HomeA la uneDr SALIF OUEDRAOGO, A PROPOS DU PROCES DU DERNIER GOUVERNEMENT DE BLAISE COMPAORE : « Nous voulons être jugés»

Dr SALIF OUEDRAOGO, A PROPOS DU PROCES DU DERNIER GOUVERNEMENT DE BLAISE COMPAORE : « Nous voulons être jugés»


Député à l’Assemblée nationale de 2002 à 2007 et ministre de l’Environnement et du développement durable dans le dernier gouvernement du président Blaise Compaoré, Dr Salif Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un spécialiste dans les questions de monnaie, banque, finances, gestion et administration des entreprises. De son passage au gouvernement, il garde de bons souvenirs mais ce qui le tracasse aujourd’hui, c’est le fait que « la procédure semble bloquée », comme il le dit lui-même, par rapport aux poursuites engagées par la Haute cour de justice à l’encontre des membres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré. Dr Salif Ouédraogo aborde ce sujet sans détour et son vœu est d’en finir avec ce dossier qui, dit-il, le brime dans ses droits fondamentaux. Avec lui, nous avons également échangé sur sa situation politique et sur bien d’autres sujets dont particulièrement la situation socio-politique et la crise sécuritaire. Dr Salif Ouédraogo n’a pas manqué de nous parler de sa rencontre avec l’ancien président Blaise Compaoré.  

 

 

« Le Pays » : Que devient Dr Salif Ouédraogo ?  

 

Salif Ouédraogo : Salif Ouédraogo est là au Burkina comme tout citoyen ordinaire, qui vaque à ses occupations, et qui est surtout concentré sur ses activités de consultance, et la rédaction de deux ouvrages. L’un relatif à l’entrepreneuriat « Guide pratique pour les créateurs/promoteurs d’entreprises », et l’autre intitulé : « Contraintes sur le peuple » où je fais le constat de l’échec de nos choix stratégiques fondamentaux en matière d’options économiques et de gouvernance politique (constat suivi de propositions de solutions ou d’axes de réflexion).

 

Etes-vous toujours membre actif de l’UNDD ? Si oui, comment se porte le parti aujourd’hui et si non, pour quelle chapelle politique prêchez-vous ?

 

 

Je ne suis plus membre actif de l’UNDD depuis 2014 pour des raisons diverses que je me garde d’évoquer en public. Car, je crois que cela ne concerne  que moi et la direction du parti. Le moment n’est pas venu d’en parler. Et par principe, étant venu à l’ADF, puis à l’ADF-RDA et enfin à l’UNDD sans tapage, mon retrait, également, s’effectue de la même manière. Je garde cependant de bons souvenirs de mon parcours dans ce parti. J’ai un profond respect pour les militants de base de ce parti. Je pense avoir été fidèle au président du parti, honnête vis-à-vis du parti et de ses dirigeants, et avoir fait de mon mieux, pour son implantation, surtout dans le Kadiogo. Je leur souhaite plein de succès et beaucoup de courage. Actuellement, je suis en retrait de la vie politique active depuis octobre 2014. Je ne suis, pour le moment, d’aucune chapelle politique. J’attends de voir ce qui se passera d’ici à 2025, en termes de réformes politiques de fond, d’assainissement du cadre politique, de ressaisissement de la classe politique, de regroupement de patriotes panafricanistes engagés, capables de se rassembler au-delà des approches partisanes, pour constituer une réponse idoine à la déliquescence politique actuelle, pour m’engager, si cela est encore nécessaire de nouveau, dans la vie politique active.

 

 

Ministre, vous aviez initié le projet « zéro sachet plastique ». Avez-vous le sentiment que vos successeurs se sont inscrits dans la continuité ?

