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SANCTIONS DE BRUXELLES CONTRE SHADARY ET COMPAGNIE


 L’UE va-t-elle lâcher le peuple congolais pour les diamants de Kabila ?

La campagne pour la présidentielle du 23 décembre prochain bat son plein en République démocratique du Congo (RDC). La tension aussi. C’est le moins que l’on puisse dire avec l’incident qui s’est produit, hier, 9 décembre dans le Kasaï, où les militants de la majorité et ceux de l’opposition se sont affrontés, faisant six blessés. Or, c’est en principe, aujourd’hui, 10 décembre 2018 que le Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) va décider de la prolongation ou pas des sanctions contre Emmanuel Ramazani Shadary et compagnie. Ces sanctions, rappelons-le, ont été prises le 12 décembre 2016 et le 29 mars 2017. Elles consistent en un gel des avoirs et une interdiction de visa pour l’UE.

Bruxelles n’a pas intérêt à chercher des noises à Shadary

Bruxelles entendait par-là apporter une réponse aux entraves à une sortie de crise consensuelle en RDC. Sont concernées par ces sanctions, des figures de proue du FCC (Front commun pour le Congo) dont le dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary. La grande question est de savoir si l’UE va lâcher le peuple congolais pour les diamants de Joseph Kabila. L’on peut prendre le risque d’anticiper les choses en pronostiquant pour un abandon pur et simple des sanctions par Bruxelles, pour les raisons suivantes. La première raison est que, pour se donner bonne conscience, l’UE peut arguer que depuis le renoncement de Joseph Kabila à briguer un troisième mandat, les entraves à une sortie de crise consensuelle ont été pratiquement levées. En effet, avant ce renoncement, la crise politique congolaise s’était enlisée au point que l’on ne voyait pas poindre à l’horizon une sortie de crise. Ce goulot levé, l’UE peut estimer que la raison essentielle pour laquelle elle avait choisi de sévir contre les 16 officiels congolais, n’est plus d’actualité. La deuxième raison pour laquelle l’UE peut opter pour le non-maintien des sanctions, est liée à son souci de préserver ses intérêts dans ce pays dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il constitue un véritable scandale géologique. Cette posture mercantiliste, peut-on dire, tient d’autant plus la route que la personne la plus éminente de la liste de l’UE, c’est-à-dire Emmanuel Ramazani Shadary, a de réelles chances de succéder à son mentor Joseph Kabila. Bruxelles n’a donc pas intérêt à lui chercher des noises. Et ce calcul d’intérêt n’est pas sans rappeler la position de Donald Trump dans l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien en Turquie.

Dans cette sordide affaire, rappelons-le, l’implication du prince héritier   est pratiquement unanimement reconnue. Même les Etats-Unis n’en doutent pas. Pour autant, Donald Trump n’est pas prêt à lâcher Ryad au risque de le voir basculer dans le camp des adversaires des Etats-Unis. Cet argumentaire fétide, Donald Trump l’a brandi sans gêne face à tous ceux qui appelaient à une rupture des relations diplomatiques entre le pays de l’Oncle Sam et l’Arabie Saoudite. La leçon à retenir, c’est que les questions liées aux droits humains sont sacrifiées sur l’autel des intérêts des Etats. Cette règle froide de la realpolitik guide la politique étrangère des grands de ce monde. Et les Etats qui comptent le plus au sein de l’UE, sont dans cette logique.

Cette position opportuniste de l’UE est révélatrice de la grande hypocrisie dont elle fait parfois preuve

De ce point de vue, la France et l’Allemagne, pour ne pas les nommer, peuvent passer par pertes et profit les atteintes graves aux droits humains dont Shadary et compagnie se sont rendus coupables pour ne prendre en compte que ce qu’elles gagnent en coopérant avec la richissime RDC. La troisième raison pour laquelle l’UE pourrait opter pour le non-maintien de ses sanctions, est liée au soutien de poids que le gouvernement congolais a reçu de la part de l’Union africaine (UA). En effet, lors du Conseil paix et sécurité le 19 novembre dernier, les chefs d’Etat de cette institution avaient appelé à la levée de toutes les sanctions individuelles contre des personnalités congolaises, afin « de créer un environnement propice à la tenue d’élections libres, transparentes et apaisées ». Comme on le voit, les choses ne souffrent d’aucune ambiguïté du côté de l’UA. Et l’on voit difficilement l’UE se montrer plus royaliste que le roi en prolongeant ses sanctions contre Shadary et compagnie. Cette perception est d’autant plus pertinente que ce genre d’organisations s’entendent comme larrons en foire. Et très souvent, cela se fait sur le dos des peuples. La dernière raison qui peut amener l’UE à revoir sa copie, est liée à la menace de rétorsion brandie par Kinshasa au cas où les sanctions ne seraient pas abandonnées. Ce qui nourrit l’ire de Kinshasa, c’est que ces sanctions, selon les autorités, sont « un cas flagrant d’ingérence inacceptable dans le processus électoral congolais de la part de l’UE ». Il est vrai que l’UE attribue ses notes sur la démocratie, à la tête du client. Joseph Kabila est loin d’être un démocrate certes, mais son cas n’est pas isolé en Afrique centrale. Or, l’UE ne s’est pas toujours montrée ferme vis-à-vis des autres satrapes de cette partie du continent noir. L’on peut, en guise d’exemple, prendre le cas de l’homme mince de Kagali. En effet, Paul Kagamé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, bien qu’il soit au degré 0 de la démocratie, pour reprendre un peu un des titres de Roland Barthes, a très souvent reçu une attitude de bienveillance de la part de l’UE. En tout cas, Shadary et compagnie peuvent dormir tranquillement. La probabilité est forte, en effet, que l’UE revienne à de meilleurs sentiments à leur endroit. Déjà, du côté de Bruxelles, on promet à Kinshasa de réexaminer la situation dans les mois qui vont suivre les élections. Cette position opportuniste de l’UE est révélatrice de la grande hypocrisie dont elle fait parfois preuve dans ses relations avec les satrapes africains.

Et ce ne sont pas les sorties indignées des mouvements des droits humains d’Afrique et d’ailleurs qui peuvent changer la donne.

«Le Pays »


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