BARRAGE DE SAMANDENI : Là où se joue l’avenir de la pêche
15 tonnes de poissonS tilapia ont été « récoltées » par les pisciculteurs sur le barrage de Samandéni en août 2024. Les pêcheurs traditionnels appelés Bosso y tirent également leur épingle du jeu à travers la pêche artisanale. Nous avons rencontré ces 2 acteurs les 28 et 29 août 2024.
Il est 11h le 29 août 2024, nous sommes au barrage de Samandéni. Plusieurs acteurs sont déjà au travail. Pendant que certains s’activent à rejoindre les cages pour nourrir les poissons, d’autres travaillent, notamment ceux chargés de confectionner les cages flottantes. Les soudeurs, grâce aux groupes électrogènes, procédent à la soudure et à l’assemblage des structures métalliques. D’autres vérifient la qualité des filets pour s’assurer qu’ils sont en bon état, auquel cas, il faut procéder à leur réparation avant de les installer. D’autres encore sont à la construction des blocs de béton qui doivent servir à immobiliser les cages, une fois installées sur le barrage. A côté d’eux, se trouvent également ceux chargés de donner une nouvelle vie aux bidons en plastique et autres futs usés pour en faire des instruments flottants. Des explications de Gérard Gouba, un technicien de l’une des entreprises spécialisées dans la conception et la confection des cages flottantes une cage est composée d’une structure superficielle donc visible et d’une partie immergée (cachée sous l’eau). La structure visible sur l’eau est un cadre monté avec des tubes métalliques, soutenu par des futs qui servent de flotteurs. La partie immergée quant à elle est composée de 2 poches de filets et des poids morts faits en blocs de béton. Et ce sont ces poids morts en blocs de béton qui sont plongés dans l’eau et qui soutiennent la structure principale visible. La soudure de la structure métallique peut se faire en ville et l’assemblage se faire au bord du barrage. La soudure peut se faire également au bord du barrage et être installée directement. La durée de vie de la cage est estimée à 5 ans si le matériel utilisé est de bonne qualité. Le coût de la cage varie entre 900 000 F CFA et 1,3 millions de F CFA, car il nécessite une semaine de travail. Y a-il une école pour apprendre à confectionner une cage flottante? “C’est une question de passion. Le promoteur de l’entreprise est issu d’une famille de pêcheurs. Il a donc voulu moderniser ce qui se faisait déjà. C’est la passion qui nous a poussés à apprendre ce métier, même si nous l’avons complété par des formations. Nous venons de Zabré mais l’entreprise est basée à Ziou, une commune de la province du Nahouri”, explique Gérard Gouba. Une fois la cage flottante confectionnée, son installation incombe à d’autres acteurs, à la demande de son propriétaire (promoteur de cages flottantes). Amado Nikiéma est un conducteur d’un hors bord. Un moteur hors-bord est un système de propulsion utilisé sur des bateaux. Il contient en un seul bloc le moteur, la transmission appelée embase et l’hélice propulsant le bateau. Certains de ces moteurs, petits en général, comprennent en outre un réservoir d’essence. Par extension, on appelle aussi hors-bord un bateau équipé d’un moteur de ce type. Et c’est cet engin qui est utilisé par Amado Nikiéma pour transporter et installer les cages flottantes sur l’espace délimité et attribué à chaque promoteur. Ce dernier a débuté ses activités sur le barrage de la Kompienga. “Nous avons quitté la Kompienga à cause de la situation sécuritaire”, confie t-il. Et de poursuivre : “Mon travail consiste à conduire les cages flottantes et les poids morts sur l’eau. Une fois sur les lieux, j’installe aussi les cages flottantes. Ce travail consiste à d’abord déposer les poids morts, c’est-à-dire les blocs en béton sur le périmètre choisi. Chaque point est relié à la structure métallique par une corde. Ensuite, on place la cage sur les poids morts dotés de cordes puis on les attache solidement. L’installation peut prendre 2 à 3 jours si je suis seul. Un