 

 

L’Etat étant une continuité, si nous voulons véritablement engranger des acquis en matière de développement et éviter les éternels recommencements, je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas toujours vouloir réinventer la roue. Il faut bâtir sur les acquis précédents, innover en y apportant un plus si nécessaire. Mais, il ne faut pas balayer ou négliger ce qui a été initié par son prédécesseur, et qui répondait à une exigence, à un constat réel et pertinent. La problématique des déchets plastiques pour nos pays en développement, est une réalité, un défi à relever, si nous voulons un cadre de vie saint et un développement durable. Cette problématique, qu’on le veuille ou non, on aura à l’affronter et à y apporter des réponses. Et plus vite, nous en prendrons conscience, plus vite, nous en minimiserons l’impact social et économique sur notre pays, et surtout les coûts de remédiation. Je n’ai pas l’impression que les plus hautes autorités ont réellement pris conscience du phénomène, de son ampleur, et de son impact sur nos vies, sur celle des animaux, et sur le secteur agricole. Il n’y a donc pas eu de la continuité dans cette lutte contre les sachets plastiques et je suis personnellement affecté par ce manque de continuité et de vision. Je profite de l’occasion pour remercier encore une fois, tous mes anciens collaborateurs au sein de ce ministère, avec lesquels, et sans distinction politique ou autre, nous avons effectué un travail formidable, élaboré de nombreux documents structurants dudit ministère (Code de l’environnement, Code forestier, politique nationale du développement durable, loi portant interdiction de la production, de l’importation et de la commercialisation des sachets plastiques, etc.). Cela a été pour moi, une aventure fabuleuse, enrichissante, dont je suis fier. Tout n’a pas été parfait durant mon passage au niveau de ce département ministériel, mais en gros, je ne regrette rien du tout. Je souhaite à ce ministère, d’occuper véritablement la place qu’il faut dans le dispositif gouvernemental, pour jouer le rôle central qui est le sien, si nous voulons vraiment un développement durable pour nous-mêmes et pour les générations futures.

 

« Pour moi, toute personne qui a occupé de hautes fonctions, ou qui a eu à gérer des fonds publics, doit rendre des comptes »

 

Comment avez-vous accueilli le coup d’Etat du 24 janvier 2022 ?

 

Sans surprise et de manière sereine avec cependant, de la déception car, une fois de plus, nous, les civils (la classe politique dans son ensemble, la chefferie traditionnelle dans son ensemble, les chefs religieux musulmans, protestants et certains responsables catholiques), nous avons encore permis aux militaires de revenir aux devants de la scène politique. Par lâcheté, opportunisme et démission. Nous n’avons pas réellement tiré leçons de nos expériences et des évènements passés car, depuis le 3 janvier 1966, nous ne nous sommes pas assumés pleinement et avec dignité. Nous n’avons pas assez « appris », nous n’avons pas changé fondamentalement notre gouvernance politique et économique. Et les mêmes causes ont produit les mêmes effets. Depuis 1960, nous avons eu sur les 62 ans, entre 11 à 12 ans de régimes civils et environ 50 ans de régimes militaires avec les mêmes résultats, à savoir que depuis notre « indépendance formelle», nous n’avons ni la démocratie, ni la croissance pour notre pays. Tout ceci pour dire que ce n’est pas une question de régime civil ou militaire, mais une question d’hommes, de leadership éclairé, de manque d’hommes visionnaires, exemplaires, pétris de valeurs et capables de conduire le peuple sur des chantiers de croissance économique participatifs, inclusifs, solidaires pour une société burkinabè plus apaisée, unie et réconciliée avec elle-même. Voilà ce dont le pays a besoin aujourd’hui. Et le cycle des coups d’Etat n’est pas prêt à s’arrêter dans nos pays tant que nous ne trouverons pas des patriotes, panafricanistes éclairés, qui auront la force de s’élever au-dessus de toutes les contingences, qui auront la confiance de nos populations, pour rassembler tous les patriotes et conduire nos pays, sur la base de nos réalités et spécificités socio-culturelles, vers plus d’espérances, de joie de vivre, et d’intégration sous- régionale. Et cela demandera beaucoup d’efforts et de sacrifices.

 

Quelle appréciation faîtes-vous des opérations « mains-propres » et « mana mana » ?

