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CRISE A LA CAMEG : Le personnel interpelle le Premier ministre


Ceci est une lettre ouverte qu’adresse le personnel de la CAMEG au Premier ministre à propos de la crise qui sévit dans l’institution. Il interpelle le chef du gouvernement sur la situation qui commence à impacter négativement les activités de la CAMEG. Lisez plutôt !

 

Excellence Monsieur le Premier ministre,

Depuis mai 2016, une crise sans précédent secoue la gouvernance de la CAMEG, entraînant des perturbations dans ses activités. Créée par décret n° 92-127/SAN-ASF du 21 mai 1992, la CAMEG a débuté effectivement ses activités en 1994 sous la forme d’un projet, avec le statut d’Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC). Selon les termes de ce décret, la CAMEG a pour objet de :

–              contribuer à la mise en œuvre de l’Initiative de Bamako au Burkina Faso ;

–              mettre en circulation les médicaments essentiels génériques, à des prix sociaux sur toute l’étendue du territoire ;

–              garantir la disponibilité des médicaments essentiels génériques de qualité, conformément à la règlementation nationale et internationale en vigueur.

 

Après une première phase de mise en œuvre de ses activités pendant 5 ans, les évaluations ont révélé des lenteurs et des lourdeurs qui empêchaient la bonne exécution de sa mission.

 

En effet, un audit mené par un cabinet international avait fait ressortir, entre autres :

–              une crise de confiance entre les partenaires et l’Etat ;

–              une mainmise de l’Etat sur la CAMEG ;

–              des créances importantes du ministère de la Santé ;

–              des problèmes liés aux procédures de décaissements ;

–              la commercialisation à perte de certains produits du fait de l’interventionnisme du ministère de la Santé.

 

Au-delà des insuffisances relevées par le cabinet, la critique majeure formulée à l’encontre de la CAMEG en tant qu’EPIC, était le risque d’une tutelle forte de l’Etat qui se comporterait en juge et partie. En effet, l’interventionnisme de l’Etat était perceptible de la façon suivante :

–              risque de détournement des missions de la CAMEG pour résoudre d’autres types de problèmes ;

–              risque d’appropriation des biens matériels et financiers ;

–              risque d’appropriation des organes de direction pour en faire un instrument d’autorité ;

–              manque de flexibilité dans les prises de décisions de gestion pouvant paralyser les performances de l’activité.

 

Ces réalités avaient fait échouer des structures qui avaient des statuts similaires à ceux de la CAMEG à l’époque. Et face à ces réalités, il a été établi la nécessité de doter la CAMEG d’un statut particulier pouvant lui conférer une possibilité d’exercer pleinement ses activités. C’est ainsi qu’en 1998, elle a été transformée en Association sans but lucratif (ASBL), dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière suivant les dispositions de la loi 10-92/ADP du 15 décembre 1992 sous le récépissé n°98/053/MATS/SG/DGAT/DLPAJ du 05 février 1998.

 

Depuis lors, la CAMEG a connu une extension de ses activités et une croissance continue de ses performances d’année en année, avec une baisse continue des prix des médicaments essentiels au profit des populations et une meilleure disponibilité de ces produits. Ainsi :

–              de 1998 à 2016, le nombre des agences commerciales est passé de 02 à 10, réparties dans huit régions du Burkina Faso ;

–              le nombre d’agents permanents est passé de 40 en 1998 à 265 en 2016 ;

–              le Chiffre d’affaires est passé de 3 245 393 756 F CFA en 1998 à

35 805 274 285 F CFA en 2015 ;

–              les efforts consentis en termes de baisse de prix entre 2001 et 2015 se sont levés à 7 177 403 073 F CFA ;

–              du fait de sa mission de service public, la CAMEG rend disponible des produits indispensables à la prise en charge de certaines pathologies malgré leur rentabilité nulle ou négative tels que le sérum anti venimeux, les médicaments anti diabétiques, les antihypertenseurs, les anticoagulants et les vaccins. A titre d’exemple, le sérum anti-venimeux qui coûtait plus de 60 000 F CFA est cédé aux populations à un prix subventionné de 2 000 F CFA par la CAMEG depuis 2015.

