HomeA la uneTRANSITION POLITIQUE AU BURKINA :La position du Cardinal Philippe OUEDRAOGO

TRANSITION POLITIQUE AU BURKINA :La position du Cardinal Philippe OUEDRAOGO


Les clercs peuvent-ils participer à l’exercice du pouvoir civil au Burkina Faso ? En d’autres termes, le futur président de la transition peut-il être un évêque ou un prêtre ? Nous lirons dans les lignes qui suivent, la réponse à ces questions que donne l’abbé Joseph Kinda, chargé de communication de la conférence épiscopale du Burkina/Niger. Il donne la position du Cardinal Philippe et de tous les évêques du Burkina Faso.

 

 

TV-Maria : Monsieur l’abbé Joseph Kinda, vous êtes en charge de la communication des évêques du Burkina, pensez-vous comme d’aucuns le susurrent aujourd’hui, qu’un évêque sera le Président de la transition ?

Abbé Joseph Kinda : Les concertations entreprises par le colonel Zida, en accord avec toutes les forces vives de la nation, en vue de donner toutes ses chances à la transition, arrivent en effet à terme. Mais les rebondissements n’en finissent pas, sera-t-on tenté de dire. Et pour cause ? La Charte certes est définie, mais la grande question de savoir qui va conduire celle-ci se pose maintenant à tous les Burkinabè. Il semble effectivement qu’un certain accord se dégage parmi les acteurs principaux dans l’élaboration de cette Charte, en faveur de la nomination d’un clerc aux mannettes du navire burkinabè ; ce navire qui se prépare pour un voyage d’une durée de douze mois. Si cela est établi, nous pourrions y voir le signe de respect et de confiance placée en l’Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso, mais bien qu’un tel penchant fasse honneur à l’épiscopat burkinabè, il ne rencontre pas l’assentiment de nos évêques.

L’homme de la rue raconte en effet que cette proposition est réfutée par son éminence le Cardinal Philippe Ouédraogo. Qu’en dites-vous ?

Pour cette fois-ci, l’homme de la rue a raison. Pour permettre à ses prêtres de l’aider à faire comprendre aux fidèles laïcs, la position de l’Eglise catholique concernant le rôle du clerc en politique, le Cardinal a, comme dans une mise au point qui s’est voulue sobre, expliqué que l’incapacité canonique du clerc à exercer le pouvoir politique est un enseignement manifeste de l’Eglise catholique, ainsi qu’il est écrit dans le Canon 285 dans son paragraphe 3 : «  Il est interdit aux clercs de remplir les charges publiques qui comportent une participation à l’exercice du pouvoir civil ». Chargé de rassembler et de célébrer la concorde entre les hommes croyants chrétiens ou non, le clerc s’expose à manquer à cette mission lorsqu’il se lance dans la gestion du pouvoir politique. C’est un danger sur lequel le Canon 287, en son paragraphe 1, n’a de cesse d’attirer l’attention du clerc : « Les clercs s’appliqueront toujours et le plus possible à maintenir entre les hommes, la paix et la concorde fondée sur la justice », et de poursuivre dans son deuxième paragraphe : «  Ils (les clercs) ne prendront pas une part active dans les partis politiques ni dans la direction des associations syndicales, à moins que, au jugement de l’autorité ecclésiastique compétente, la défense des droits de l’Eglise et la promotion du bien commun ne le requièrent ». Le Cardinal Philippe veut nous faire voir qu’en choisissant d’imiter le Christ dans son option préférentielle pour les pauvres, le prêtre doit se garder de créer de nouvelles exclusions par une attitude qui se ferait trop militante et qui le pousserait imperceptiblement mais inéluctablement vers cette exclusion. Le risque est grand et bien des expériences chaotiques dans ce domaine ont été vécues dans certaines Eglises locales. Outre donc cette disposition canonique, la position du Cardinal est éminemment pragmatique.

Concrètement, que doit-on comprendre de la position du Cardinal qui semble être celle de tout l’épiscopat du Burkina Faso ?