 

 

Si vous entendez par opération « mains-propres », une opération de lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance dans la gestion des ressources publiques et si elle est véritablement menée sans a priori et sans calcul politicien en direction d’une certaine catégorie de personnes, elle est la bienvenue. Pour moi, et c’est un principe de base, toute personne qui a occupé de hautes fonctions, ou qui a eu à gérer des fonds publics, doit rendre des comptes, doit être auditée lorsqu’elle est amenée à quitter cette fonction. C’est un principe de gestion qui relève du bon sens, de l’éthique et de la redevabilité de tout citoyen. On doit rendre compte de sa gestion lorsqu’on a été Président, ministre, DG de société d’Etat, chef de projet, DG des douanes, des impôts, du Trésor, etc.  Cela doit faire partie intégrante de notre culture, en matière de gouvernance économique. Si l’opération « mains propres » est bien menée et qu’elle parvient à identifier des coupables ou des détournements de fonds publics, il faudrait avec célérité et rigueur, récupérer au plus vite ces ressources financières pour, dans ces périodes difficiles, appuyer l’effort de guerre (appuis aux FDS, aux VDP), et créer un fonds de réinstallation/réhabilitation pour les populations déplacées du fait du terrorisme, qui, une fois de retour dans leurs zones de prédilection, pourront recevoir des appuis financiers et non financiers pour reprendre leurs activités ou initier de nouveaux projets de vie. Quant à l’opération « mana mana », si elle résulte d’une réelle prise de conscience entrant dans le cadre d’une volonté politique réelle, et non conjoncturelle d’assainissement de notre cadre de vie, elle est aussi la bienvenue et c’est une bonne chose. Elle ne doit pas surtout être une opération feu de taille ou de type populiste. Elle doit marquer une prise de conscience individuelle et collective, une tendance forte pour des actions citoyennes répétées périodiquement et impliquant tout le monde. Elle doit être totalement décentralisée au niveau de chaque localité du pays et impliquer les autorités régionales, départementales, communales, qui doivent être capables de susciter une dynamique participative et citoyenne des populations, pour que tous les mois, dans chaque localité, des opérations de nettoyage et d’assainissement de notre cadre de vie, aient lieu.

« Il est presqu’impossible d’avoir un contrat auprès d’une structure à l’intérieur du pays. L’étiquette d’ancien ministre de Blaise Compaoré étant un obstacle à cela »

 

Les membres du dernier gouvernement sont poursuivis par la Haute cour de justice. Où en est-on aujourd’hui avec la procédure ?

 

 

