LA NOUVELLE DU VENDREDI : Nos langues africaines et nos enfants
Au Burkina Faso et dans le reste du monde, que devient un véritable Lobi, un fier Bissa, un courageux Gurunsi, un pur Bobo, un sage Sénoufo, un fiable Gourmantché sans sa langue maternelle ? Que devient un intègre Peul, un courageux Dagara, un noble Mossi, un intraitable Samo sans sa langue maternelle, le premier héritage de sa culture et de son identité ? La perte d’une langue entraîne automatiquement la perte d’un pan de la culture.
L’enfant africain qui ne parle ni la langue de son père, ni celle de sa mère, devient étranger à sa propre culture.
Enfant, mon père qui parlait couramment plusieurs langues, était finalement devenu un trait d’union entre plusieurs communautés. Il nous parlait de l’importance et de l’intégration à l’africaine par les langues. C’est ainsi qu’il nous relevait l’impact de nos langues africaines sur notre formation. Quand nous étions fiers d’apprendre un mot en français ou en anglais, il nous disait :
- J’espère que vous connaissez aussi tel mot dans la langue fulfuldé, dioula… Dans votre classe, vous avez des camarades qui parlent d’autres langues. Profitez et vous apprendrez des mots avec eux. C’est bien d’apprendre les langues occidentales, mais il faut le faire sans détruire nos langues africaines.
Vivant dans un beau quartier du pays des Hommes intègres , ma cousine Binta est une jeune dame du monde moderne et très civilisée comme il faut, travaillant dans une banque de la place. Native du Centre-Est du Burkina Faso, ma cousine parle couramment le mooré et profitant de son séjour dans une université à Bobo-Dioulasso, elle parle merveilleusement bien le Dioula. Zacharie, son jeune époux, chirurgien et diplômé de grandes facultés occidentales, n’est pas en reste. C’est un jeune monsieur natif du Sahel qui parle bien sa langue fulfuldé, et aussi le mooré et le bissa qu’il a appris pendant sa vie d’étudiant à Ouagadougou et lors d’un stage en milieu rural. Un couple comme il faut, se la coulant douce dans sa confortable existence. A ce tableau idyllique s’ajoute Haryiat, leur fillette de 10 ans. Il y a quelques mois, c’est devenu une pratique très courante, bling-bling, et à la page pour les nouveaux riches au Faso. Ma cousine Binta, avec une petite fortune, est allée tranquillement mettre au monde son enfant dans un pays « civilisé », le Canada. Faisant la différence, de retour au pays avec son bébé bénéficiant déjà d’une nationalité de standing, j’allai avec un présent symbolique lui rendre visite un soir de dimanche. Pendant deux heures dans le palais de ce couple nouvelle tendance, je remarquai une chose. Pendant toute ma présence, monsieur et sa fille chérie Haryiat, communiquaient en anglais. Quant à la mère, c’est par le français qu’elle s’adressait à sa fille. Cela est bien beau. Un enfant burkinabè parlant parfaitement le français et l’anglais à 10 ans. C’était simplement beau, séduisant et sublime. Je complimentai la fille et ses deux parents visiblement satisfaits et fiers de leur éducation.Avant de partir, je m’adressai à Haryiat dans la langue de sa mère. Surprise, la fillette ne comprenait pas un seul mot de ce charabia de sauvage que je parlais.
La cousine Binta s’excusa :
– Haryiat ne parle pas encore notre langue. J’ai l’impression qu’elle ne veut même pas l’apprendre.
– Elle parle au moins la langue de son père ? demandai-je.
– Pas encore, mais ça ne tardera pas.
En quittant ma cousine et sa famille, je me posais mille fois cette question : Quel avenir culturel et identitaire pour cet enfant qui ne parle ni la langue de son père ni la langue de sa mère ?
C’est un constat amer pourtant réaliste et alarmant. Au pays des « Hommes intègres », dans certains milieux où le matériel et la vie à l’occidentale priment l’Homme africain et ses valeurs, l’apprentissage des langues maternelles qui devaient être un socle, un héritage incontournable, une transmission de parents à enfants, est en nette baisse dans ces foyers dits modernes et instruits. Une raison difficile à cerner mais peut-être au nom d’un mépris inconscient sous la lumière et la vie à l’occidentale. Mais comme le dit un adage populaire du Burkina Faso : « Même resté pendant mille siècles dans la profondeur du fleuve, le bois mort ne deviendra jamais un caïman ».
Ousseni Nikiéma
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