HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE Des auditions complémentaires qui virent aux règlements de comptes entre co-accusés

PROCES DU PUTSCH MANQUE Des auditions complémentaires qui virent aux règlements de comptes entre co-accusés


Jamais des auditions d’accusés impliqués dans le coup d’Etat manqué au Burkina Faso, n’ont été d’une aussi longue durée. Le 23 janvier 2019, le sergent-chef Roger Koussoubé et le caporal Sami Dah sont revenus à la barre pour subir l’exercice des interrogatoires complémentaires. Les auditions du jour ont fait ressortir beaucoup de déclarations contradictoires de co-accusés. Et les co-accusés du jour ont tous deux maintenu leurs déclarations antérieures à la barre.

« Votre attention, s’il vous plaît, le Tribunal », crie l’appariteur d’une voix tonitruante à l’endroit de l’assistance venue suivre le procès du putsch manqué dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Cette interpellation marque tous les matins l’entrée du juge et de ses collaborateurs dans la salle d’audience. Et ce 23 janvier, la règle est aussi respectée. Après l’installation des membres du Tribunal, l’audience peut commencer. Le président du tribunal, Seidou Ouédraogo, appelle à la barre le sergent-chef Koussoubé qui, la veille, a dit maintenir les déclarations qu’il a eu à faire à la barre lors de sa première comparution. D’emblée, Me Bertin Kiénou demande la parole. Et c’est pour se prononcer sur la stratégie de défense du sergent-chef Koussoubé qui, selon lui, s’apparente à de la « dérobade », puisqu’il s’appuie sur les propos du major Badiel pour dire qu’il « n’a rien fait ». Pour Me Kiénou, « cette stratégie de la dérobade conduit à la noyade collective ». Une position soutenue par Me Adrien Nion qui affirme que la stratégie de défense du sergent-chef Koussoubé n’est pas pertinente, car « les développements qu’il a faits, contredisent ses faits d’après ». Et Me Nion s’explique en ces termes : « Koussoubé dit n’avoir pas adhéré au coup d’Etat, mais quand il s’agissait d’aller à la radio Savane FM, il y est allé ». Et il finit ses observations par une question : «pourquoi c’est le 18 septembre 2016, la nuit, que vous décidez d’aller voir comment fonctionne une radio ? ». Contre toute attente, l’accusé réagit : « Je vous respecte beaucoup. Vous pouvez poser vos questions et faire vos observations, je ne vais jamais vous répondre ». Malgré cette réponse de l’accusé, Me Nion poursuit en posant des questions et en faisant des observations. A la fin, Me Nion fait observer que le sergent-chef Koussoubé est peu crédible et que « tout le monde se trompe mais c’est persister dans l’erreur qui est diabolique ».

« Si le colonel s’est retrouvé dans la procédure, c’est à cause de Nion et Diallo »

