PROCES DU PUTSCH MANQUE : Le parquet brandit des photos et des vidéos contre les accusés
Au Tribunal militaire de Ouagadougou, le parquet est dans une logique de confondre les accusés. En plus des éléments sonores qu’il avait, le parquet monte en grade. Au cours de l’audience du 2 avril 2019, il a fait visionner des films et présenter des photos dans lesquels figuraient des éléments de l’ex-RSP à l’œuvre pendant le 16 septembre 2015 et jours suivants.
Des images d’amateurs montrant des éléments du RSP bastonnant des jeunes avec des ceinturons dans un quartier de Ouagadougou, et qui criaient de toutes leurs forces comme des enfants. Des témoignages d’individus qui se sont fait bastonner au moyen de cordelettes des éléments de l’ex-RSP. Des témoignages de blessés qui disent avoir vu leurs compagnons « mourir sous leurs yeux ». Les incessants communiqués du médecin colonel Mamadou Bamba à la télévision nationale. Bref, un film des évènements qui fait retomber la salle des Banquets de Ouagadougou dans le souvenir du putsch manqué du 16 septembre 2015 et jours suivants. Un souvenir aussi vif qu’on aurait dit que c’était hier. Dans l’un des fichiers vidéos, tourné au carrefour de la télévision BF1, on y voit des éléments du RSP, tantôt stationnés, tantôt en mouvement. Le parquet fait comprendre sur cette vidéo, que « Sami Dah a identifié sur cette vidéo Jean Florent Nion, Laoko Mohamed Zerbo, Olloh Poda, Edmond Sanou et Madi
Ouédraogo qui ont bénéficié d’un non-lieu, Zakaria Songoti en fuite, Issaka Ouédraogo, Mahamadi Zallé, Jean Martial Zoubélé ». Le président du tribunal fait venir à la barre Jean Florent Nion. Celui-ci reconnaît être dans la vidéo mais « qu’il était en train d’aller à l’hôtel Laïco ». Si Olloh Poda ne souhaite pas faire d’observations sur la vidéo, Mohamed Zerbo dit « ne s’être pas vu dedans ». Et il note que c’est la première fois qu’il est confronté à une telle vidéo. Mahamadi Zallé, lui dit le contraire puisqu’on le voit sur une moto mais fait comprendre qu’il y était « en mission d’appui » et que si l’on regarde bien les images « il n’y avait pas d’hostilité tout au tour de lui ». A la barre, le soldat Issiaka Ouédraogo reconnaît être allé au carrefour de BF1 mais pour « se renseigner ».
« La parole c’est comme un tigre »
Une déclaration qui fait réagir le parquet parce que, dit-il, pendant l’interrogatoire à la barre, « il a dit qu’il n’est jamais sorti et pourtant on le reconnaît dans l’action ». Le soldat Ouédraogo essaie de s’expliquer en faisant comprendre que c’est en rentrant au camp, le 16 septembre dans la soirée qu’il a été filmé. L’explication ne convainc pas le parquet qui déclare : « La parole c’est comme un tigre. Quand vous ne la prononcez pas bien elle se retourne contre vous », et il ajoute qu’à l’interrogatoire au fond, le soldat Ouédraogo a dit qu’il n’est jamais allé au carrefour de BF1. Pendant que Issaka Ouédraogo se débat avec le parquet, Sami Dah, celui-là qui a permis au parquet d’identifier ses camarades sur la vidéo est mal à l’aise. Et à son tour de parole il ne manque pas de le faire savoir : « J’ai voulu montrer ma bonne foi et ça se retourne contre moi. Certains sont là à cause de moi. Je demande des excuses parce que je pensais que c’était la vérité que le parquet voulait mais je me suis trompé ». Le parquet n’est pas indifférent mais dit être étonné et comprend la frustration de l’accusé Sami Dah parce que « le parquet s’est opposé à ses multiples demandes de mise en liberté provisoire ». D’ailleurs, ajoute le parquet, ce n’est pas parce que Sami Dah a cité des personnes qu’elles sont là. « Nous recherchons la vérité. Ne vous offusquez pas parce que votre déposition a été sincère. Ce n’est pas parce que vous avez concouru à la manifestation de la vérité qu’il n’y avait pas de charge contre vous ou que vous allez bénéficier d’une sorte d’amnistie. Vous avez dit la vérité, si le parquet ne vous le reconnaît pas, Bon Dieu vous le reconnaîtra », mentionne le ministère public. Après le visionnage de la vidéo du carrefour de BF1, Me Prosper Farama dit qu’il est clairement établi que des éléments du RSP étaient en mouvement en ville le 16 septembre, bien identifiables par leur tenue. Il précise même que « il est confirmé qu’ils portaient des kalachnikovs qui sont bien des armes létales et non de maintien de l’ordre ». Et à Me Guy Hervé Kam de poursuivre, à propos des vidéos que les éléments du RSP que l’on voit sur les images n’étaient pas en patrouille, ni en contrôle de zone mais qu’ils étaient sortis pour « empêcher toute manifestation contre le coup d’Etat ». Par ailleurs, dans l’après-midi, Me Zanliatou Aouba tient à faire des observations relativement à un message du CEMGA diffusé le 19 septembre 2015 qui présentait ses condoléances aux familles éplorées et un prompt rétablissement aux blessés. Ce message a aussi condamné les actes de violences et invité les forces armées nationales à « agir avec professionnalisme ». « Je m’attendais à voir ce message condamner l’arrestation des autorités de la Transition », lance Me Aouba. A l’en croire, « cette pièce vient conforter le fait qu’il n’y avait pas de non de l’Armée à fortiori un non catégorique ». Tout compte fait le parquet continue de distiller ses preuves. Et selon le parquet, les éléments sonores diffusés dans la matinée du 2 avril, confirment l’implication de Dame Diawara et des deux généraux dans le putsch manqué. En effet, dans la conversation qu’elle a eue avec Massa Saboué, un élément du RSP, elle fait comprendre que celui qui devait leur donner l’argent vient d’être arrêté par la gendarmerie. Alors que le jour où la conversation a eu lieu, c’est-à-dire le 29 septembre, c’est ce même jour que Djibril Bassolé a été arrêté par la gendarmerie. Ce qui démontre à souhait, selon le parquet, que Djibril Bassolé aussi était l’un de ceux qui ont financé le putsch manqué. Me Latif Dabo n’est pas de cet avis. Il persiste et signe : « aucune pièce ne rattache les audios à notre cliente Fatimata Diawara » étant donné que les audios sont désignés par des pseudonymes. Donc « sur quoi le parquet se base pour dire que c’est la voix de Fatimata Diawara », s’interroge Me Dabo. Les discussions sur les éléments de preuve ont lieu ce 3 avril à la salle des banquets de Ouaga 2 000.
Françoise DEMBELE