PROVINCE DU PASSORE : Sur les traces des scolaires qui désertent les classes au profit des sites d’orpaillage
La lutte contre la présence des enfants sur les sites miniers n’est pas gagnée d’office dans la province du Passoré en particulier, et dans la région du Nord en général. Malgré moult sensibilisations des ONG et associations, certains enfants attirés par le mythe de l’or, le désir de luxe, s’adonnent à l’orpaillage aux conséquences pourtant désastreuses. Le cas des scolaires de Bouda, localité située à 10 kilomètres de Yako sur l’axe Ouagadougou-Ouahigouya, auquel nous nous sommes particulièrement intéressé, est alarmant.
En quittant Yako, dans la matinée du 20 octobre 2017, pour la couverture médiatique du bilan annuel d’investissements physiques et financiers du maire de la commune d’Arbollé, nous étions loin d’imaginer qu’en ce 21e siècle, des scolaires abandonnaient les classes au profit de l’orpaillage aux conséquences pourtant fâcheuses. Surtout que l’exploitation des enfants sur les sites aurifères est interdite par le gouvernement, et en période des classes, ces derniers qui sont les futurs cadres, devraient être à l’école avec leurs camarades. A notre arrivée sur le site, le spectacle qui s’offre à nous est impressionnant et émouvant : tout autour de la colline, des élèves s’affairent à tirer à l’aide d’une corde sur une manivelle entre deux poteaux en fer bien fixés, des sacs pleins d’agrégats. D’autres enfants nous accueillent, cigarette en main. A peine cinq minutes après, le « tout-petit » âgé de 17 ans environ qu’on appelle affectueusement « rasta » ressort d’un trou, le corps tout blanc et couvert de poussière, et lance en langue mooré : « beenga pa bi lâ ? » (le haricot n’est-il pas prêt à être consommé ?). Tous refusent toute communication, et ont interdit toute prise de photo malgré notre insistance. Sur un autre flanc de la colline, un groupe d’enfants ramassaient des agrégats à l’aide de sacs et de pelles pour remplir la moto-taxi servant de moyen de transport vers les marigots pour le débourbage. Les pieds dans l’eau au fort courant, une fille accompagnée de ses frères, tous des élèves de CE1 à l’école de Pèlegtenga, munis de plats de toutes sortes, s’emploient à laver des agrégats ramassés aux abords. Tout ce beau monde au corps et aux vêtements mouillés et déteints par la boue, a pollué la petite rivière servant jadis d’abreuvoir. La forte présence en ces lieux de femmes de ménage et d’enfants scolarisés de tous âges, dont certains ne comptent plus repartir à l’école, marque le plus notre attention ; surtout la présence de celles ou ceux qui vont sur les sites pour la première fois. Conscient donc des risques possibles que peut encourir un reporter à cet endroit, nous observons la vigilance. Toujours dans l’optique de minimiser les risques, nous choisissons délibérément de ne pas aborder, pendant nos échanges, la question des « orpailleurs gros bras ». Captivés par nos prises de photos, certaines de nos cibles, à savoir les jeunes filles et garçons, se redressent en tournant dos pour éviter la visibilité de leurs images. L’un d’entre eux nous accueille d’ailleurs en mooré en ces termes : « Tu veux faire quoi avec les photos ? Faut pas que le gouvernement va m’attraper hein !… ». Une belle occasion d’introduire le sujet avec nos interlocuteurs surpris. Vous ne risquez rien. Des propos qui, apparemment, attirent leur attention et instaurent un brin de confiance.
Au nom du désir de luxe et du refus de la pauvreté…
« J’ai abandonné les classes au 3e trimestre pour chercher de l’argent quand j’étais en classe de 5e au lycée provincial de Yako en 2016 », nous confie Boubacar Ouédraogo, accompagné de ses trois camarades, tous élèves d’ailleurs au lycée Bao-Bangré de Yako, venus pour l’aider à travailler dans son trou. Comme Eric et Séni, élèves en classe de CM2 à l’école de Douré, un village de la zone, ils sont nombreux ceux qui ont abandonné les classes au profit du site d’orpaillage dans l’espoir de faire fortune. Eugénie et son frère Inoussa, selon leurs propos, font la classe de CE1 à l’école de Pelegtenga. Compte tenu de la mauvaise pluviométrie de l’année, ils sont venus pour tenter leur chance et repartir après à l’école, auprès de leurs camarades d’âge. A la question de savoir s’ils n’ont pas peur de mener cette activité, le jeune Inoussa, la mine serrée, nous répond en secouant la tête, sans ajouter un mot.