 

Selon le Cardinal Philippe, les évêques, les prêtres et les religieux (ses) doivent se tenir loin de ce projet de se voir élu Président (e) de la transition au Burkina Faso.  Cette interdiction expresse, faite aux prêtres et aux religieux (ses) n’intéresse pas seulement la question de la présidence. Elle concerne également le fait de participer activement aux partis politiques, à la direction des associations syndicales, à l’exercice du pouvoir civil au sens large, donc au pouvoir législatif, exécutif et judiciaire tel qu’être député, ministre, président. C’est une interdiction qui se fonde sur l’essence et sur la finalité sacrée de la mission du clerc, en vertu de laquelle il est constitué signe et artisan d’unité et de fraternité entre les hommes. Expliquant cette position ecclésiale qui est loin d’être une opinion personnelle, le Cardinal, à ses pasteurs, disait ceci : « En marge de toute confrontation idéologique ou politique, il n’est jamais propre au prêtre ou à l’évêque d’être dirigeant ou fonctionnaire d’un pouvoir temporel. Il lui appartient d’être témoin et dispensateur des valeurs surnaturelles au nom du Christ et avec son pouvoir », puis d’ajouter qu’ « il a le devoir habituel et permanent de travailler à préserver la justice, la paix et la concorde entre les hommes ».

Le cardinal veut-il dire que l’Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso doit regarder en observateur distant, la question du choix du Président de la transition ?

Non, au contraire. Vous ne pouvez-pas conclure ainsi. Vous voyez bien que depuis l’insurrection populaire et les tractations qui s’en sont suivies en vue de trouver une résolution rapide de la crise, l’Eglise n’est pas restée en marge. L’épiscopat unis à son laïcat s’est impliqué. Mais c’est sur l’éventualité de donner un évêque ou un prêtre qui assure la présidence de la transition, que l’Eglise catholique au Burkina dit non. La constitution apostolique « Gaudium et Spes » du concile Vatican II, allait déjà dans ce sens, qui rappelle à tous que la mission confiée par le Christ à l’Eglise Catholique n’est pas politique, économique et sociale, mais surtout religieuse. Sa tâche première n’est donc pas d’organiser la vie politique, économique et sociale, mais de travailler au salut des hommes. En cela, il n’y a aucune volonté de fuir une responsabilité ou d’occulter la réalité que la terre est à gérer. Loin s’en faut. A contrario, l’Eglise a pleine conscience qu’elle est une famille où tous les membres doivent jouer leur rôle, dans le respect des états de vie de chacun, pour la réalisation du royaume. Ce qui fait dire au Cardinal Philippe que « L’Eglise respecte l’autonomie du politique, mais qu’elle demande aux chrétiens -plus spécialement aux laïcs- de s’engager en politique dans la diversité de leurs analyses et de leurs opinions ». « Si la hiérarchie de l’Eglise se réserve le droit d’exprimer son avis, poursuit-il, surtout quand il s’agit de défendre la dignité de la personne humaine ou le bien commun, elle se place cependant à distance de la gestion politicienne. C’est dire qu’il revient donc aux laïcs d’agir, de s’engager dans tous les domaines de la sphère politique, économique, culturelle ». Pour le Cardinal Philippe donc et pour ses confrères évêques du Burkina, l’Eglise catholique est solidaire avec le Peuple burkinabè et est disponible pour participer au processus de désignation du Président de la transition. Mais ils souhaitent que cette désignation, si elle doit honorer l’Eglise, se fasse parmi ses fidèles laïcs, d’ailleurs résolument tournés vers la réalité d’un laïcat plénier et responsable, en vue de laisser au clerc son rôle d’accompagnement. Il s’agit moins de question de neutralité que de la conviction pastorale de « se faire tout à tous » pour vaincre la fatalité des rivalités et des conflits inhérents à la chose politique.

Itw. réalisée par Chantal NIKIEMA (TV-Maria)

www.egliseduburkina.org


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