La procédure semble bloquée, au point mort depuis longtemps et avec la nouvelle situation, le nouveau contexte socio-politique du pays, on ne sait pas ce qui va se passer. Mais bien avant le coup d’Etat, c’était, comme souligné plus haut, le même constat d’inaction au niveau de ce dossier, qui nous brime dans nos droits fondamentaux. Nous subissons, nous les anciens ministres du gouvernement Luc Adolphe Tiao, une injustice, un oubli destructeur qui nous ravage quotidiennement. Nous sommes les premiers à vouloir que le procès se tienne pour pouvoir laver notre honneur, situer les responsabilités et entrer dans nos droits. Nous voulons être jugés car, depuis 2014, nos droits fondamentaux sont violés et nos activités professionnelles sont au ralenti ou inexistantes pour certains d’entre nous. Pour l’histoire à léguer aux générations futures, je suis de ceux qui veulent que le procès se tienne, pour laver mon honneur car je suis accusé de complicité d’assassinat. Et cela, je le vis très très mal. Mes activités de consultance sont réduites et j’ai perdu énormément d’opportunités depuis cette date. Il est presqu’impossible d’avoir un contrat auprès d’une structure à l’intérieur du pays. L’étiquette d’ancien ministre de Blaise Compaoré étant un obstacle à cela. Nos déplacements à l’extérieur du pays sont sous des obligations injustifiées, contraignantes et limitatives pour des citoyens qui ont décidé de rester dans leur pays, pour faire face stoïquement à leurs responsabilités et qui pouvaient, s’ils le voulaient, comme certains, être hors du Burkina. Et comme je l’ai toujours dit, ce dossier n’a jamais été présenté en Conseil des ministres, et soumis à notre appréciation. Le Premier ministre Tiao sait où et quand il a signé la réquisition. Il doit, au cours du procès, s’assumer et situer les responsabilités. Si on nous avait soumis ce dossier pour appréciation, étant hautement politique et dépassant mes prérogatives de ministre de l’Environnement, je l’aurais soumis au préalable pour appréciation, à la direction de mon parti qui m’a désigné pour occuper le poste de ministre. On en aurait débattu, et on aurait dégagé une position du parti sur ce dossier que je devrais défendre en Conseil des ministres, si j’en épousais les conclusions ou recommandations. Cela n’a pas été le cas. Bref, les ministres du gouvernement Tiao n’ont pas été associés à cette prise de décision. Nous en subissons cependant, depuis bientôt huit ans, les conséquences et cela, dans l’indifférence totale des gens. Il faut donc que la vérité éclate autour des évènements des 30 et 31 octobre 2014 pour notre propre histoire en tant que pays et pour les générations futures, en tant que source d’inspiration, pour éviter à temps des processus destructeurs du tissu national. En rappel également, le 30 octobre avant midi, le gouvernement a été dissous, il n’y avait donc plus de ministres à partir de ce moment. Les évènements malheureux et tristes se sont déroulés dans la soirée où, devant le vide posé par la dissolution du gouvernement  et la volonté de départ du président Blaise Compaoré sous la pression, un certain cafouillage a eu lieu. L’opposition de l’époque, dans sa grande majorité, a été prise au dépourvu devant l’évolution des choses. Face à cette situation d’incertitudes, de flottements, certains leaders politiques et militaires ont voulu se précipiter pour occuper les devants de la scène. Dans ce climat de tensions, certains ont voulu se rendre à la RTB pour se proclamer chef d’Etat. Des ordres ont été donnés par des chefs militaires, pour les empêcher de parler à la RTB. Il y a eu des heurts, et malheureusement une ou deux victimes. Qui a posté ces soldats à la RTB ? Chez François Compaoré ? Qui a fait ériger un poste avancé à Ouaga 2000 pour empêcher les manifestants de se rendre à la Présidence ? Quels ordres ces différents éléments au niveau de leurs postes respectifs ont-ils reçus et de qui ? Voilà des questions et des pistes de réflexion, qui doivent nous conduire à la vérité historique, pour déterminer les responsables à tous les niveaux et situer surtout, les responsabilités des politiques et des militaires de l’époque.  Après cet incident grave à la RTB, la foule s’est dirigée vers le domicile de François Compaoré, conseiller à la présidence, et petit frère du président de la République, pour en découdre. Là-bas aussi, il y a eu des victimes. Ce domicile a été, de tout temps, gardé par des militaires comme la RTB, et à aucun moment, on a demandé l’avis d’un ministre pour poster ces soldats dans ces endroits. Enfin, après avoir fini avec la RTB et le domicile de François Compaoré, la foule s’est dirigée vers Ouaga 2000, pour aller déloger le président Blaise Compaoré de la présidence. A ce niveau également, il faut signaler l’existence au niveau de la présidence, d’un camp militaire avec environ 1 500 à 1 600 soldats. Un poste avancé a été installé pour stopper les manifestants. Là aussi, il y a eu des heurts et des victimes. Au total, sur les six ou sept morts (RTB, domicile de François Compaoré, Ouaga 2000), les responsabilités militaires et politiques peuvent être situées, si une enquête rigoureuse est menée. On peut savoir qui a posté les hommes, qui a donné les ordres et qui en supporte la responsabilité politique. Ce que je sais, c’est qu’avant ces évènements, nous n’étions plus des ministres du gouvernement (le gouvernement ayant été dissous) et que les centres de décisions étaient dans d’autres mains. Si je reviens en arrière par rapport à l’article 37, la position que j’ai toujours défendue, et qui était aussi celle de mon parti, était sa non-modification, sinon son verrouillage pour limiter le nombre de mandats à deux. Depuis plus de 20 ans, nous avons, dans le parti, défendu cette position. Nous étions, je crois en « démocratie », et dans un tel régime, on ne peut empêcher une majorité présidentielle d’introduire un texte à l’Assemblée pour appréciation, ou appeler à un référendum ou à une relecture de certaines dispositions. L’acte que la majorité d’alors voulait poser n’était pas anti- constitutionnel. Nous ne pouvions pas les empêcher de faire ce que la loi permet. Nous avons seulement, une semaine avant les évènements, pris, après une réunion des instances du parti, la décision suivante : laisser la latitude à chaque militant de l’UNDD, de voter contre ou de s’abstenir, si le projet de modification de l’article 37 était soumis au référendum. Bref, il faut nous juger ou avoir le courage de solder ce dossier pour nous libérer de ce calvaire.

