HomeA la uneDr KIENTEGA YOUSSOUPHE A PROPOS DU DIALOGUE INTERRELIGIEUX : « Les vraies raisons des guerres dites religieuses sont ailleurs »

Dr KIENTEGA YOUSSOUPHE A PROPOS DU DIALOGUE INTERRELIGIEUX : « Les vraies raisons des guerres dites religieuses sont ailleurs »


Il s’appelle Dr Kientega Youssouphe. Il est le coordonnateur national de l’Union des religieux et coutumiers du Burkina Faso pour la promotion de la santé et du développement (URCB/SD). Dans le cadre d’une démarche d’information et de sensibilisation sur les grands défis des temps modernes, nous avons rencontré ce pharmacien et hémobiologiste pour évoquer la question du dialogue interreligieux, en cette période marquée par l’extrémisme de tous bords. Lisez plutôt !

Le Pays : Qu’est-ce que le dialogue interreligieux ?

Dr Kientega Youssouphe : C’est la volonté de plusieurs personnes de milieux différents qui veulent se rencontrer pour se connaître, s’enrichir mutuellement, afin qu’ensemble, comme des frères et sœurs, elles puissent vivre dans l’harmonie la plus totale. L’aspect le plus important ici, c’est la tolérance, autrement dit, le respect mutuel dans la diversité de pensées et de croyances. Moi, je suis musulman et j’ai mon frère chrétien qui vit dans le même territoire que moi. Quand les chrétiens vont à la messe, ce n’est pas pour insulter Dieu. Ils magnifient Dieu à leur manière et moi, en tant que musulman, je comprends et respecte cela parce que c’est ce que moi aussi je fais quand je vais à la mosquée. Le principe du dialogue interreligieux, c’est de pouvoir nous rapprocher les uns des autres, malgré nos différences pour mieux se connaître et vivre ensemble dans le respect mutuel.

Est-ce que l’approche « dialogue interreligieux » permet de résoudre un certain nombre de problèmes qui pourraient survenir entre les religions ?

Bien sûr ! Mais il faudrait qu’on se mette d’accord. Le dialogue interreligieux ne veut pas dire syncrétisme religieux. Il ne veut pas dire que tel courant religieux abandonne ses dogmes au profit de l’autre. Pour le cas spécifique du Burkina Faso, le dialogue concerne essentiellement les chrétiens et les musulmans qui ont une base commune et sont de la même famille. Dieu dit dans le CORAN (S49/V13) : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur. »
Dieu nous a créés divers pour que nous nous entre-connaissions. S’il a permis qu’il y ait des noirs, des blancs, des jaunes, des chrétiens, des musulmans, des coutumiers, des ethnies différentes, ce n’est pas pour qu’on se fasse la guerre. Il faut se rapprocher pour mieux se connaître.

Comment le dialogue interreligieux, géré au niveau de la hiérarchie religieuse, est-il partagé à la base au niveau des fidèles ?

Une fois que les leaders religieux se sont compris (cela est déjà un acquis car ils se rencontrent régulièrement), ils font passer le message. Au Burkina Faso, on dit qu’il y a près de 63% de musulmans, environ 20% de chrétiens et les fidèles croient beaucoup à leurs leaders religieux. Pour certaines questions de société, je constate que les fidèles sont plus enclin à suivre leur pasteur, leur l’imam, leur prélat, ou leur chef coutumier que le politique. Si les leaders religieux s’accordent, les autres suivent. Les croyants ne sont pas des ennemis ; ils sont tous frères.

Quels sont les messages à passer dans le dialogue interreligieux pour que les uns et les autres puissent se comprendre ?

