : « Cela fait plus de 20 ans que je suis ici. Ces jeunes qui sont là (il les montre du doigt) travaillent avec moi depuis longtemps. Quand un client vient acheter son poulet et qu’il veut qu’on l’arrange, ce sont eux qui le font ». Effectivement, ils étaient au nombre de cinq. Pendant que quatre d’entre eux arrachaient les plumes de poulets sortis  de l’eau chaude sur une table, le cinquième, lui, plongeait trois poulets fraîchement égorgés dans une marmite posée sur le feu.  « Issaka, depuis combien d’années travailles-tu ici ? », lance le maître des lieux en mooré. Aussitôt, nous entendons celui-ci, près du feu, répondre, certainement un peu surpris par la question: « j’arrive ».  Ainsi, c’était lui le nommé Issaka. Il tourne et retourne les trois poulets dans l’eau chaude, les sort, dépose deux sur la table  devant ses camarades  et commence à plumer le troisième qu’il tenait en lançant sèchement : « Je crois que ça vaut 13 ans ». Apparemment,  notre Issaka, comme tous les autres d’ailleurs,  n’était pas très chaud pour échanger  avec nous. Il  entame de nouveau la causerie qu’il avait entre-temps suspendue avec ses camarades, riant par moments à gorge déployée. Mais ils seront interrompus par le patron qui leur dit ceci  en mooré: « Vous-là, la dame est journaliste et veut échanger avec vous. Elle veut savoir depuis combien d’années vous exercez le travail. Comment se fait-il ? Comment êtes-vous payés » ? Mais  personne ne pipe mot pendant une à deux minutes. Visiblement, personne n’était partant pour  prendre la parole, mais ils seront interpellés par le patron. « Eh, Issaka, parle ! », lance-t-il en mooré. Les autres  le regardent d’un air moqueur, et l’un d’eux lâche : « C’est toi le doyen ici, il faut parler  Issaka ».

Un travail qui fait vivre des familles

 

Se sentant acculé, il commence à sourire, tout en nous regardant. « Que vais-je dire ? C’est ce travail que j’exerce depuis maintenant 13 ans. Grâce à ça, je ne vole pas, je m’occupe de ma femme et de mes deux enfants. Si les autorités peuvent nous aider à améliorer notre travail pour qu’on gagne mieux à manger, cela nous arrangerait », dit-il. Nous lui demandons de quelle aide il parle pour améliorer leur travail. « Par exemple, dit-il, couvrir notre lieu de travail. Quand il y a la pluie, on travaille difficilement,  idem aussi avec le soleil. Si on pouvait avoir un peu d’argent, on allait construire un hangar et arranger notre lieu de travail », répond-il. « Arranger notre lieu de travail », Issaka venait ainsi de pointer du doigt  une réalité dont lui  et  ses camarades ne sont pas fiers. Cette réalité, ce sont les conditions d’hygiène sur les aires d’abattage des poulets. Et  le « lieu de travail » dont  parle Issaka, ne fait pas exception.  En effet, il s’agit d’un petit espace aménagé, bien carrelé mais ô combien répulsif.  Le mélange du sang des poulets égorgés à l’eau, les plumes, les intestins et autres excréments de poulets sont autant de saletés éparpillées sur le sol, sans oublier  les mouches qui se les disputent. Dans un coin, se trouve une  table noircie  par le  sang  reçu au quotidien et sur laquelle sont déposés les poulets sortis de l’eau chaude et prêts à être arrangés.  Là également,  plumes, intestins et autres excrétas, etc., se disputent l’espace, avec la « bénédiction » des mouches.  Juste à côté, un vieux seau tout sale, sert de poubelle aux intestins. En effet, c’est dans ce dernier que sont rassemblés tous les intestins du jour sortis des « entrailles » des poulets égorgés. Tout juste devant la table,  à l’angle, se trouve  une marmite de 10 kg posée sur trois gros cailloux, noircie par les années de feu qu’elle a eu à supporter. Sous la marmite, deux morceaux de bois de chauffe allumés, dégagent une fumée blanche. La noirceur de  la marmite laisse penser aisément qu’elle a passé des années sans avoir reçu un semblant de « bain ». L’eau chaude à l’intérieur, de couleur rouge noirâtre, est celle dans laquelle sont plongés auparavant les poulets égorgés avant d’être plumés. C’est donc dans cette ambiance que sont arrangés les poulets, lorsqu’un client en fait la demande. Interpellé sur l’insalubrité qui règne sur les lieux, M. Zoundi, le maître des lieux, dit en être conscient et  évoque le manque de moyens financiers. Selon lui, l’argent perçu journalièrement de cette activité, ne permet pas d’économiser et d’entreprendre des travaux d’innovation du lieu. « J’ai au total sept jeunes qui arrangent les poulets. Il se trouve que le marché, il y a des jours où ils peuvent en arranger 100, 200, voire 300 ou même plus à raison de 100 F CFA par tête de poulet. Mais quand un client nous envoie 50 poulets,  100 ou plus pour les arranger, on fait l’unité à 50 F CFA.  A la descente, le soir, on comptabilise, on déduit l’argent de l’eau achetée à la pompe pour le travail, le bois de chauffe qui fait au minimum 1 000 F CFA jour ou souvent plus, l’argent qui revient de droit à chacun des  jeunes. Finalement, on se retrouve avec presque rien. Dans ces conditions, il est difficile d’économiser et entreprendre quelque chose. Nous faisons avec les moyens du bord, ce n’est pas facile », explique M. Zoundi.