 

                   

Comment avez-vous accueilli le verdict du procès sur l’affaire Thomas Sankara, condamnant à perpétuité votre ancien mentor Blaise Compaoré ?

 

 

C’était sans surprise pour moi car, je m’y attendais, au vu du climat social et de l’environnement dans lequel s’est tenu le procès. Pour moi, une vie humaine équivaut à une vie humaine. Nous sommes tous égaux en droits et en devoirs selon la Constitution. J’aurais préféré une autre démarche initiée par les autorités. Car, pour moi, tous les crimes commis depuis octobre 1983 doivent, dans une approche globale, être jugés. Pour la grande « Histoire du pays », pour éviter les interprétations et les sous-entendus, on aurait dû commencer par le dossier des premières victimes de la Révolution d’octobre 1983, situer les responsabilités et prendre les dispositions idoines pour le réconfort des familles des victimes. Durant cette période, le président Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Henri Zongo, Jean-Baptiste Boukary Lingani, et d’autres acteurs, s’il y en a, assumeront. Après cette période, et à partir du 15 octobre 1987, Blaise Compaoré, en tant que principal dirigeant de l’époque, viendra répondre des actes posés sous sa gouvernance, pour en situer le ou les contextes, les responsabilités ou sa responsabilité et assumer ce qu’on lui reproche. Sans attendre l’action interpellatrice des parents des victimes, l’Etat burkinabè devait être au-devant de ce processus indispensable, pour la recherche de la vérité, la justice, la paix des cœurs, et la réconciliation nationale. Justice pour toutes les victimes, et dépassement individuel pour un vivre en commun dans ce Burkina que nous aimons tous. Justice vraie où toutes les prérogatives des parties prenantes seront garanties et effectives.

 

 

Depuis sa chute en 2014, avez-vous rencontré Blaise Compaoré ?

 

 

J’ai eu l’occasion de le rencontrer dans le cadre d’une de mes missions de consultance en septembre 2021 en Côte d’Ivoire. Avant la fin de ma mission, je suis allé lui rendre une visite de courtoisie et profiter pour prendre de ses nouvelles. Nous avons échangé pendant environ une heure trente minutes sur plein de sujets. Je retiens de nos échanges qu’il est très préoccupé par ce qui se passe dans son pays, le Burkina. Il aime son pays, et veut absolument rentrer. Il supporte difficilement la vie en Côte d’Ivoire. Je lui ai demandé de rentrer au pays pour faire face aux évènements et à l’histoire. Il attend peut-être des conditions un peu plus favorables ou respectueuses de son statut d’ancien chef d’Etat pour passer à l’acte. Je ne regrette pas d’avoir été son ministre sous le gouvernement Tiao car, au-delà de toute considération individuelle, subjective ou partisane, j’ai, en tant que citoyen, eu l’opportunité d’occuper un poste de responsabilité où, avec mes collaborateurs au sein du ministère, j’ai donné le meilleur de moi-même pour mon pays. Et si c’était à refaire, je n’hésiterais pas un instant. Et enfin, au-delà de toute considération politique partisane, venant de l’opposition, je confesse que j’ai rencontré dans ce dernier gouvernement, des ministres pour la plupart, compétents, sérieux et rigoureux dans le traitement des dossiers de la Nation. Et, je crois en toute modestie, que nous n’avons pas à rougir du travail effectué, en comparaison objective avec les différents ministres qui ont pris la relève après nous. Je suis aussi totalement et foncièrement contre cette théorie de la globalisation destructrice qui laisse croire que pour avoir été membre d’un gouvernement du président Blaise Compaoré, on doit te coller une étiquette négative. Non, partout, et à tout moment, dans les différents gouvernements successifs du pays (sous Blaise Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré et autres), il y a eu de bons et mauvais ministres. Et c’est dans la recherche d’un leadership confirmé, que nous trouverons ensemble, un jour, des patriotes non partisans, panafricanistes, qui auront le courage de se mettre au-dessus des approches partisanes et de la politique politicienne, pour constituer une masse critique, un groupe de patriotes, un gouvernement éclairé, composé des meilleurs ministres chacun selon sa spécialité ou son domaine de prédilection, pour sauver enfin ce beau pays. C’est le rêve que j’ai pour mon pays en 2025 après cette période de transition.