 

De la crise en cours

 

Suite à la crise que la CAMEG a connue en décembre 2014, le Conseil d’administration (CA) a décidé d’une période d’intérim de la Direction générale de trois mois assuré par le Dr Jean Chrysostome Kadeba. Cette période devrait être mise à profit pour la relecture des textes statutaires de la CAMEG et le recrutement d’un Directeur général. Commença alors le processus qui devrait doter la CAMEG des nouveaux textes.

 

Ainsi, un atelier de relecture a été organisé les 22, 23 et 24 janvier 2015 à Loumbila par le CA. Cet atelier a regroupé tous les acteurs du domaine de la santé et du médicament au Burkina Faso. Il avait pour objectif de déterminer la forme juridique la mieux appropriée pour une CAMEG viable et pérenne, au service des populations. A l’issue de cet atelier, il a été retenu le maintien de la forme juridique actuelle de la Centrale (ASBL), tout en renforçant les organes de gouvernance, et en l’érigeant en Association reconnue d’utilité publique (ARUP).

 

Les motivations qui avaient prévalu à ce choix étaient que, parmi les formes d’organisation existantes, l’association répondait mieux aux exigences d’efficacité et d’autonomie de la CAMEG, et partant à la réalisation de sa mission de service public. Du reste, plusieurs centrales sœurs, membres de l’Association africaine des centrales d’achats de médicaments essentiels (ACAME) sont venues s’inspirer du modèle burkinabè. Les cas de la Côte d’Ivoire et du Bénin en sont des exemples parlants.

 

Pour la suite des travaux, les participants à l’atelier ont mis en place un groupe restreint de travail composé de deux représentants de la CAMEG, d’un représentant du ministère de la Santé, d’un représentant du ministère en charge du commerce et d’un représentant des partenaires techniques et financiers pour proposer des statuts et un règlement intérieur adaptés aux orientations données par l’atelier. Le groupe a déposé les résultats de ses travaux le 15 février 2015 pour une autre étape de validation par un atelier plus élargi.

 

Cet atelier de validation s’est tenu le 11 mai 2015 à l’Hôtel Pacific de Ouagadougou, avec la participation de :

–              l’Etat (ministère de la Santé, ministère de l’Economie et des finances, ministère du Commerce de l’industrie et de l’artisanat, ministère de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale) ;

–              les partenaires techniques et financiers (l’Union européenne, l’OMS, l’USAID, l’Ambassade de France, etc.) ;

–              les ordres professionnels de santé (Ordre des pharmaciens, Ordre des médecins, Ordre des chirurgiens-dentistes…) ;

–              les organisations syndicales de la Santé (Syndicat des pharmaciens, SYNTSHA, SYMED, SAIB) ;

–              les associations et organisations de la société civile travaillant dans le secteur de la santé (la Ligue des consommateurs du Burkina, le RAME, l’ACB, la FAITIERE…), et les représentants du personnel de la CAMEG.

 

Une des recommandations issues de cet atelier était de requérir l’avis du Conseil d’Etat sur la possibilité pour l’Etat d’être membre de l’association CAMEG. Par correspondance N° 002/2014-2015 du 12 octobre 2015, le Conseil d’Etat n’a trouvé aucun inconvénient à la présence de l’Etat dans l’association. Il concluait en ces termes : « L’Etat peut participer à la constitution ou y adhérer sans aucune restriction. Il est un membre comme un autre. Il peut également déléguer à celle-ci une mission de service public. A cet égard, il a des droits et des obligations comme tous les autres associés ; ceux-ci sont fixés par les statuts ». Ainsi, le projet de textes relus de la CAMEG, après l’accord de toutes les parties, a été soumis au ministère de la Santé aux fins de convoquer une Assemblée générale, pour l’adoption des nouveaux textes de la centrale. Cette Assemblée générale ne verra pas le jour jusqu’à la fin du gouvernement de la Transition.

 

Après l’installation des nouvelles autorités en janvier 2016, le personnel de la CAMEG nourrissait l’espoir de voir les nouveaux textes adoptés rapidement, suivis de la mise en place des nouvelles instances dirigeantes (Assemblée générale, Conseil d’administration) et du recrutement d’un Directeur général.

