HomeNon classéLE SYNAF A PROPOS DU PUTSCH MANQUE DU 16 SEPTEMBRE : « Le zèle excessif pourrait tuer le procès »

LE SYNAF A PROPOS DU PUTSCH MANQUE DU 16 SEPTEMBRE : « Le zèle excessif pourrait tuer le procès »


Ceci est une déclaration du Syndicat national des avocats du Burkina Faso sur le putsch manqué du 16 septembre dernier, perpétré par l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP). L’Ordre des avocats dénonce une violation des dispositions en matière de procédure. C’est pourquoi, dit-il, « le zèle excessif pourrait tuer le procès ». Lisez !

 

Le Syndicat des Avocats du Burkina Faso (SYNAF), au sujet du putsch de septembre 2015, a déclaré le 17 septembre 2015 qu’il «le condamne avec la plus grande fermeté. Il appelle l’ensemble de ses militants à se joindre aux actions en cours  en vue de restaurer sans condition l’ordre constitutionnel et l’Etat de droit. Il appelle l’ensemble des bonnes volontés à réunir et conserver toutes preuves de toutes infractions contre les biens et les personnes, exhorte les Avocats à conseiller, en tant que de besoin, toutes mesures ou diligences pertinentes propres à faciliter la bonne administration de la justice. Il appelle enfin les autorités de poursuite des Juridictions nationales et internationales, en particulier Madame le Procureur de la Cour pénale internationale à s’intéresser au cas burkinabè, théâtre de crimes-types contre l’humanité».

Si on peut se féliciter des poursuites engagées, il faut s’inquiéter en revanche de certains actes dont on peut raisonnablement douter de la pertinence et des conséquences qu’ils peuvent avoir sur la validité de la procédure, d’une part. Il en est de même des actes de nature à violer les garanties de liberté et l’indépendance des avocats telles que consacrées par les aménagements du législateur, qui, si elles sont bafouées, ne permettront jamais un procès équitable.  Les poursuites doivent absolument être exercées dans le strict respect des règles qui sont les seules gardiennes de tous, dans une République sérieuse.

Or, c’est tout le contraire qu’il a été donné de voir dans la procédure suivie depuis lundi 25 avril 2016 contre Maître Mamadou S. Traoré, Avocat burkinabè.

Pour le comprendre, il faut rappeler que l’article 6 du Règlement UEMOA prescrit clairement que « les avocats ne peuvent être entendus, arrêtés ou détenus sans ordre du procureur général près la Cour d’appel ou du président de la Chambre d’Accusation, le Bâtonnier préalablement consulté». Cette règle est une garantie de la liberté et de l’indépendance de l’Avocat et sa finalité est de permettre au Bâtonnier  de s’assurer que sous le couvert de préventions tout à fait alarmantes ou plutôt séduisantes, l’autorité ne veuille nuire à un avocat qui fait montre d’indépendance et de liberté dans l’exercice de son magistère. On se rappelle que ce fut le cas lorsqu’un juge militaire, en 2003, avait inculpé Me Prosper Farama sous le couvert d’une prétendue atteinte au secret de l’instruction, avant qu’on ne réalise qu’il n’en était rien, mais qu’il était victime d’un détournement de procédure pour son esprit d’indépendance et de liberté.

Cette obligation de « consultation » du bâtonnier emporte des implications dont la principale est la communication des éléments

de faits matériels qui sont reprochés à l’avocat. C’est la seule manière par laquelle le Bâtonnier peut s’assurer que les faits poursuivis n’ont rien à voir avec l’exercice professionnel de l’avocat ou sa liberté et son indépendance.  Cela se fait fréquemment depuis l’entrée en vigueur du Règlement UEMOA sans que cela ne pose problème.

Dans le cas de Maître Mamadou S. Traoré, le procureur général a écrit au Bâtonnier le 30 mars 2016 pour lui dire que le juge d’instruction militaire entend poursuivre Mamadou Traoré et qu’il le consultait à ce sujet. Il n’a indiqué nulle part les faits qui étaient reprochés à l’intéressé. Dans une réponse au procureur général le 1er avril 2016, le  Bâtonnier lui a demandé d’indiquer les faits matériels qui sous-tendraient une telle poursuite, sans quoi, il lui est impossible de savoir quels liens il peut y avoir avec l’exercice de la profession ainsi que la garantie de l’indépendance. Depuis cette date, le procureur général n’a plus rien dit, ni par écrit ni téléphoniquement… jusqu’à ce que d’abord, l’on apprenne dans un journal de la place qu’il y aurait un mandat d’arrêt. Dans une audience accordée à une délégation de l’Ordre le jeudi 21 avril 2016, du reste, le procureur général a déclaré être d’accord avec la lecture de l’article 6 faite par le barreau (il ne saurait en être autrement) et avoir demandé au juge d’instruction de mettre les éléments à la disposition du Bâtonnier afin qu’il puisse apprécier. Curieusement, le lendemain 22 avril 2016, Me Mamadou S. Traoré a reçu une simple convocation du juge d’instruction pour le 25 avril 2016. C’est ce dernier jour que l’on saura, contre toute attente, que le même procureur général avait, dans une lettre datée du 1er avril 2016, donné l’ordre de poursuite au motif qu’il aurait consulté le Bâtonnier et que celui-ci «a donné son opinion».  Cela est bien regrettable et de la part du procureur général et de la part du juge d’instruction lui-même, tous astreints, tout comme Me Mamadou S. Traoré au respect des lois.