 

 

Que pensez-vous de l’option prise par les nouvelles autorités, de dialoguer avec les groupes armés terroristes ?

 

 

Tout conflit armé finit toujours par des négociations, par le dialogue. Mais, pas dans n’importe quelles conditions. Si les nouvelles autorités connaissent les groupes terroristes (les principaux responsables, les tireurs de ficelles dans l’ombre), si les raisons qui poussent ces groupes terroristes sont connues et biens spécifiées, et si les autorités pensent pouvoir résoudre le problème par le dialogue, je ne vois rien de mal à cela. Mais si cela doit servir de diversion pour gagner du temps, il faut immédiatement stopper cette comédie. Il faut cependant dialoguer en position de force et en posant des limites à ne pas dépasser dans le cadre dudit dialogue.

 

 

Quel bilan faites-vous des 100 jours de la gouvernance du président Damiba ?

 

 

La notion des « 100 jours » de gouvernance à juger, a été adoptée dans le cadre de situations normalisées au niveau de la gouvernance dans les pays européens où tout est en règle, stabilisé. Où avant de venir au pouvoir, le chef de l’Etat a déjà tout préparé, en termes d’équipe gouvernementale, de projets de textes majeurs à faire adopter en urgence et en termes d’orientations économique et politique. Dans un tel contexte, où tout est prévu, planifié d’avance, on peut objectivement opiner sur les grandes options ou actes des gouvernants au bout de cent jours. Chez nous, au Burkina, la situation et le contexte ne sont pas les mêmes. Ceux qui ont pris le pouvoir en janvier 2022, ont laissé paraitre un certain flottement, une certaine hésitation dans l’orientation et dans l’action. Quand on prend le pouvoir, que ce soit à l’issue d’élections ou d’un coup d’Etat, on doit savoir ce qu’on veut faire et avec qui le faire. On doit avoir auparavant en tête, la liste de ses principaux collaborateurs sur lesquels on veut s’appuyer pour la réussite de sa mission. On doit être proactif, et avec célérité, imprimer sa marque, transmettre un message qui permette clairement aux gens de savoir où on va, avec qui et comment on fera, pour atteindre les objectifs qui ont justifié la prise du pouvoir quel que soit le processus utilisé. Chez nous, au Burkina, nous sommes en situation de crise et de désarticulation de l’Etat. Dans un tel contexte, il est très difficile de porter un jugement définitif sur l’action de l’Etat. Cependant, les choses ne vont pas dans le bon sens comme on l’aurait souhaité et comme l’avaient promis les nouvelles autorités. Il faut donc des actions concrètes qui rassurent les populations. Cent jours, c’est court et long en même temps, pour une population qui vit toujours sous les mêmes contraintes et les mêmes privations. Les mêmes problèmes subsistent toujours depuis la prise de pouvoir par les militaires, ce sont des problèmes d’insécurité, de famine, de chômage, de morosité économique et de fracture du tissu social. Ce sont des problèmes structuraux de fond qu’on ne peut résoudre en cent jours. Un discours a été tenu lors de la prise de pouvoir par les militaires, pour justifier leur action et fixer leurs priorités. Nous attendons surtout des actions allant dans le sens de la résolution des grands défis du pays que sont l’insécurité, la gouvernance économique et la réconciliation nationale. Nous leur souhaitons beaucoup de courage et de succès sur ces différents fronts. Car, pour nous, une fois aux manettes du pays, nous souhaitons à tout dirigeant, qu’il réussisse car son succès est le succès du pays et son échec, notre échec à tous. Il faut qu’ils fassent vite et bien les choses, qu’ils tracent des sillons prometteurs qui démontrent la justesse de leur prise de pouvoir. Ils ne pourront pas tout résoudre, mais ils doivent offrir des pistes, des axes d’actions permettant réellement de faire reculer sur le terrain, les terroristes, permettant de se rendre compte qu’ils sont initiateurs de méthodes plus vertueuses en matière de gouvernance économique et sociale. En n’oubliant pas surtout que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Bon vent à eux, et que Dieu Le Tout- puissant  guide leurs pas.  