 

Contre toute attente, un conflit est né entre le ministre de la Santé et le Conseil d’administration suite à un nouveau contrat que ce dernier a accordé au Directeur général (Dr Jean Chrysostome Kadeba). Le 24 juin 2016, par décision N°2016-01993/MS/CAB, le Ministre de la Santé prenait des décisions, d’une part, pour changer les deux administrateurs représentant le ministère de la Santé et, d’autre part, pour désigner Dr Jean Chrysostome Kadeba, Directeur général intérimaire pour une durée de trois mois pour compter du 1er juillet 2016. Par la même correspondance, le membre représentant le ministère de la Santé dans le Comité de supervision, était remplacé.

 

Le Président du Conseil d’administration (PCA) et le Directeur général ont alors fait un recours au Tribunal administratif pour être rétablis dans leurs droits. Le 25 août 2016, le Tribunal administratif saisi, prononcera un sursis à exécution de la décision portant remplacement des administrateurs.

 

Par la suite, le personnel apprenait par voie de presse, l’installation d’un nouveau Conseil d’administration, le 03 août 2016. Et le Conseil des ministres, en sa séance du 11 août 2016, nommait les quatre nouveaux administrateurs représentant l’Etat dans le Conseil d’administration.

 

Ensuite, par correspondance en date du 22 août 2016 adressée audit nouveau Conseil d’administration, le ministre de la Santé rapportait sa décision désignant Dr Jean Chrysostome Kadeba intérimaire du Directeur général de la CAMEG, tout en précisant que « celle-ci est censée n’avoir pas existé ».

 

Le climat, devenu délétère au sein de la centrale, a rendu nécessaire la mise en place d’un Comité de crise lors d’une Assemblée générale du personnel tenue le 23 août 2016 au siège de la CAMEG. L’objectif de ce comité est de maintenir la cohésion au sein du personnel et de préserver l’intérêt général de la CAMEG et des populations.

 

Le 24 août 2016, au soir, le personnel apprenait la délivrance d’un récépissé de déclaration d’existence d’une association dénommée « Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques et des consommables médicaux (CAMEG) » signé le même jour sous le numéro : N00000000901.

 

Ce dernier événement a suscité encore plus d’inquiétudes au sein du personnel.

Cette situation appelle aux constats et interrogations suivants :

–              s’agit-il d’une nouvelle association autre que celle déjà existante ?

–              quel est le devenir de la CAMEG actuelle et de son personnel ?

–              quel climat de travail peut-on entretenir dans un tel contexte pour continuer à assurer notre mission d’utilité publique ?

–              quels textes constitutifs ont servi à obtenir le nouveau récépissé ? Le personnel n’ayant pas été associé à la validation d’aucun texte. Pour nous, toute révision des textes de la CAMEG doit intégrer un processus participatif incluant le personnel.

 

Un consensus avait été établi sur les textes de la CAMEG et il ne restait que leur adoption par une Assemblée générale que devait convoquer le ministre de la Santé. Pourquoi n’a-t-il pas achevé le processus d’adoption des nouveaux textes, qui devrait conduire de facto à la mise en place de nouvelles instances ?

 

En tout état de cause, le personnel ne se reconnaît pas en une nouvelle CAMEG dont il ne connaît ni les tenants, ni les aboutissants. Il met en garde quiconque contre une liquidation de cet outil précieux de la politique nationale sanitaire et demande la reprise immédiate du processus d’adoption des nouveaux textes, suivie de la mise en place des nouvelles instances de la CAMEG.

 

Au regard de la situation qui prévaut, le personnel de la CAMEG voudrait tenir informés le gouvernement et l’opinion publique des risques majeurs que cette crise fait courir au système de santé, à savoir :

–              les ruptures de stocks de produits essentiels dans les formations sanitaires du pays. La CAMEG s’approvisionnant auprès de ses fournisseurs étrangers à crédit, le déficit de confiance la met déjà sous prépaiement ;

 

–              La perte de crédibilité auprès des partenaires. En effet, les évaluations récentes des performances de la CAMEG lui ont permis d’être retenue comme structure d’approvisionnement et/ou de distribution pour les projets et programmes de santé nationaux et sous régionaux financés par les partenaires au développement.

