PRESIDENTIELLE GUINEENNE : Vers le triomphe des vieux démons
Au lendemain de la présidentielle du 11 octobre dernier en Guinée, alors que l’on croyait avoir conjuré le mauvais sort avec la tenue, dans le calme, de ce vote, les indicateurs de l’atmosphère sociopolitique sont en train de virer dangereusement au rouge. En effet, dès le lendemain du scrutin, sans même attendre la proclamation des résultats, les sept candidats opposés au président sortant, Alpha Condé, ont dénoncé des fraudes et annoncé qu’ils rejetteront les résultats du scrutin. Même si du côté du pouvoir, l’on en appelle au sens de la responsabilité de l’opposition, il y a lieu de craindre que le calme qui règne à Conakry, ne soit celui qui précède la tempête. Car, avec ces derniers développements, l’on peut dire que la Guinée est en train de réunir les ingrédients d’une crise post-électorale, à l’image de celle de 2010, née justement de la contestation des résultats de la présidentielle. S’achemine-t-on alors vers un triomphe des vieux démons ? Il faut espérer que non, même si la situation ne pousse pas à l’optimisme, compte tenu de la complexité des enjeux.
La démocratie semble une fois de plus piégée
En effet, même sans le dire, Cellou Dalein Diallo est loin d’avoir digéré sa défaite de 2010 et ne paraît pas disposé à se laisser «voler» une nouvelle fois une éventuelle victoire. Et la situation est d’autant plus explosive qu’Alpha Condé, lui, tient mordicus à son deuxième mandat, alors qu’en cas de défaite, son principal challenger risque de voir ses rêves s’envoler une nouvelle fois. Si fait que l’on a l’impression que les deux favoris jouent leur va-tout. Alpha Condé qui, en l’absence de ses soutiens supposés ou réels de 2010, notamment les ex-présidents burkinabè Blaise Compaoré et français, Nicolas Sarkozy, ne voit pas d’autre issue qu’une victoire au premier tour pour sauver sa tête et éviter un éventuel deuxième tour annonciateur de tous les dangers. Et Cellou Dalein Diallo pour qui ce scrutin ressemble fort à celui de la dernière chance. La question que l’on se pose est celle de savoir si les irrégularités observées sont de nature à remettre en cause la régularité du scrutin. D’autant plus que dans le cas d’espèce, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), elle-même a reconnu ses insuffisances, toute chose qui peut laisser penser que le scrutin a été effectivement bâclé. De quelle manière et quelle en est l’ampleur ? Nul ne saurait vraiment le dire dans la situation actuelle. Pour l’opposition, les fraudes ont été massives et pour cela, elle demande l’annulation pure et simple du scrutin. Mais du côté du pouvoir, l’on semble en minimiser l’ampleur. Dans une telle atmosphère, qui croire et qui ne pas croire ? En tout cas, pour les observateurs de l’Union africaine et de l’Union européenne, qui n’ont pas manqué de stigmatiser le laxisme de la CENI et relevé des constats avérés de dysfonctionnements, le scrutin s’est malgré tout déroulé dans la sérénité et le calme, avec une participation appréciable des Guinéens. Une rengaine bien trop souvent entendue. En invitant les différents acteurs à recourir aux voies légales de contestations, ces observateurs internationaux se réfugient très souvent derrière un argument confortable qui, à bien des égards, cache mal un comportement à la Ponce Pilate. Ce qui pourrait être dramatique si c’était vraiment le cas, dans un contexte pour le moins tendu où chacun des protagonistes professe sa bonne foi, tout en soupçonnant l’autre de félonie. En tout cas, la démocratie semble une fois de plus piégée en Guinée. Et il appartient aux Guinéens en premier, particulièrement à la classe politique, de faire preuve de patriotisme et de hauteur de vue pour éviter d’entraîner le pays dans le chaos. Car, même si l’opposition obtenait l’annulation du scrutin, cela ne serait pas sans conséquences en termes de moyens financiers et logistiques à remobiliser pour une éventuelle reprise. Où et en combien de temps trouver de nouveaux financements ? Combien de temps faut-il pour toiletter le fichier électoral en vue d’aboutir à des élections propres et acceptées de tous ? Autant de questions qui, assurément, montrent la complexité d’une situation qui mérite d’être traitée avec doigté et clairvoyance, au-delà des passions, en ayant à l’esprit que seul doit prévaloir l’intérêt de la Guinée.
Les djinns de l’instabilité et de la violence refusent toujours de rentrer dans leur bouteille en Guinée
Certes, l’opposition guinéenne se trouve aujourd’hui quelque peu piégée, même si l’on ne peut pas lui reprocher d’être allée à cette élection après en avoir demandé sans succès le report. Et si l’on peut lui reprocher une certaine propension à la contestation systématique, comme beaucoup de ses consœurs africaines lorsqu’elles sentent que les carottes sont cuites pour elles, l’on ne saurait non plus absoudre le pouvoir en place qui donne finalement le sentiment de se complaire dans les errements et les insuffisances d’une CENI qui semble servir ses intérêts. Sinon, comment comprendre qu’en 2010, les mêmes problèmes logistiques aient été posés, que la même CENI ait été accusée de tous les maux et que cinq ans plus tard, rien n’ait été fait dans le sens d’une amélioration de l’organisation des scrutins ? Comment ne pas penser, dans ces conditions, que l’attitude de la CENI est un désordre organisé, qui arrange bien le parti au pouvoir ? D’autant plus que depuis des mois, le président Alpha Condé est resté sourd aux revendications de l’opposition. Peut-être cherchait-il à pousser l’opposition à l’erreur, c’est-à-dire un éventuel boycott qui lui aurait permis de faire cavalier seul pour voler allègrement vers la victoire. L’opposition n’ayant pas mordu à cet hameçon, il n’est pas exclu qu’il ait prévu dans un plan B, des mécanismes qui pourraient mieux lui permettre de tirer son épingle du jeu. Surtout qu’il a été échaudé par l’épisode de 2010 où il n’a dû sa victoire qu’à un retournement spectaculaire de situation entre le premier et le deuxième tour. En tout état de cause, la Guinée et les pays africains dans leur grande majorité, gagneraient à travailler non seulement à plus de transparence dans l’organisation des scrutins, mais aussi à rompre définitivement avec la lenteur dans la proclamation des résultats. Cela pourrait contribuer à éviter bien des crises post-électorales. C’est une question de volonté politique. Et pour peu qu’on le veuille, on peut le réaliser en y mettant les moyens nécessaires, à l’instar du Sénégal ou du Nigeria qui en ont déjà donné l’exemple en proclamant les résultats en moins de 24 heures après la fermeture des bureaux de vote. En attendant, on peut dire que les djinns de l’instabilité et de la violence refusent toujours de rentrer dans leur bouteille en Guinée. Et il n’est pas exclu qu’en cas de dégradation et de pourrissement de la situation, la Grande muette s’invite au débat, en troisième larron.
« Le Pays »