Amado Kindo et ses camarades, tous déscolarisés, faute de moyens financiers, venus de Gninsga, localité située à une centaine de kilomètre du site d’orpaillage, nous confient n’avoir pas de crainte face à l’aventure. Ils disent qu’ils souhaitent avoir l’or et repartir payer la scolarité de leurs camarades qui sont restés à l’école. A la question de savoir combien ils ont gagné pour le moment, ils disent avoir empoché plus de 50 000 F CFA chacun, tout en continuant de ramasser le gravillon. Mais, deux d’entre eux déclarent vouloir abandonner le travail d’exploitation de l’or, s’ils trouvent à mener d’autres activités génératrices de revenus. Sur ce site, certaines femmes travaillent en tandem avec leurs génitrices. « Nous sommes conscients des risques et des conséquences du travail des enfants sur les sites d’or, mais nous n’avons pas le choix », indique une dame du village de Nagsénin. Pour elle, c’est à contrecœur qu’elle allie cette activité à l’agriculture. Aussi sollicite-t-elle de l’Etat de l’aide à travers des projets d’activités génératrices de revenus et de formation aux métiers afin de leur permettre de réduire l’insécurité alimentaire et de prendre en charge l’éducation de leurs enfants. Alors que nous nous apprêtons à enfourcher notre mobylette après une brève immersion pour reprendre le chemin, un groupe de jeunes orpailleurs tonne en mooré sur fond de propos quelque peu discourtois : « Nous voulons savoir ce que vous êtes venu faire ici ! ».
Les risques de déscolarisation
Parmi les passants, Séverin Sampebgo et son compagnon, deux jeunes élèves de la classe de 4e du CEG de Douré, s’arrêtent et réagissent en ces termes : «Ce sont nos camarades de classe que vous avez rencontrés. Ils pensent avoir rapidement de l’argent pour payer des motos avant nous, oubliant que la mort ne donne pas rendez-vous. Quand vous tentez de les convaincre, ils vous traitent de gens qui ne connaissent pas d’abord la vie. Si l’Etat ne punit pas ces enfants, ils seront des enfants gâtés et ils vont entraîner ceux aussi qui se laisseraient prendre par la facilité dans les mêmes pratiques. Il faut aller dire à la police de venir les chasser. Là, ils vont revenir à l’école ». Dans cette partie du Burkina Faso, le phénomène de l’abandon des classes par des élèves au profit des mines prend des proportions inquiétantes d’année en année, malgré les sensibilisations des ONG et associations de la province pour défendre les droits de l’enfant. Toutefois, approché pour avoir son avis sur le sujet, Charles Alfred Yoni, directeur provincial de l’Education nationale et de l’alphabétisation (DPENA) du Passoré, relève en substance que l’abandon des classes influence le rendement scolaire et cela est dû à la mauvaise fréquentation et aux mauvais comportements dans le milieu. En tout cas, tout le corps enseignant sensibilise les élèves pendant l’année scolaire aux côtés des associations et des parents d’élèves pour que les enfants n’aillent pas sur les sites, mais beaucoup d’élèves se laissent appâter par le gain. Aussi, la fréquentation des sites aurifères engendre des conséquences néfastes sur la santé et entraîne la consommation de la drogue, la prostitution, le banditisme, la délinquance juvénile et même la mort. Selon d’autres spécialistes de l’éducation, il y a risque que les élèves en question, pour avoir pris goût à l’argent facile, ne reprennent pas le chemin des classes à la rentrée. « C’est au regard de cette triste réalité que des actions de lutte contre le phénomène sont menées dans le Passoré et que des partenaires sociaux interviennent aux côtés des services de l’Etat et des municipalités pour réduire le phénomène de déscolarisation et d’analphabétisme des enfants, lié à l’orpaillage », fait savoir Pierre Célestin Zerbo, conseiller pédagogique en service à l’école Yako-filles. S’agissant des perspectives, outre le cadre de concertation des ONG et Associations actives en éducation de base (CCEB) qui mènent des actions de sensibilisation pour la cause, il y a l’Association pour la promotion de la femme et de l’enfant, qui, déjà sur le terrain, mène des actions de lutte contre le phénomène dans les circonscriptions d’éducation de base de la province du Passoré.