Le premier des messages, c’est l’éducation et la formation des fidèles. Quand les gens sont ignorants, toutes les dérives sont possibles. Il faut donc renforcer les connaissances de nos fidèles. Il est de la responsabilité des leaders religieux d’aider leurs fidèles à mieux connaître les choses à tous les niveaux. C’est pourquoi je salue sérieusement l’action de l’Eglise catholique qui a beaucoup d’écoles de formation. Au niveau des musulmans, on a commencé aussi à moderniser les médersas, mais on doit les renforcer avec les connaissances profanes. L’élément essentiel, c’est l’éducation et la formation. On enseigne la religion et en même temps le vivre-ensemble. Si Dieu nous a donné l’opportunité d’exister, ce n’est pas à nous de nous rendre la vie difficile sur terre. L’amour, la tolérance, la paix, sont des valeurs à promouvoir du côté des religions. Le Burkina Faso étant un Etat laïc, on demande aux fidèles de vivre la citoyenneté conformément aux règles de la République.

Avez-vous l’impression qu’au Burkina Faso toutes les conditions sont réunies pour que les religions cohabitent harmonieusement ?

Au Burkina Faso et à l’heure actuelle, nous vivons en parfaite harmonie car dans la plupart des familles, vous avez des musulmans et des chrétiens, mais il faudrait faire très attention parce que les extrémismes commencent à sortir des ailes. Et là, il revient effectivement aux leaders de donner l’information apaisée. Dans ma famille, par exemple, je suis musulman mais j’ai des frères chrétiens. On n’empêche personne de pratiquer sa religion. J’ai même financé l’éducation de mes cousins qui voulaient faire le petit séminaire pour être prêtres. Dans la tradition musulmane, il n’y a pas de contrainte en matière de religion. Le Coran dit à la Sourate 18 au Verset: 29. « Et dis : “La vérité émane de votre Seigneur”. Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroit ». Tu ne peux pas obliger une personne à être musulman. On demande au musulman de donner l’information à la personne, quitte à elle de choisir. Dans la tradition islamique, les enfants naissent musulmans mais ils peuvent, à l’âge adulte, malgré l’information reçue des parents concernant leur religion originelle, choisir une autre voie. L’Etat étant laïc, il doit être équidistant de toutes les religions et laisser chaque religion s’épanouir avec ses traditions de culte et vestimentaires, dans le respect de la loi bien entendu.

Vous avez émis un bémol dans la vie harmonieuse des religions au Burkina Faso. Avez-vous des inquiétudes par rapport à certaines pratiques ?

Il s’agit de la lecture qu’on fait de nos livres sacrés. Il y a des appréciations et interprétations assez dangereuses. Des gens sont allés étudier la religion ailleurs et à leur retour, ils estiment que la pratique des autres (anciens) n’est pas bien. Chez les chrétiens ou les musulmans, on retrouve presque les mêmes comportements. Des églises se créent dans les carrés, des petites mosquées se forment de plus en plus. Bref, des nouveaux venus se disent plus pratiquants que les autres. C’est ce type de gens qui vont nous créer des problèmes. C’est une minorité qui s’adonne au phénomène, mais il faut que les leaders religieux prennent les devants en donnant la bonne information. Les textes sacrés peuvent avoir plusieurs interprétations car souvent, il faut remonter au contexte de la révélation. En tous les cas, pour ce qui concerne l’Islam, seul l’interprétation du Prophète Mouhammad (SAW) est la plus juste. De façon générale, DIEU Seul sait ce qu’il voulait dire à travers ses versets/chapitres dans la Bible et dans le Coran ou la Thora.

A vous écouter, il y a un danger qui guette nos religions. N’est-ce pas ?

Il y a un danger qui guette nos religions. Je suis au Burkina Faso et je suis attentif à ce qui se passe dans les quartiers par exemple, avec ces églises qui poussent comme des champignons. Cela est inquiétant. On a vu ce phénomène dans des pays voisins comme au Nigeria ou au Ghana. Là-bas, ce ne sont pas des musulmans, ce sont des chrétiens. Chez les musulmans aussi, certains créent de petites mosquées et se démarquent complètement des autres. En tant que leader, on commence à s’inquiéter un peu. Il faut donc prendre les devants avec la formation et l’éducation, pour ne pas donner un terreau fertile aux extrémismes. Mais cela ne suffit pas car les inégalités, l’injustice sociale et la pauvreté sont des facteurs que ces derniers exploitent. Le combat n’est donc pas essentiellement religieux ; il est aussi économique et politique.