Me Nion monologue pendant un bout de temps. Et l’accusé se décide enfin à répondre à ses questions. Et c’est lors de ces questions-réponses que le sergent-chef Roger Koussoubé  lance : « Nion et Diallo étaient protocoles dans la campagne présidentielle du colonel Yac. Si le colonel s’est retrouvé dans la procédure, c’est à cause de Nion et Diallo parce qu’ils aiment trop l’argent si fait qu’ils captent partout ». Parlant d’argent, Me Latif Dabo reprend l’une des questions de Me Nion, avocat de l’accusé Florent Nion : « Avez-vous monnayé votre déposition ? ». « Non », répond-il avant de lancer à l’endroit de Me Nion et de
son client : « Il y a une vie après le procès. Mais comme ils m’ont chargé, calomnié et qu’ils veulent me détruire, moi aussi je vais dire ce que je ne voulais pas dire ». Une réaction de l’accusé Koussoubé qui fait dire à Me Nion que la haine que Koussoubé a de son client, rejaillit sur lui puisque le sergent-chef a refusé de répondre à ses questions, mais répond aux questions de ses confrères avocats de la défense. Et il fait remarquer que « le déballage de Koussoubé n’est rien d’autre que des représailles ». A ce stade, les auditions complémentaires prennent la tournure de règlements de comptes entre co-accusés. Tout compte fait, Me Alexandre Sandwidi clame que son client, le sergent-chef Koussoubé, n’a rien fait et que « ce procès risque de finir comme celui de Laurent Gbagbo ». Et Me Michel Traoré, l’autre avocat de l’accusé, de déclarer que Koussoubé est tombé dans un piège de Badiel et de Nion sinon rien ne l’inculpe dans le coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015. A la fin de son interrogatoire complémentaire, le sergent-chef Roger Koussoubé, avant de rejoindre sa place, a une fois de plus présenté ses condoléances aux familles éplorées et souhaité prompt rétablissement aux blessés. Après le sergent-chef Koussoubé, le président du tribunal appelle le caporal Sami Dah pour son deuxième passage. A la barre, il dit maintenir les déclarations qu’il a eu à faire lors de son premier passage. Et il soutient qu’il s’est retrouvé au palais à cause de l’appel téléphonique du sergent-chef Koussoubé. Mais le parquet fait vite de relever une contradiction entre les déclarations de l’accusé et celles des officiers. En effet, l’on se souvient que quand des officiers sont passés à la barre, la plupart ont soutenu qu’ils ont vu le caporal Dah Sami dans la salle de réunion et qu’il était armé. Et c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas voulu faire opposition à tout ce qui a été dit lors de la réunion. Mais Sami Dah, qui était dans la sécurité du général Diendéré par le fait du sergent-chef Koussoubé, dit n’être jamais entré dans la salle de réunion. Il explique au parquet que quand ils sont arrivés au poste de commandement, le général lui a dit de rester au secrétariat et c’est ce qu’il a fait. Il notifie qu’il avait sa kalachnikov et un chargeur et que les officiers avaient leur pistolet automatique par devers eux. Et il demande comment lui, « simple caporal, même armé, peut influencer la décision d’un groupe d’officiers aussi armés». Son conseil, Me Antoinette Boussim, de venir à la rescousse de son client en développant trois arguments en sa faveur : « regardez son physique frêle. Il ne peut pas impressionner les officiers. En plus, si vous êtes à armes égales, où est l’intimidation ? ». En tout état de cause, Me Boussim lâche : « un officier ne doit pas avoir peur de mourir pour sa patrie. Et comment un officier peut-il avoir peur d’un caporal ? ». Une interrogation qui s’évanouit dans la salle comme toutes les autres paroles de Me Boussim qui lance que depuis le début du procès, elle n’avait pas trop compris le but de ce procès. « Ce procès, ce n’est pas pour connaître la vérité mais pour avoir la tête du général ». Il n’en fallait pas plus pour que les avocats de la défense tombent à bras raccourcis sur elle. Me Séraphin Somé, avocat des parties civiles, juge les propos de Me Boussim « gravissimes  parce que si on ne veut pas la vérité, le court chemin c’est de bousiller l’accusé. C’est parce qu’on cherche la vérité que ce procès se tient ». Après ce commentaire, il pose des questions au caporal Sami Dah qui laisse entendre : « Je ne veux pas répondre à Me Somé parce qu’il m’a traité d’agent double. Celui qu’il défend, le colonel Zida, on l’aurait tué le 8 juillet 2015 si je n’étais pas intervenu. Les gens ne sont pas reconnaissants. Si je n’avais pas déjoué le coup d’Etat, Me Somé n’aurait pas de client à défendre aujourd’hui parce qu’il serait mort ». La réplique de Me Somé ne tarde pas : « Vous pouvez avoir de la rancœur contre moi, ça c’est votre problème. Mais le fait est que vous étiez comme un cube maggi. Vous mangiez à tous les râteliers ». Après cet échange, Me Somé déclare que « l’interrogatoire complémentaire semble ne pas avoir de sens » quoique « c’est un exercice normal ». Tout compte fait, le caporal Dah Sami réaffirme que c’est en exécutant les ordres du sergent-chef Koussoubé qu’il « s’est retrouvé dans cette affaire ».

Françoise DEMBELE

 

Entendus à l’audience

« L’adjudant Nion peut tuer quelqu’un à cause de l’argent »

Au cours de l’audition complémentaire du sergent-chef Koussoubé, il a affirmé à la barre que l’adjudant Florent Nion est cupide et il prend cet exemple : « Lors du départ du président Blaise Compaoré, dans le cortège, ils ont appris que la route était barrée à Pô. Le cortège a fait une halte dans la brousse et c’est là-bas que les Français sont venus exfiltrer le président Compaoré et son épouse. Il ne pouvait pas emporter toutes ses affaires. Et les officiers ont demandé à Nion de garder les effets du président. La nuit, ils n’ont fait que fouiller et piller les effets du président. Aussi pendant les évènements du 16 septembre et jours suivants, Nion a pris le véhicule de la Première dame et l’a caché dans un garage. L’adjudant Nion peut tuer quelqu’un à cause de l’argent ».

« On a tout pillé chez moi, jusqu’aux pagnes de ma concubine »

Sami Dah, lors de son interrogatoire complémentaire, a décrit les conditions dans lesquelles sa maison qui se trouvait au camp, a été retrouvée : « J’ai été le premier à être arrêté. On a tout pillé chez moi, jusqu’aux pagnes de ma concubine. Ils ont dit qu’ils sont venus délivrer Ouaga mais ils sont venus pour piller mes effets. Mon matelas, mon garde-manger et autres ont été emportés ».


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