 

A cet effet, elle a signé des conventions avec le ministère de la Santé sur les financements de la Banque mondiale, du Fonds mondial, de l’UNICEF, de Malaria Consortium et de l’OOAS. L’instabilité récurrente dans la gouvernance ne peut qu’affecter la confiance de ces partenaires.

–              La démotivation du personnel. Le climat actuel ne rassure guère le personnel sur l’avenir de la centrale et ne permet pas non plus un environnement serein de travail.

 

–              La compromission de la mise en œuvre de la gratuité des soins. La mesure de gratuité des soins lancée récemment par le gouvernement, repose essentiellement sur un système d’approvisionnement performant. Le dysfonctionnement de l’outil principal d’approvisionnent des MEG au Burkina Faso aura de toute évidence une conséquence grave sur ce programme ambitieux du Président du Faso.

 

Le personnel de la CAMEG réaffirme sa disponibilité et son engagement à travailler pour l’ensemble des populations, en accomplissant de façon professionnelle et en toute conscience les devoirs qui sont les siens. Toutefois, cela ne pourra se faire que dans un cadre garantissant aux travailleurs la sérénité et la quiétude.

 

Le personnel lance un appel pressant à S.E.M le Premier ministre et à son gouvernement pour la résolution définitive de cette crise, avant qu’elle ne prenne d’autres tournures qui ne seront que dommageables au système de santé et par conséquent, à toute la population.

 

Souhaitant votre engagement personnel pour la résolution de cette crise, nous vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.

 

Ouagadougou, le 30 août 2016

 

Pour le Comité de crise

(Le porte-parole)

 

SOME Paulin


Comments
  • Dans cette guéguerre infâme pour prendre le contrôle de la CAMEG, faut-il en rire ou en pleurer bonnes gens ? Car s’agit-il des changements à la tête de la structure dans l’intérêt du peuple Burkinabé ou bien c’est lamentablement pour satisfaire des intérêts de certaines personnes puissantes du moment ? On est en droit vraiment de se poser cette question centrale et citoyenne ? Voyez-vous, faisons un peu d’histoire : C’est lorsque sous la Révolution d’aout, l’Etat d’alors face à la couverture sanitaire et médicamenteuse insuffisantes et à la cherté des médicaments pour les populations, que la première centrale d’achats des médicaments génériques ; la SONAPHARM fut crée. Elle était chargée de l’approvisionnement pharmaceutique des médicaments essentiels et de qualité mais surtout bon marché accessible à la bourse des populations. Dans cette optique, la libéralisation de l’ouverture des pharmacies privées fut également décidée et une bonne trentaine virent le jour. Sur ce, plus tard dans les années 1994, la SONAPHARM deviendra la CAMEG avec les mêmes rôles et missions à caractères sociales ! Mais alors, pourquoi tant de crises, de luttes et de batailles rangées juridico-administratives pour le renouvellement d’un contrat ou de contrôle d’une structure comme la CAMEG qui s’avère essentielle en amont dans la question de santé de la population burkinabé ? D’ailleurs, selon le syndicat des pharmaciens la situation des finances de la structure n’est même pas reluisante, puisqu’elle doit plus aux fournisseurs de médicaments que ses clients-pharmacies lui doivent. Pourquoi, le Ministre de la santé ne peut-il pas patienter jusqu’au terme du contrat de l’actuel Directeur Général dans trois ans afin d’opérer ses changements ? Objectivement, y’a-t-il une urgence quelconque à changer à l’instant le management et les instances de la CAMEG ? Si le pouvoir et le gouvernement actuels ne prennent pas garde, en évitant la politisation à outrance de l’administration publique et ses démembrement, notre pays que nous aimons tous risque encore des soubresauts dont on pourrait bien se passer. Pourquoi, ne pas faire un Audit juridique et Financier de la CAMEG et ensuite faire un appel à candidatures ouvertes à tous les cadres compétents Burkinabé ? Sincèrement, la bataille urgente pour « relancer l’économie nationale » à court et moyen terme doit être plus importante, que des luttes incongrues pour des postes car les hommes passent, seul le pays et le peuple demeurent. Que Dieu tout puissant bénisse le Burkina Faso. A bon entendeur, Salut !

    1 septembre 2016

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