Des efforts pour rendre les lieux propres

 

Toutefois, il dit faire de son mieux pour rendre le cadre un tant soit peu propre, ce, grâce aux conseils des techniciens du service d’hygiène qui font souvent des contrôles du lieu et  l’invitent à tenir les lieux propres. « C’est dans la journée que vous voyez que c’est sale. Le soir, si vous venez ici, tout est propre. Les jeunes balaient et lavent les lieux proprement. Ce sont les agents du service d’hygiène qui m’ont conseillé de carreler l’aire d’abattage et je l’ai fait. On essaie de suivre leurs conseils », dit-il. A la question de savoir ce que deviennent les plumes, intestins et autres eaux sales, il répond : « Des éleveurs de porcs viennent ramasser les intestins et les eaux sales pour leurs animaux. Ils font  bouillir tout, y ajoutent du sel et mélangent le tout pour  nourrir leurs porcs.  Selon eux, c’est très nourrissant pour les porcs. Ils nous débarrassent donc de ces ordures. Quant aux plumes, il y a des cultivateurs qui viennent  de Zagtouli, Yimdi et Boassa, les ramassent pour aller en faire de l’engrais. Rien n’est jeté ici. Et quand ils ne viennent pas, nous avons une fourgonnette qui se charge de tout ramasser et aller jeter dans la brousse ».