En quoi le dialogue interreligieux peut-il être une parade contre les extrémismes constatés dans toutes les religions ?

Si on développe les thèmes du dialogue interreligieux et qu’on invite les fidèles de chaque courant religieux à fréquenter les autres, c’est déjà extraordinaire. Au Burkina Faso, on vit cette expérience, notamment pendant les fêtes religieuses. On se rend visite pendant les fêtes, tout en respectant mutuellement nos dogmes. Mieux, on voit des chrétiens recourir aux musulmans pour égorger leurs animaux pendant les fêtes. Ils ne sont pas obligés de solliciter un tel acte mais, c’est pour mettre à l’aise leurs voisins musulmans parce qu’ils savent que ces derniers préfèrent cela sur la base de leur pratique religieuse.

Selon vous, quelles sont les actions à mener de part et d’autres pour conjurer les dérives extrémistes ?

Il faut que les grandes religions et les leaders religieux se rencontrent en premier lieu. Tout commence par la tête. L’Etat doit également jouer son rôle. La laïcité ne veut pas dire « antireligieux ». Il ne faudrait pas qu’on copie ce qui se passe de l’autre côté, notamment en France. Les Français ont une histoire avec la religion, bien différente de celle que le Burkina a avec la religion. Chez nous, la laïcité, c’est la liberté de culte et l’Etat ne doit pas venir financer des religions au détriment d’autres. S’il doit le faire, c’est de façon équitable et équidistante. Il faut aussi éviter les amalgames comme ce que certains ont commencé à faire après les attaques terroristes du 15 janvier 2016 au Burkina. Heureusement, l’Etat a été assez responsable.

Pourquoi la religion est-elle source de conflit dans le monde ?

En général, ce qui est présenté comme guerre de religion est maquillé parce que c’est peut-être plus vendable. Les vraies raisons des guerres dites religieuses sont ailleurs.

Selon vous, quelle est la place de la religion dans la paix mondiale ?

Elle est très capitale. Avant, c’étaient des idéologies qui alimentaient les conflits. Elles sont désormais remplacées par les religions, en apparence bien sûr. Maintenant, les chefs religieux doivent véhiculer des messages de tolérance aux fidèles. Les gens sont désormais plus encrés dans leur religion ou ethnie. De façon fondamentale, les religions ne sont pas opposées les unes aux autres. Nous devons garder jalousement le « dialogue interreligieux ».

Les terroristes exploitent la religion pour justifier leurs actes barbares. Quelle est votre opinion là-dessus ?

Dans toutes les religions, il n’y a aucune raison d’ôter la vie d’un individu. Un musulman ne peut pas tuer des gens au nom de sa religion. D’ailleurs, ceux qui paient le plus lourd tribut du terrorisme sont les musulmans. Seul Dieu peut juger le paradis ; ce n’est pas à des hommes de juger les autres. Ceux qui pratiquent ces actes barbares n’ont d’autre nom que terroristes.

Comment avez-vous vécu les attentats du 15 janvier dernier ?

C’était un grand choc et je les condamne sans réserve. Toutes les religions ont condamné. Il nous faut prendre des mesures préventives pour éviter des actes de ce genre. Au niveau des religions, il y aura désormais des contrôles. Personne ne doit désormais rentrer dans une mosquée, une église ou un temple comme il veut. Peut-être qu’on aura besoin du soutien de l’Etat pour avoir du matériel de contrôle approprié. Il faut lutter contre l’ignorance, l’injustice sociale, le chômage, la pauvreté et tout ce qui peut faire le lit du terrorisme. Je prie le Très-Haut de garder notre pays dans la paix et de permettre à ses citoyens et ceux qui vivent chez nous de vivre dans la concorde et l’harmonie.

Propos recueillis par Michel NANA

En collaboration avec Vita Afroline (Italie)


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