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BURKINA :Une chance historique de mettre fin au pouvoir kaki


Depuis le 03 janvier 1966 et le soulèvement populaire qui a occasionné la chute du pouvoir du président Maurice Yaméogo, l’armée burkinabè est au pouvoir d’une manière ou d’une autre. Du Général Sangoulé Lamizana au Capitaine Blaise Compaoré en tenue, puis en civil en passant par le Colonel Saye Zerbo, le Médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo et le Capitaine Thomas Sankara, les militaires ont fait la pluie et le beau temps au sommet de l’Etat burkinabè. Même avec le Discours de la Baule qui a obligé bien des Etats francophones d’Afrique a adopté des systèmes de gouvernance démocratique de type libéral, les choses n’ont pas vraiment changé. Le président Blaise Compaoré s’était juste débarrassé de sa tenue militaire et mis en place des institutions formelles de l’Etat de droit. Mais bien des observateurs avisés ont toujours décrié un régime militaire déguisé. L’armée est restée au cœur du pouvoir. Cette mainmise de l’armée sur le pouvoir d’Etat, faut-il le rappeler, tire sa source de la remise du pouvoir entre les mains des militaires lors de la chute de Maurice Yaméogo. En d’autres termes, la transition menée par le Général Lamizana n’a pas débouché sur un véritable retour du pouvoir aux mains des civils comme c’est la règle dans les démocraties qui se respectent.

Ce rappel historique donne à voir toute l’importance d’une transition civile au Burkina Faso après la chute du régime de Blaise Compaoré du fait de l’insurrection populaire qu’il y a eu. Comme on le sait, aussitôt la démission du président Compaoré acté, deux factions de l’armée se sont disputées le pouvoir, disant répondre à l’appel du peuple et profitant d’une certaine naïveté de certains acteurs de la société civile et du fait que l’opposition politique semblait elle-même quelque peu dépassée par la tournure des évènements. Mais, le Chef d’Etat major général des armées, le Général Honoré Naberé Traoré, a dû se plier, certainement face à la force de frappe du Lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, chef de corps adjoint de la Sécurité de Blaise Compaoré. Il est de notoriété publique en effet que le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) constitue une force d’élite bien entrainée et équipée, comparativement au reste de l’armée burkinabè. Blaise Compaoré se souciait probablement plus de sa sécurité personnelle et de celle de ses proches que de celle de son pays.

 

Tout laisse penser que la loyauté des deux hommes au régime Compaoré est même restée intacte jusqu’à la démission de ce dernier, voire même après cette démission

 

 

Conséquence, qui se frotte au RSP, s’y pique. C’est connu. Cette réalité des forces en présence n’est visiblement pas anodine dans la décision de l’armée de s’en remettre au Lieutenant-colonel Zida pour conduire la transition au détriment du Général Traoré. En tout état de cause, il faut relever que cette bataille pour le pouvoir qui s’est menée sur les dépouilles encore fumantes des victimes des violences, a, pour cette raison même, un caractère indécent et immoral.

Aussi, en ce qui concerne ces deux hommes, le chef d’Etat-major et l’adjoint du chef de corps de la Sécurité présidentielle, c’est un truisme de dire qu’ils sont des hommes du régime déchu. Faisant partie des piliers du système Compaoré, chacun d’eux l’a, à son niveau et à sa manière, aidé à se perpétuer, à s’imposer pendant si longtemps aux Burkinabè. Tout laisse penser que la loyauté des deux hommes au régime Compaoré est même restée intacte jusqu’à la démission de ce dernier, voire même après cette démission. C’est un euphémisme de dire qu’ils ont prêté main forte aux dignitaires du régime déchu dans leur décision de prendre la poudre d’escampette. En effet, la fuite de l’ex-président Blaise Compaoré et de ses proches pour se réfugier hors du pays, a été organisée avec leur complicité ou tout au moins, leur complaisance. Ils ont certainement couvert par action ou par omission cette fuite car ils avaient quelques moyens de le savoir et de s’y opposer ou au moins, de tenter de le faire. Ainsi, la conduite de la transition par eux est une sorte d’assurance-vie pour les autorités déchues. Ils pourront être portés à protéger les intérêts de leurs ex-mentors qui ont fui. Compte tenu de tout cela, il n’est pas exagéré de dire que ces officiers ne sont pas le meilleur choix pour gérer cette transition.

Pour ce qui est de l’armée burkinabè dans son entièreté, il faut relever qu’elle n’a pas non plus de raison valable d’avoir le privilège d’être à la tête de la transition. Elle n’a pas eu vraiment un mérite particulier, un rôle central dans cette victoire contre la dictature de Blaise Compaoré. Certes, l’armée a fini par décider de ne plus tirer sur les manifestants mais cette prise de position est intervenue de façon quelque peu tardive en ce sens que des vies innocentes de populations aux mains nues ou armées de simples cailloux, avaient déjà été brisées. C’est dire combien l’armée est pendant longtemps restée du côté des oppresseurs du peuple. Même lorsque tout allait de travers et que les populations offraient leur poitrine nue aux balles au nom de leur idéal, les militaires n’ont pas eu le courage de sortir promptement du bois. Bien au contraire -et jusqu’à preuve du contraire- ce sont bel et bien des balles d’éléments des forces de défense et de sécurité burkinabè qui ont endeuillé des familles burkinabè pour protéger un individu et son clan dont l’attachement maladif au pouvoir n’est plus à démontrer. Et, détail non moins important, aucune victime n’est à déplorer du côté des militaires. Cela confirme que c’est le peuple dans sa frange civile qui a payé un lourd tribut dans cette lutte. L’armée est de ce fait, disqualifiée pour se dresser aujourd’hui en sauveur même si dans leur désarroi, des manifestants ont dû appeler au secours l’armée et notamment le Général à la retraite Kwamé Lougué.