Si M. Zoundi a, lui, eu la chance d’être débarrassé de ses ordures, ce n’est pas le cas au marché de Nemnin, à la Cité An 3, présenté, dit-on, comme le plus grand marché de volailles de la ville de Ouagadougou et où sont plumés des centaines voire des milliers de poulets par jour. Là, ce sont plusieurs aires un peu plus vastes qui ont été aménagées, couvertes pour certaines et bien carrelées pour d’autres. De petits passages où stagnent eaux sales mélangées aux plumes avec une odeur nauséabonde, ont été aménagés pour faciliter l’évacuation des eaux sales. Une chose est sûre, le constat en ces lieux n’est pas meilleur que celui de M. Zoundi à Gounghin yaar. Les poulets sont souvent plumés à même le sol, sur les tas de plumes mélangés au sang, l’eau et autres saletés et sur lesquelles de grosses mouches noires voltigent. Et cela, malgré souvent la présence de tables. Selon Elie Nikiéma,  arrangeur de poulets au marché de volailles de Nemnin et chef d’une équipe de trois personnes, c’est une grande quantité de plumes qui sort dudit marché par jour. A l’en croire, pour ce qui concerne son groupe, c’est un charretier qui vient ramasser chaque soir les ordures pour aller les jeter au niveau  du dépôt d’ordures de Toudbwéogo, à la périphérie de Ouagadougou. Il arrive, dit-il, qu’il débourse 1000 à 1 500 F CFA par jour pour cela, le prix variant  en fonction de la quantité ramassée. Une information qui sera confirmée par Seydou Zida, lui aussi chef d’une équipe. Selon ce dernier, heureusement que les éleveurs de porcs viennent les débarrasser des intestins et autres eaux sales. Sinon, la facture serait plus salée. Interpelés sur l’insalubrité régnant sur les lieux, ils confient qu’ils font du mieux qu’ils peuvent pour rendre les lieux propres, comme le leur recommandent les techniciens du service d’hygiène. « Chaque soir, nous balayons et lavons les espaces et le matériel proprement. Dans la journée, avec le travail, les gens pensent qu’on ne fait rien mais si vous venez ici le soir, vous verrez que tout est propre », soutiennent-ils.

Il y a urgence à agir

 

Aux marchés de volailles de Katr-yaar et de Nabi-yaar en face de l’hôpital Saint Camille, la situation n’est guère plus reluisante. Si à Gounghin yaar et Nemnin ces aires sont carrelées, ce n’est pas le cas pour ces deux derniers cités. Non seulement les espaces aménagés en ces lieux sont restreints, mais le travail est fait à même le sol, sur la terre rouge. Ce qui complique l’entretien, puisqu’il est  difficile de laver  correctement avec de l’eau. Pourquoi ne faites-vous pas l’effort de carreler au moins vos espaces pour les laver aisément ?, avons-nous demandé. Le refrain est le même, comme partout où nous sommes passés : manque de moyens financiers. A cette allure, assistera-t-on un jour à une amélioration des choses sur ces aires ?

Pour Hortense Nonguierma, une cliente que nous avons rencontrée au marché de volailles de Nabi-yaar, il urge d’agir pour donner à ce secteur d’activité un visage plus rayonnant.  «  Ma sœur réside  à l’étranger et elle  a demandé de lui envoyer des poulets. Je suis donc venue en prendre et j’attendais qu’on me les arrange. Je salue les jeunes qui font ce travail, parce qu’ils nous sauvent. Un poulet arrangé  fait 100 F CFA ; je pense que c’est du donné. On gagne en temps, on ne dépense pas d’énergie pour chauffer l’eau, plumer, etc. », se réjouit Mme Nonguierma qui déplore toutefois le manque d’hygiène sur les lieux. « Quand on jette un coup d’œil sur l’endroit où les poulets sont égorgés et arrangés, j’avoue que ça n’encourage pas. Mais ils sont incontournables et je pense que ces jeunes  gagneraient à être  encadrés, sensibilisés. Aussi, faut-il qu’on leur trouve un cadre idéal,  plus approprié et hygiénique pour mener à bien le travail, pour le bonheur de tous », a-t-elle souhaité. Mais, un client venu acheter des poulets au marché de Katr-yaar et qui a requis l’anonymat, est catégorique. Lui, préfère acheter ses poulets et aller les plumer lui-même. Lorsqu’il organise une grande cérémonie chez lui, il s’entend avec un ou deux jeunes qui viennent faire le travail chez lui à domicile. « Au moins, je sais que l’hygiène est garantie. Ce qui n’est pas le cas sur ces aires d’abattage qui sont répugnantes. Il faut que nos autorités exigent qu’un minimum de propreté soit respecté sur ces lieux. Celui qui ne le fait pas, qu’on ferme son coin ; c’est simple. Tant qu’on ne va pas rougir les yeux, ces gens vont toujours dire qu’ils n’ont pas les moyens de le faire et il n’y aura aucune amélioration. Il faut être strict, c’est tout ! », a martelé notre anonyme.