jour suffit si nous sommes 2 ou 3 à faire le même travail. Quant à la machine, le hors bord, il peut consommer jusqu’à 40 litres d’essence par jour si le travail est intense”. Amado Nikiéma peut lui-même s’occuper des petites pannes. Mais les grandes pannes sont réparées à Bobo-Dioulasso ou à Ouagadougou selon leur ampleur. Le métier nourrit son homme, puisqu’il tire son épingle du jeu. Son salaire mensuel est estimé entre 150 000 et 200 000 F CFA. En plus de l’installation des cages, il transporte les techniciens chargés de nourrir les poissons dans les cages. Parmi ses clients, Moussa Ouédraogo. Sa journée de travail commence à 8h et prend fin après 16h. “Le matin, on calcule la ration journalière des poissons en termes d’aliments. On la transporte ici au barrage et on divise en 2. Une partie leur est servie à partir de 8h 30 minutes et le soir à partir de 16h”, explique-t-il. “Le tilapia se nourrit en surface, c’est-à-dire qu’il faut des aliments flottants pour permettre de le prendre. C’est une espèce qui ne prend pas sa nourriture en profondeur. On peut prendre d’autres espèces de poissons, mais pour l’instant, ce sont des tilapia”, explique Moussa Ouédraogo. Travailler sur l’eau n’est pas toujours une chose aisée. Car, il faut un minimum de conditions pour faire le travail. Quand l’eau du barrage est agitée, il est impossible de naviguer et atteindre les cages où se trouvent les poissons pour les nourrir. A cela s’ajoutent les jours de grosses pluies.” On peut passer toute une journée, voire deux sans avoir la possibilité de nourrir les poissons. Si les vagues sont très fortes, on ne peut pas naviguer. Quand il pleut, le déplacement sur l’eau devient impossible ”, explique-t-il.
La pêche, c’est aussi la tradition
Aux côtés de ceux qui utilisent des techniques modernes, il y a les pêcheurs traditionnels, connus sous le nom de Bosso à Tiogo. C’est un campement de pêcheurs venus du Mali en janvier 2019, après la mise en eau du barrage. Pour l’instant, il est difficile de connaître le nombre exact des habitants, mais il peut être estimé à 100 ménages selon des sources. Amadou Tomata, la soixantaine révolue est le chef du village. Il est Bosso (ou Bozo) d’origine malienne. Chez eux, la pêche se transmet de père en fils. Selon ses dires, il existe essentiellement 2 pratiques de pêche. Il y a ceux qui utilisent des objets passifs. Cette pratique consiste à déposer le filet à un endroit choisi sur le barrage et attendre patiemment que les poissons viennent s’y engouffrer et se faire prendre au piège. Ces personnes déposent leurs filets entre 14h et 17h et reviennent à la maison pour repartir à 5h du matin. C’est le quotidien de ceux qui pratiquent cette catégorie de pêche. Certains quittent la maison le matin et passent toute la journée sur le barrage. Eux, ils utilisent les objets actifs. Là, c’est le pêcheur qui manœuvre dans le but de surprendre les poissons et les conduire dans son filet. “Pour un nouveau barrage, les poissons ne savent pas se cacher. Dans notre jargon, on dit qu’ils n’ont pas encore de maison. Mais ils finissent par trouver des endroits pour se cacher quelques années après. Cette situation fait que certains peuvent penser qu’il n’y a pas assez de poissons, surtout quand ils comparent les prises de poissons pendant les premiers moments du barrage et maintenant. Actuellement, les capitaines se font un peu rares mais il en existe. Mais nous arrivons à tirer notre épingle du jeu car nous sommes des fils et filles de pêcheurs”, explique notre interlocateur. A qui leurs poissons sont-ils vendus ? Il y a des pêcheurs qui disposent de leurs propres matériels. Ceux là peuvent vendre à qui ils veulent, c’est-à-dire au plus offrant. Par contre, certains ont reçu l’accompagnement d’autres acteurs comme les mareyeurs. Ces acheteurs de poisson donnent aux pêcheurs tout le matériel nécessaire à la pêche. En retour, les pêcheurs leur vendent le poisson. Il est payé en fonction des termes du contrat qui les lie