HomeA la uneVIOLATION DE L’ANONYMAT DE TEMOINS A CHARGE DANS LE PROCES GBAGBO : A qui profite cette bourde ?

VIOLATION DE L’ANONYMAT DE TEMOINS A CHARGE DANS LE PROCES GBAGBO : A qui profite cette bourde ?


 

L’identité d’au moins quatre témoins protégés a été diffusée par erreur, dit-on, par la Cour pénale internationale (CPI) lors d’une audience à huis-clos pendant  laquelle les micros n’étaient pas fermés. Ces témoins étaient classés dans la catégorie « insiders » autrement dit, des repentis censés pouvoir décrire le fonctionnement du régime de Laurent Gbagbo de l’intérieur et avaient à ce titre été placés sous le système de protection de la Cour. Les blogueurs qui n’en demandaient pas mieux, se sont procurés rapidement l’enregistrement qu’ils ont vite mis en ligne par le mode streaming sur le site internet de la CPI. La responsabilité technique de la Cour n’est pas, a priori, engagée dans cette faute technique, mais  sa responsabilité morale ne souffre d’aucun débat. N’empêche que les conséquences  et les implications sont gravissimes.  Cette bourde, s’il faut encore l’appeler ainsi, qualifiée de « catastrophe » par le bureau du procureur, est révélatrice d’un amateurisme dangereux et d’un manque de rigueur qui confine au laxisme dans le travail des juges de la CPI. Car après avoir confondu une image enregistrée au Kenya à celle de la crise post-électorale ivoirienne, voilà encore que l’équipe de Bensouda met à mal son système de protection de témoins. De façon générale, les équipes d’enquête de la CPI devraient faire davantage preuve de discrétion tout au long du processus judiciaire, dans l’objectif de ne pas exposer leurs interlocuteurs. Pour ce qui est particulièrement du procès Gbagbo, la plupart des 138 témoins parlent sous le couvert de l’anonymat. Leur voix a été modifiée et sur l’écran de rediffusion, leur visage est flouté. Dans les cas les plus sensibles, la protection de la CPI prévoit que certains témoins puissent  disposer d’une sécurité renforcée à leur domicile. Ils peuvent être relocalisés aux frais de la CPI. Autrement dit, ils peuvent se faire reloger dans leur pays ou dans un pays tiers, voire changer d’identité. Au regard des derniers développements liés à la violation de son « programme de protection des témoins », peut-on encore dire que la CPI est en mesure d’assurer la sécurité des témoins ?  En tout cas, les prochains témoins pourront bien en douter car, apparemment, le principe de l’« intra muros » de Mme Bensouda  est un échec. Ce qui pourrait avoir des incidences graves sur la suite des procès.

Qu’en tant que témoin à charge, son nom soit publiquement cité, cela complique davantage sa situation

Si le système de protection des témoins de la CPI n’est pas fiable, cela met encore plus en danger les témoins à charge et leurs proches. C’est le cas du général Philippe Mangou, chef d’état-major sous Gbagbo, déjà déclaré persona non grata à Kouté, son village natal, après la chute de l’enfant de Mama qu’il est accusé d’avoir trahi. En tant que témoin à charge, son nom est publiquement cité, et cela complique davantage sa situation dans son patelin natal qui est pro-Gbagbo à 90%. Dans une Côte d’Ivoire où les séquelles de la crise de 2011 restent vivaces, la divulgation de l’identité de certains témoins pourrait être plus que dramatique. C’est peut-être, flairant le danger que le président Alassane Dramane Ouattara a appelé les Ivoiriens à la « sérénité » et « au bon sens de tous » aux fins de faire en sorte que « ces procès ne divisent pas davantage nos concitoyens maintenant que nous savons que les choses avancent bien, que la cohésion sociale se renforce ».  ADO sera-t-il entendu ? Difficile d’y répondre pour l’instant. Au niveau de la CPI, l’on pense que la divulgation de l’identité de témoins n’aura aucune conséquence sur la suite du procès. Seulement, entre le vœu et la réalité, il y a des vérités qu’on ne peut cacher. En tout état de cause, en voici une sacrée aubaine pour la défense. Elle ne manquera pas d’exploiter à fond cette dramatique gaffe pour bétonner son argumentaire. Cette bourde ressemble à une manne tombée du ciel pour Gbagbo. Toute chose qui peut inciter à croire que les marabouts de l’ex-président de Côte d’Ivoire sont forts ! Il faut désormais absolument éviter une troisième « bourde » qui pourrait définitivement remettre en cause la crédibilité d’une Cour qui en a déjà assez des critiques à son encontre.

Michel NANA


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