 

 

Un spot télévisuel passe sur les ondes d’une télévision de la place et fait l’apologie du MPSR (ndlr : spot désormais rétiré). Quel commentaire en faites-vous ?

Pas de commentaire de ma part car, je suis aux antipodes de ce genre de pratiques. A la place de Damiba, je ferais arrêter cela immédiatement. C’est du populisme et seules les actions positives du gouvernement Damiba seront les vrais éléments d’appréciations du pouvoir en place. De tout temps, il y a toujours eu des zélateurs des régimes, des « vuvuzela » de service, des griots ventriloques à impact négatif et dévastateur en termes d’images des gouvernants.

 

 

Quelle approche pouvez-vous suggérer pour résoudre la question terroriste ?

 

 

Je ne suis pas un spécialiste du domaine militaire. Je crois cependant, en tant que simple citoyen et observateur, que nous avons un problème au niveau de la stratégie militaire à adopter pour contrer ces terroristes. Nous avons un problème d’équipements ou de matériel militaire. Nous avons un problème pour trouver de véritables partenaires pour nous assister dans nos efforts de guerre. Et enfin, nous avons un problème de passivité citoyenne, d’inaction interpellatrice de certaines composantes de la société (les chefs traditionnels, les Burkinabè de l’extérieur en termes de contribution à l’effort de guerre, etc.). Pour moi, mais je peux me tromper, nous n’avons pas affaire à  un problème d’effectif car, nous avons environ 11 000 à 12 000 militaires, nous avons des gendarmes, des policiers, des agents des eaux et forêts. Cela veut dire que nous pouvons mobiliser environ 20 000 soldats armés. En face, je pense que les terroristes, qui nous attaquent, ne sont pas plus de 2 000 à 3 000 hommes. Nous devons avoir une stratégie plus offensive, d’encerclement et permanente sur le terrain. Une stratégie d’encerclement des groupes terroristes, qui mobilise et arme effectivement les soldats et les populations locales, dans le cadre d’une guerre populaire généralisée de défense des différentes zones de conflits. Une stratégie d’implantation de nouveaux camps militaires dans les zones de combats, avec un effectif minimum de 500 soldats expérimentés, bien armés, motorisés et motivés dans chaque camp. C’est le moment pour moi également, de demander la contribution active de nos chefs traditionnels dans cette lutte. Ont-ils des pouvoirs traditionnels adaptés en période de guerre ? Peuvent-ils trouver des gens à même de faire sortir des abeilles ou tout autre élément naturel, pour débusquer et chasser les terroristes de nos forêts, de leurs lieux de cache ? Ont-ils vraiment la capacité de rendre nos militaires invulnérables aux balles des terroristes, etc ? C’est aussi, pour eux, le moment d’étaler leur puissance, de les éprouver face à une situation concrète de guerre et de nous démontrer que ce n’est pas du vent qu’on nous ressort à tout moment. En un mot, y- a-t-il des us et coutumes traditionnels qui peuvent contribuer dans la lutte contre les terroristes ? Si oui, il faut les mettre en pratique. Aux Burkinabè de l’extérieur comme à ceux de l’intérieur, je lance un appel à plus d’implication et de participation à l’effort de guerre. Nous pouvons, par exemple, en plus de l’effort de l’Etat, parrainer, prendre en charge totalement ou partiellement les orphelins de guerre. Les opérateurs économiques de chaque région, peuvent constituer et alimenter des fonds de solidarité à cet effet, ou s’engager à embaucher les membres des familles de nos soldats morts sur les champs de guerre. Il nous faut aussi avoir le courage, après avoir fait le bilan objectif de l’existant, de diversifier notre partenariat. Trouver de vrais partenaires très réactifs, qui peuvent et qui veulent nous aider concrètement et dans des délais assez brefs, avec du matériel adapté au combat. Concrètement, en termes de matériel militaire, que nous procurent nos relations avec la France, la Chine, la Turquie ? Si rien de concret ne vient de nos partenaires, il nous faut trouver d’autres plus réceptifs ou garantir nos ressources minières auprès des exploitants actuels, pour avoir des avances de trésorerie et financer nos efforts de guerre. Quant aux enfants du pays qui s’associent aux terroristes pour nous attaquer, chaque ethnie avec ses chefs de terre, peut ramener, sous la menace s’il le faut, ses brebis égarées à la raison. Il faut, enfin, renforcer les actions des VDP, les multiplier, les encourager, les motiver et leur garantir des possibilités de reconversion professionnelle à la fin de la guerre. Et enfin, il faut aboutir à une véritable synergie d’actions anti-terroristes avec le Mali et le Niger. Avec ces deux pays frères, rien ne doit pouvoir nous séparer, car nous avons un destin commun.