Des risques à court et long termes
En dehors de la déscolarisation, l’orpaillage comporte des risques sanitaires pour les enfants. Cela amène les enfants à inhaler la poussière, conduisant à des maladies respiratoires comme les pneumoconioses, explique le docteur Hébié, médecin généraliste au CMA de Yako. Tout en précisant que dès que l’appareil respiratoire faillit, il ne peut plus jouer son rôle d’apport d’oxygène et de rejet des déchets comme le gaz carbonique. Selon Dr Hébié, il y a risque de développer des troubles musculo-squelettiques, en raison de la force physique qu’impose l’activité. L’on a coutume de dire que la jeunesse constitue le fer de lance d’une nation mais si l’Etat n’y prend garde, la montée du phénomène des enfants sur les sites d’orpaillage pourrait compromettre davantage leur avenir. En 2012, sur les 2 572 élèves que comptait l’école de Pelegtenga logée au cœur du site, seulement 522 sont restés dans les classes, selon le diagnostic de la CCEB, conduit par l’Association Monde rural (AMR).
Par Marou DIANDA
Des chiffres et des actions : l’or déscolarise
Selon les différentes CCEB de la province du Passoré, les statistiques des 2 dernières années indiquent que les causes des absences et abandons scolaires au profit de l’orpaillage dans les 12 CEB qui totalisent 306 écoles publiques, 51 écoles privées, dont 1 464 classes publiques, 229 classes privées que compte la province, créent une situation qui n’est pas rassurante. La situation est d’autant plus préoccupante qu’en 2015-2016, 85 203 abandons ont été enregistrés dont 43 537 garçons, 41 666 filles (voir encadré sur les détails par localité).
Yako 2 : 77 absents, 112 abandons
LA-TODIN : 166 absents, 54 abandons
Bokin 1 : 00 absent, 14 abandons
Bokin 2 : 111 absents, 71 abandons
Arbollé 1 : 241 absents, 35 abandons
Arbollé 2 : 54 absents, 47 abandons
Kirsi : 50 absents, 42 abandons
Bagaré : 135 absents, 41 abandons
Yako 1 : 04 absents, 26 abandons
Gomponsom : 93 absents, 64 abandons
Samba : 00 absent, 16 abandons
Pilimpikou : 00 absent, 16 abandons
Source : DPENA : Passoré
De la prévention
Au Passoré, certains projets et programmes mènent des actions de sensibilisation et de formation socioprofessionnelle afin de réduire le phénomène du travail des jeunes et des élèves sur les sites d’orpaillage. Il s’agit, entre autres, de la Maison Familiale Rurale (MFR) qui accompagne la jeunesse dans des formations en soudure, en construction métallique depuis 2001, et de l’Association pour la promotion de la femme et de l’enfant (APF), qui œuvre dans l’accompagnement de la jeunesse à travers des actions de développement. Si cette activité affecte les rendements des élèves et influence la fréquentation des écoles par les élèves, elle a aussi un impact négatif sur l’environnement. C’est, du reste, ce que soutient Amadé Ouédraogo, directeur provincial de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique de Yako à travers ces lignes :
« Pour que les populations s’enrichissent durablement »
« L’exploitation de l’or a un impact négatif sur l’environnement. L’écosystème est très important pour la population. Mais, à travers les actions de l’orpaillage, l’environnement se dégrade d’année en année, influençant les précipitations et le cycle saisonnier. Des actions de sensibilisation et d’interpellation ont été menées, mais la persistance a pris du poids. Nous espérons qu’avec les nouveaux dirigeants communaux, des actions de sensibilisation seront menées pour décourager le phénomène. Les animaux seront affectés par la pollution de l’environnement, y compris l’homme. Nous allons interpeller les populations à préserver l’environnement, car en préservant son environnement, l’homme se préserve lui-même », a-t-il indiqué.
Par M. D