HomeA la uneBOMBARDEMENT DE BOUAKE : Plus d’une décennie après, le mystère demeure entier

BOMBARDEMENT DE BOUAKE : Plus d’une décennie après, le mystère demeure entier


 

Le 6 novembre 2004, alors que la Côte d’Ivoire était plongée dans la crise suite à l’éclatement de la rébellion, des avions du régime Gbagbo bombardaient le lycée Descartes à Bouaké. Ce bombardement a occasionné 9 morts dans les rangs des soldats français opérant en Côte d’Ivoire. Un civil américain a également péri dans cette attaque. La réaction de l’armée française, comme on le sait, a consisté à détruire les avions qui ont servi au bombardement de Bouaké. Mais plus d’une décennie après, le mystère reste entier. En tout cas, ce que l’on sait le moins, ce sont les tenants et les aboutissants de ce bombardement. La version qui lie cette attaque à une erreur d’aiguillage commise par les pilotes à la solde du régime Gbagbo qui croyait s’en prendre aux rebelles, a du mal à convaincre. Les choses semblent plus compliquées que cela. C’est du moins ce qu’on peut penser de l’ordonnance de la juge d’instruction Sabine Kheris, qui sollicite le renvoi de trois anciens ministres devant la justice pour répondre de faits d’entrave à l’enquête sur le bombardement. Elle estime que Michel Alliot-Marie, Michel Barnier et Dominique de Villepin, respectivement ministres français de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires étrangères de l’époque, ont des choses à dire à la Justice dans le cadre de la quête de la vérité sur cette affaire.

Les faits sont intrigants

En attendant de voir la suite qui sera donnée à la requête de la juge d’instruction, on peut noter que face à l’argument qui tend à faire croire à une erreur d’aiguillage, il y a un autre qui soutient plutôt la thèse d’une manipulation. Les tenants de cette thèse estiment, en effet, que les mercenaires biélorusses commis à cette tâche ont été induits sciemment en erreur par Paris qui avait connaissance de l’opération et qui l’ont torpillée en vue d’avoir des éléments contre le président ivoirien d’alors, Laurent Gbagbo. Il est vrai que les faits sont des plus troublants dans la gestion de cet acte d’hostilité. La réaction a, en effet, consisté à détruire les armes du crime. On se demande déjà, comment, malgré la colère légitime, on n’a pas pensé que ces avions auraient pu servir dans le cadre d’une enquête et d’une procédure judiciaire sur l’affaire. A moins que l’intention était justement de se débarrasser des éléments de preuve de la présumée bavure. Les faits sont d’autant plus intrigants que l’on sait que les pilotes censés avoir mené cet assaut meurtrier n’ont pas été inquiétés. Après leur forfait, ils auraient rejoint le Togo après un séjour à Abidjan. Et pour en rajouter à l’incompréhension de la situation, ils ont été bloqués au Togo, mais relâchés parce que Paris n’en avait pas besoin. Pourquoi ? N’y avait-il pas matière à poursuite pour avoir ôté ainsi la vie à 9 soldats français ? Tout semble indiquer qu’il y a eu anguille sous roche dans la gestion de cette affaire. Bien entendu, il y en a qui suspectent le juge d’instruction de poser des actes téléguidés. Pour eux, le timing de son action n’est pas fortuit. Bien des gens se demandent en effet pourquoi c’est au moment même où le procès de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale s’est ouvert, que ce dossier revient au devant de la scène. Ce, d’autant plus que la défense de Gbagbo entend situer les responsabilités de chacun des acteurs, surtout de la France, dans la longue et grave crise qui a secoué  la Côte d’Ivoire. On peut de ce fait penser que la France entend prendre les devants pour dire qu’elle-même questionnait déjà le rôle qu’elle a pu jouer en Côte d’Ivoire dans la décennie de crise qu’a connue le pays, histoire d’atténuer l’impact des révélations sur l’opinion publique.