 

 

Comment faire pour parvenir à la réconciliation nationale prônée par bien des Burkinabè ?

 

 

Il faut d’abord le vouloir et en reconnaître la nécessité, ce qui n’est pas évident dans tous les milieux. Il faut ensuite, trouver des hommes et des femmes dignes de confiance pour mener le processus. Il faut déterminer de façon consensuelle, le mécanisme opérationnel et les différentes étapes. Il faut avoir surtout à l’esprit, l’intérêt supérieur de la Nation, rechercher la vérité, rendre justice, pardonner et pouvoir vite tourner la page pour affronter ensemble, les grands défis du 21ème siècle. Je suis cependant convaincu qu’avec la lenteur de la Justice moderne, les influences politiques dans le traitement des dossiers et les antagonismes clivants, cela prendra beaucoup de temps et de ressources. Pouvons-nous trouver d’autres approches pour atteindre l’objectif recherché ? Je le souhaite ardemment car, un peuple désuni est un peuple fragilisé, incapable de faire face aux défis majeurs et miné dans toutes ses tentatives de développement.

 

 

Que pensez-vous de la durée de la transition ?

 

 

Dans le cadre de l’appel à contributions, en tant que citoyen burkinabè, j’ai défini quatre axes prioritaires (lutte contre le terrorisme, réinstallation insertion des populations déplacées, lutte contre la corruption et la mal gouvernance et recherche de vrais mécanismes pouvant nous conduire à une véritable réconciliation nationale) avec une période de transition estimée à environ deux ans au maximum. Cette proposition est celle d’une personne extérieure qui n’a pas tous les éléments d’appréciation, mais qui pense que nous pouvons, au bout de deux ans, tracer les sillons pour un renouveau du Burkina dans tous les domaines. On ne pourra jamais résoudre les problèmes structuraux du pays en deux, trois ou cinq ans. On doit identifier les axes majeurs, tracer des sillons et des réformes irréversibles dans les secteurs ou domaines clés de la vie nationale et espérer, dans le cadre d’une continuité, dans le cadre de la mise en place d’un gouvernement éclairé, conduit par des leaders visionnaires et patriotes, la poursuite et l’approfondissement des actions novatrices et salvatrices qui seront initiées sous cette période de transition.

 

Propos recueillis par Antoine BATTIONO

 

 


No Comments

Leave A Comment