jusqu’à remboursement du coût du matériel qui a été mis à leur disposition. Les quantités de poissons péchées sont très encourageantes. “Nous attendons une production de 1 500 tonnes. Actuellement, nous sommes à 1 000 tonnes par an. A côté de cette pêche, nous avons une zone aquacole de 14 hectares. Ce sera une unité d’apprentissage, de production d’intrants, d’aliments et d’alevins. Sur les 17 sites à aménager, il y a des zones piscicoles à aménager”, selon Ky Cédric Jonathan, chargé de service environnemental et social du PDIS. Ses propos sont corroborés par Ismaël Bamouni, ingénieur d’élevage, chef de l’unité technique du périmètre halieutique d’intérêt économique de Samandéni. Selon l’ingénieur, la production halieutique par hectare d’eau au Burkina est comprise entre 60 et 120 Kg/an de poissons. Sur cette base, explique-t-il, le potentiel de production de Samandéni est compris entre 918 tonnes et 1 836 tonnes/an de poissons. Depuis son ouverture, la production annuelle enregistrée depuis lors est d’au moins 900 tonnes chaque année, même s’il faut noter quelques déperditions de chiffre de capture dans la chaîne. Combien de personnes ce secteur emploie t-il? “Si l’on s’en tient aux acteurs directs que sont les pêcheurs, les mareyeurs et les transformatrices, le secteur emploie environ 2 000 personnes dans la zone d’emprise du barrage de Samandéni qui compte 5 communes rurales, à savoir Bama, Kourouma, Samorogouan, Banzon et Karangasso Sambla, appartenant à deux provinces que sont le Houet et le Kénédougou, sans compter les emplois indirects que crée cette filière dans le centre urbain de Bobo-Dioulasso et Orodara notamment”, indique-t-il. Et les 3 types d’acteurs sont repartis comme suit : pêcheurs : environ 1 000 ; mareyeurs : environ 600; transformatrices : 400.
Issa SIGUIRE
barrage de Samandéni en quelques chiffres
Les travaux de construction du barrage de Samandéni ont pris fin en 2019 et la réception définitive desdits travaux a été effective le 22 avril 2021. La retenue d’eau ainsi créée a une superficie à sa retenue normale de 150 km2 avec une longueur d’environ 50 km. Cette étape marque un tournant important du Programme de développement intégré de la vallée de Samandéni (PDIS). En rappel, le site du projet Samandéni a été identifié en 1976 à travers l’aménagement des vallées des volta, après la sécheresse des années 1970. Les études préliminaires ont été réalisées entre 1981 et 1985 et les études détaillées réalisées de 2003 à 2007. 10 composantes ont été identifiées pour la mise en œuvre du programme, mais 7 ont été entamées. Il s’agit de la construction du barrage, la construction de la centrale hydroélectrique, l’aménagement de périmètres hydroagricoles, le recalibrage du fleuve Mouhoun, la mise en œuvre du Plan de gestion environnemental et social (PGES), le développement de la pêche et de la pisciculture, et la coordination et le pilotage du Programme.
I.S
Des résultats au-délà des attentes
Sur le barrage de Samandéni, on rencontre 3 types de pèche. Il s’agit de la pêche commerciale par les pêcheurs professionnels, semi-professionnels et occasionnels et la pêche sportive. Les pisciculteurs en cages flottantes installées sur le plan d’eau de Samandéni dans le cadre de l’Offensive agro-pastorale et halieutique (OAPH), ont été les premiers à nous accueillir. Progressivement, cette pratique est en train d’aller vers sa vitesse de croisière. Quelques mois après l’empoissonnement dans les cages flottantes, ce sont 15 tonnes de poissons tilapia du premier cycle qui ont été «récoltées» des 180 cages flottantes installées en août 2024, sur une prévision de 100 tonnes par ans. C’était en présence d’une délégation gouvernementale dont le ministre de l’Agriculture, des ressources animales et halieutiques, le commandant Ismaël Sombié. Il a laissé entendre que les premiers résultats sont au-delà de ses attentes. « En 3 mois et demi, nous avons pu sortir des spécimens de plus d’un kg », avait déclaré le commandant.
I.S