On peut également penser que c’est plutôt une stratégie ourdie par les amis de Gbagbo pour renforcer leur ligne de défense. En effet, il est évident que cette affaire remet au goût du jour le rôle très souvent lugubre de la France dans ses anciennes colonies. Et cela a toujours été l’argument du régime ivoirien déchu en 2011. Le simple fait qu’il y a un questionnement, un doute même au sein de l’Hexagone sur l’attitude de certains de ses dignitaires qui ont eu à gérer la crise ivoirienne, apporte de l’eau au moulin des avocats de Laurent Gbagbo. Nul doute que la défense de Gbagbo se sent requinquée avec une affaire de ce genre, où les manœuvres de la Françafrique sont pointées du doigt en ce qui concerne la Côte d’Ivoire. De toutes façons, cette situation est illustrative du micmac, des affaires louches de la Françafrique. Elle traduit également toute l’ambiguïté de la situation de belligérance en Côte d’Ivoire pendant environ une décennie. On peut se dire que cette affaire peut, en plus de Gbagbo, servir les intérêts de François Hollande dans l’optique d’une réélection en 2017. Car la crise ivoirienne a surtout été gérée par les régimes Chirac et Sarkozy.

Cette affaire repose le problème de la présence militaire française en Afrique

Le dernier cité a été également l’un des leaders de l’intervention contre le régime Kadhafi en Libye.  Dans ces deux cas, on ne peut pas vraiment parler de succès de la France. Par contre, Hollande, en chef de guerre, aura aidé à tirer l’Etat malien des serres des islamistes radicaux. Il aura également contribué à ramener une certaine paix en Centrafrique. Ces interventions-là sont moins polémiques, elles ont même été applaudies presque de façon unanime. Au fait, les actions de la droite sous Sarkozy et celles de la gauche aujourd’hui sous Hollande, ne procèdent pas de la même philosophie. A l’interventionnisme de Sarkozy, Hollande a opposé une assistance. Bien entendu, l’actuel président français avait voulu intervenir en Syrie contre le régime et veut certainement le faire en Libye aujourd’hui. En tout cas, ses campagnes militaires sont moins polémiques que celles de son prédécesseur et possible challenger en 2017. On sait à quel point les succès à mettre à l’actif du régime Hollande sont surtout à rechercher dans le rôle militaire joué par la France à l’étranger, au Mali et en Centrafrique notamment. On peut, dès lors, imaginer que les socialistes ne cracheront pas sur un dossier à même de mettre hors course des leaders de la droite  qui, de leur côté aussi, ne se laisseront certainement pas faire. Ce n’est peut-être pas fortuit si le secret sur les velléités du régime socialiste d’intervenir en Libye, ont été ébruitées. C’est peut-être une sorte de réponse de la droite qui se sent accusée d’avoir caché des choses aux Français dans l’affaire du bombardement de Bouaké. Mais, les socialistes peuvent arguer que contrairement aux campagnes menées par la France sous la droite, tout le monde est plus ou moins consentant pour une intervention qui restaure l’ordre en Libye menacée d’occupation par Daech ; cette Libye que la droite de Sarkozy a contribué à détruire en n’assurant pas le service après-vente après la chute du régime Kadhafi. En tout état de cause, cette affaire repose le problème de la présence militaire française en Afrique. Les populations ne comprennent pas toujours les contours de cette présence et s’en offusquent souvent à travers des manifestations de rue ou des déclarations. On se souvient d’ailleurs que des populations ivoiriennes, suite à la destruction des avions ivoiriens par l’armée française, avaient manifesté. Des militaires français ont du reste, ouvert le feu sur les manifestants dans des conditions restées floues jusque-là. Des affaires louches de ce genre apportent de l’eau au moulin des opposants à la présence militaire française sur le continent. Les militaires français sont en Afrique dans l’optique de défendre d’abord et avant tout les intérêts français. Tous les bords politiques français sont d’accord sur ce point.

« Le Pays »


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