HomeOmbre et lumièreNOUVELLE DU VENDREDI Les deux aveugles

NOUVELLE DU VENDREDI Les deux aveugles


 

 « Le fatalisme enfonce l’homme dans les flammes de la précarité. La résignation, le défaitisme enterrent l’avenir sous les cendres amères de la dépendance. Dans l’obscurité, si infime soit-elle, poursuivons toujours cette petite flamme, lueur de l’espoir ».

 

 Il y a très longtemps, au Mogho et précisément à l’Est du pays des Hommes intègres, l’onchocercose, cette maladie  provoquée par la piqûre de la simulie, une espèce de moustique, sévissait impitoyablement. Comme une fumée envahissante, le malheur s’était invité dans l’intimité des cases de cette région de Dunia. Le fléau avait atteint des dimensions considérables. Cette malédiction, ce voile noir qui recouvrait la vue se propageait dans les familles. Ce mauvais sort jeté dans les rivières par un esprit maléfique semait la désolation, le désespoir, la misère profonde dans cette population rurale et exposée.

Sur les sentiers de villages de la savane, sur les places de marchés, les non-voyants réduits à tendre la main pour subsister se promenaient par dizaine. Marchant parfois en file indienne, ils se tenaient par des bâtons, guidés en tête par un gamin généreux épargné par miracle.

Dans les concessions, le tableau représentait l’anatomie de l’âme dans toute sa laideur. L’impuissance, la vulnérabilité de l’humain face aux forces révoltées de la nature. Par milliers se comptaient les victimes. Presque toutes les familles étaient concernées par le mal.

Dans la patrie de l’oignon et de l’arachide, le pays Bissa connut en ce temps-là une période sombre de son histoire.

La roue sacrée de l’univers tourne toujours des deux sens contraires. Entre joies et peines, rires et larmes. L’obscurantisme de la nuit, ce brouillard  avec juste quelques étoiles dans le ciel ne s’éternise à jamais. Le moment arrive où le soleil de l’espoir se décide. Il se pointe magistralement à l’horizon et inonde de sa lumière caressante les cases sacrées de la grande savane de Dunia.

N’Soba le créateur, sourd aux invocations se décida enfin. Sa noble volonté jeta un vent clément dans cette région des aïeux.

Traqué de tous les côtés, dans ses moindres retranchements par les remèdes du Mogho, de l’Orient et de l’Occident, le mal des rivières de l’est régressa. Progressivement le fléau se retirait. Le jardin de l’avenir se refleurissait.

En cette période d’espérance, vivait dans un village de l’est, un vieil aveugle. Mitba était son nom. Victime de la première heure, la maladie avait emporté le dynamisme, dilapidé l’optimisme, brûlé le bel âge de l’homme. A la place de son cœur, s’était installé le venin du fatalisme, la rancœur contre le destin cruel, le dégoût de l’existence à travers ses semblables. Loin des autres mendiants, le vieil homme avait élu sa base sous l’ombre d’un caicédra à l’entrée du marché de son village.

Pendant des heures, on l’entendait :

 Allah Garibou !

Des cauris, des galettes, des légumes, quelquefois un poulet de sacrifice ou un boubou usagé tombaient chaque jours sur sa vieille peau de mouton. Depuis son malheur, Mitba vivait uniquement par la bonté de ses concitoyens. Pour l’aveugle, c’était son droit légitime de tendre la main. Son handicap lui assurait une source de revenu précaire mais substantiel. Il ne voyait pas la vie autrement.

Un matin, sur la place du marché, à l’ombre du caicédra, sous la patrie du père Mitba ce fut la consternation, des cris de colère, des injures. Car le vieil aveugle profitant du soleil matinal dans la somnolence sentit une présence, à trois ou quatre pas, une jeune voix qui se permit de lancer dans l’air.

Allah Garibou !

                                         

 

  • Qui ose venir me déranger sous mon arbre ! S’indigna Mitba en se redressant.

  • – Père, excusez-moi … je ne savais pas…

  • – J’occupe cette place depuis une dizaine d’années ! que l’insolent, le mal poli, l’impertinent se cherche une autre place ! Coupa sèchement le maître suprême des lieux.