D’abord, le SYNAF constate que pour le même Tribunal, tantôt le Règlement UEMOA est considéré comme non applicable devant lui (cas des avocats de l’UEMOA éjectés de la procédure), tantôt il est applicable, mais mal appliqué. Plus précisément, il y a eu, en l’espèce, une atteinte grave et délibérée aux règles de garantie de la liberté et d’indépendance de l’avocat, essence de notre profession, le tout, sur fond de mépris de notre Ordre, ce qui est un précédent très grave et inacceptable. Le SYNAF rappelle que c’est en vertu de la croyance en cette garantie que les avocats acceptent le sacrifice fait dans la tenue des audiences, notamment criminelles où l’Etat leur demande, hors les conditions habituelles d’exercice, de se charger de la défense de personnes à qui l’Etat doit procurer défense de par ses engagements internationaux. Si donc, cette garantie était ignorée, il ne reste plus qu’à en prendre acte et les avocats ne manqueront pas d’en tirer les conséquences le moment venu.

Ensuite, le SYNAF appelle l’autorité de poursuite à demeurer dans les références de la loi, même quand celles-ci, par ces temps de populisme, semblent dicter autre chose que ce qui est souhaité par une certaine opinion. Le but de la procédure est de parvenir à une justice équitable où tout n’est pas permis ni à l’autorité judiciaire ni aux parties et, de son respect dépendront les résultats du procès, source de paix et d’équilibre de notre société juridique. L’autorité juridictionnelle qui a peu de respect pour les règles de procédure ne rend service à rien ni à personne, hormis peut-être, le fait qu’elle se ferait passagèrement plaisir à elle-même, ce qui, semble-t-il, est totalement étranger à sa mission. Une telle autorité serait inutile à la victime et à la Justice, puisque les actes pris dans cet irrespect font peser de graves risques d’annulation pure et simple de la procédure, avec ce que cela comporte comme conséquence. Il faut se rendre à l’évidence, le zèle excessif pourrait tuer le procès ou lui réserver une issue incertaine. On pourrait encore s’égosiller, le moment venu, sur l’indépendance réelle de ceux qui ont jugé si la procédure venait à être annulée.

Par ailleurs, le SYNAF qui a toujours eu pour préoccupation majeure, le respect des règles et le rejet des abus de pouvoir d’où qu’ils viennent, rappelle que c’est ce genre de liberté prise avec les règles qui a fait le lit des frustrations sous le régime déchu, et fragilisé la Justice, perçue comme un serpent rampant qui mord ceux qui sont à terre et les plus faibles. Il n’y aura jamais ni gloire ni honneur à persister dans cette logique, d’autant plus que le respect de la procédure est simple et n’entrave en rien la découverte de la vérité recherchée.

En conclusion, de tout ce qui précède, le SYNAF, tout en réitérant l’impérieuse nécessité de poursuivre tous les auteurs, co-auteurs et complices des actes du putsch, dans la stricte légalité : proteste et condamne le mépris délibéré et inconsidéré des dispositions garantissant la liberté et l’indépendance de l’avocat et du barreau; appelle les avocats à rester sur des positions de lutte dans l’attente des résolutions à venir afin que cessent les violations des règles de procédure, notamment celles qui entravent le libre exercice et l’indépendance du barreau; demande au Bâtonnier et au Conseil de l’Ordre de prendre toutes dispositions pertinentes pour le strict respect de tout le Règlement UEMOA, en particulier, ses dispositions relatives à la garantie d’indépendance du barreau et de l’avocat ;

reste attentif sur les suites à donner aux présentes.

Défendre, se défendre, toujours servir !

 

Ouagadougou, le 26 Avril 2016.

 

Le Secrétaire Général

 

Batibié BENAO


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