Pour Moumouni Bambara, vendeur de poulets au marché de Nemnin, il leur suffit juste d’un petit coup de pouce pour améliorer leurs conditions de travail. Pour cela, il lance  un appel aux autorités à jeter un regard sur ce secteur. « Dans presque tous les secteurs d’activités, les banques ou des structures sont prêtes à accorder des prêts aux acteurs pour faire fructifier leurs affaires. Nous, ce n’est pas le cas, aucune structure financière ne s’intéresse à nous. Nous profitons de votre micro pour leur lancer cet appel afin qu’elles s’intéressent également à nous. Si nous bénéficions d’appuis, nous allons améliorer notre chaîne de travail », a-t-il confessé.

Une chose est sûre, le plumage des poulets fait vivre beaucoup de familles à Ouagadougou. C’est donc dire que c’est un secteur d’activité devenu incontournable. Par conséquent, il requiert de l’attention, pour le bien-être des acteurs mais aussi des consommateurs.

Colette DRABO

 

 

 

 

Abdoulaye Nabaloum, chef de service de l’hygiène alimentaire et de l’éducation pour la santé à l’arrondissement 11 de la commune de Ouagadougou

 

« Le Pays » : En quoi consiste concrètement le travail du service d’hygiène d’une mairie ?

 

Il faut dire que notre travail  est vaste. Nous nous occupons de l’hygiène des denrées alimentaires, de l’éducation pour la santé. Pour ce qui est du volet hygiène alimentaire, cela couvre tout ce que nous consommons (aliments, viandes, boissons, etc.). Nous tentons d’assurer un minimum de conditions d’hygiène. Pour le volet éducation pour la santé, c’est le bien-être au sein des familles, des lieux publics et dans la ville en général.

Nous allons nous intéresser au cas particulier du volet hygiène alimentaire, notamment en ce qui concerne la viande,  en l’occurrence la volaille. On constate que des  aires d’abattage ont été érigées dans des marchés, mais le hic est qu’il y a un problème d’insalubrité sur ces aires. Que faites-vous en la matière ?

Il y a certes des difficultés et c’est d’ailleurs l’une de nos raisons d’être. Par rapport à la situation actuelle, notre but est de tout faire pour améliorer les choses, c’est-à-dire améliorer le niveau d’hygiène sur ces sites. Pour ce faire, nous effectuons des sorties au moins deux fois l’an, pour des contrôles. Nous sensibilisons les acteurs en les invitant à observer des règles d’hygiène sur leur lieu de travail. Aussi,  lorsque nous avons des échos selon lesquels il y a des difficultés sur un site d’abattage de poulets, immédiatement, nous nous y rendons pour apporter des solutions.

Une de vos missions est de sensibiliser les travailleurs de ce secteur à améliorer leur cadre. Mais que faites-vous lorsque quelqu’un ne fait aucun effort en la matière ?

 

Rarement, il y a des réticences en ce qui concerne ces gens. Nous leur faisons comprendre qu’améliorer ces sites, vise d’abord leur bien-être, leur santé mais également la prospérité de leurs affaires. Parce que lorsque vous êtes dans un lieu insalubre et qu’un client vient le constater, ce n’est pas évident que ce dernier reviendra vers vous encore. En général, ils collaborent mais  évoquent très souvent le manque de moyens financiers. Il n’y a jamais eu de désaccord entre eux et nous. Ils nous font des promesses mais les changements n’avancent pas au rythme souhaité.  Sinon, on sent, à chaque fois, qu’un effort est fait pour améliorer la situation.

 

Propos recueillis par CD

 

 


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