  • – Père, je suis venu…juste…

  • – Les endroits libres ne manquent pas dans ce marché ! disparaît ! Intima le vieux.

Tout en injuriant, il saisit son bâton. C’était une arme redoutable dans ses mains tremblantes de colère.

Alertés par les cris, les gens accoururent. Tâche difficile, on tenta de calmer le vieil homme. Lorsque les bonnes volontés avec beaucoup de diplomatie parvinrent à adoucir le fougueux Mitba, ils installèrent le jeune aveugle sous un autre arbre à une quinzaine de pas. Le litige était réparé.

Koissa, c’était le nom du nouvel arrivant, était un jeune homme de dix-huit ans. Travailleur et ambitieux il fut hélas victime de la dernière heure du fléau. La maladie, impitoyable s’était invitée dans son corps, voilant à jamais sa vue.        Mais si le mal avait emporté un sens si précieux de Koissa, la sève de la combativité et du dynamisme restait intacte dans les veines du jeune handicapé.               La dépendance était un fardeau trop lourd pour lui. Tendre la main écrasait son âme, écorchait son coeur. Il cherchait le moyen de s’en sortir. Une solution pour gagner autrement son pain.

Il était dans le filet de la mendicité parce que d’autres alternatives ne s’étaient pas encore ouvertes à lui. Il cherchait et se disait qu’il trouvera un jour une porte de sortie.

Depuis son installation au marché, chaque fois que le jeune mendiant avait l’occasion, il se procurait un rouleau de fibres avec le gain de sa quête. Il nourrissait une petite idée qu’il espérait mettre en pratique. Avant son malheur,   Koissa était un jeune garçon entreprenant. Il avait appris dans la foulée quelques rudiments de métiers. Entre autres, la confection des cordes et des paniers.

Le jeune aveugle se mit en défi de retrouver ses réflexes d’antan, l’agilité de ses doigts dans le noir de sa cécité.

« Aux entreprenants, le dieu des handicapés est souvent porteur d’une baguette magique ».

Au bout de quelques semaines de difficultés, d’errements et de tâtonnements, la motivation du jeune invalide triompha. Il développa ce sixième sens précieux, cadeau des dieux. Koissa parvint à tresser quelques cordes de très belles factures. Quelques jours plus tard, il enrichit ce tableau avec deux ou trois paniers. Il étala sa maigre marchandise et commença sa propagande.

Cordes et paniers !

Ainsi lança t-il en lieu et place de la fameuse hymne des Garibou.

Les premiers clients de Koissa furent très satisfaits de son travail. Ils le recommandèrent à d’autres. De bouche à oreille, la volonté du jeune mendiant fit naître une vive sympathie auprès de ses concitoyens. En quelques mois, il se composa une clientèle. Lorsque la demande fut forte et pressante, il se fit assister par un jeune garçon valide mais aussi par quelques frères de misère.      L’arbre de mendicité se transforma en atelier.

Koissa le jeune aveugle, par sa foi, son courage et sa détermination, fonda le premier centre d’handicapé de la grande savane de Dunia. Son activité prospère lui assura une digne autonomie.

Quelques années plus tard, une jeune fille de la région, belle et cultivée proposa de partager les jours et les nuits de Koissa. On scella leur union dans la joie et dans le respect des traditions. Ensemble, ils se complétèrent et fondèrent un heureux ménage.

Le vieux Mitba sans rancune rejoignit cette belle famille et joua si bien son rôle de patriarche auprès des enfants du couple.

Aux personnes malades, vieilles ou invalides dans le besoin, la mendicité n’est pas une malédiction. En faire une profession légale ternit la dignité humaine. S’en sortir des griffes de la dépendance est une victoire.

 Aux jeunes gens, tendre la main doit être motivé par une nécessité absolue. Se battre pour s’en sortir est recommandé par toutes les croyances de Dunia.

« Un poil gagné par la sueur du travail vaut mieux qu’une peau entière obtenue par compassion ».

Ousseni NIKIEMA, 70-13-25-96

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