C’est dire que la hiérarchie de l’armée burkinabè de façon globale, devait avoir honte de son attitude quand le peuple s’est retrouvé dans l’œil du cyclone, sans défense. De ce fait, elle aurait été mieux inspirée d’en tirer toutes les conséquences même lorsqu’elle a été sollicitée par certains manifestants qui certainement, ne savaient plus à quel saint se vouer. Car, il faut bien l’avouer, elle a manqué l’occasion de se mettre à la hauteur des aspirations du peuple et de s’imposer par conséquent en armée républicaine. Elle s’est juste contentée de cueillir le fruit quand il s’est révélé mûr. A la décharge de l’armée burkinabè, on note qu’elle avait été divisée et affaiblie à dessein dans sa frange majoritaire par l’ex-président Compaoré. Mais l’absence de prise de position anticipatrice et salvatrice de sa part, en plus du risque que constitue l’irruption de l’armée sur la scène politique au regard de l’expérience passée du pays, fait qu’il est très juste de refuser une transition militaire. Une telle transition est de nature à corrompre l’esprit même de cette révolution populaire qui vise à libérer le peuple. Ayant repris en main son pouvoir, le peuple doit pouvoir s’assumer jusqu’au bout. Les forces de défense et de sécurité devraient, pour jouer leur rôle et se racheter quelque peu de leur attitude d’abandon du peuple, se cantonner à leur rôle de protection de l’intégrité du territoire et de sécurisation des personnes et des biens.

Pour la suite de la transition, la volonté d’éviter l’Etat d’exception est certes, compréhensible et il faudra aller dans ce sens. Mais il ne serait pas non plus opportun et légitime de vouloir remettre en selle l’Assemblée nationale et son président dans cette transition. Car, même si cette institution n’a pas été formellement dissoute par le chef de l’Etat, on peut dire qu’elle l’est de facto.

 

En tout état de cause, c’est une chance historique pour le Burkina de mettre fin au pouvoir kaki, de tourner la page des régimes militaires bruts ou maquillés

 

Car, cette insurrection a été une manière pour le peuple de montrer qu’il n’est plus en phase avec ses représentants, en tout cas, dans leur grande majorité. De ce fait, la représentation nationale n’a plus de raison valable d’être en place. Tout autant que le gouvernement et l’ex-président Blaise Compaoré, cette Assemblée a été désavouée par le peuple burkinabè et ne dispose plus, par conséquent, de la moindre légitimité. En d’autres termes, la représentation nationale burkinabè qui était en place, est partie en fumée au sens propre mais aussi au sens figuré. Et c’est le peuple souverain lui-même qui en a prononcé la dissolution. Et quelle sentence y a-t-il de plus légale et légitime que celle prononcée par le peuple dans une démocratie qui se respecte ? En tout cas, ce serait faire injure au peuple burkinabè que de lui imposer une transition conduite par des représentants dans lesquels il ne se reconnait plus et dont il a entendu dénoncer la trahison, au prix de sacrifices en vies humaines et d’autres dégâts considérables. En principe, c’est une transition civile du type de celle qu’il y a eu récemment au Mali qu’il convient de mettre en place avec plus ou moins de réaménagements au Burkina.

En tout état de cause, c’est une chance historique pour le Burkina de mettre fin au pouvoir kaki, de tourner la page des régimes militaires bruts ou maquillés. Cette transition civile est la condition sine qua non pour éviter au pays des Hommes intègres qui a rarement si bien porté son nom ces derniers temps, d’être mis à la diète par la communauté internationale. Le Burkina fait aujourd’hui office de laboratoire pour la démocratie en ce sens que ce qui se passe dans ce pays, illustre bien la décision d’un peuple de s’assumer, de recouvrer son pouvoir en allant à l’assaut des barricades antidémocratiques dressées par un régime qui lui était devenu étranger. Cela devra servir d’exemple à d’autres peuples dont la démocratie a été confisquée. Bien des pays du continent se trouvant peu ou prou dans la situation où se trouvait le Burkina avant ce mouvement d’humeur du peuple, scrutent ce qui se passe. Cela signifie que le peuple burkinabè qui a su s’émanciper de la démocratie imposée, pour conquérir une démocratie conforme à ses aspirations, est admiré et cité en exemple par de nombreux peuples du monde en général et d’Afrique en particulier. Et au regard de l’importance de leur choix pour l’avenir de leur pays et du modèle que constitue leur combat aujourd’hui, les Burkinabè n’ont aucunement le droit d’échouer. Il faudra donc que le peuple reste debout et vigilant dans la défense de ses acquis.

 

« Le Pays »


Comments
  • FORMIDABLE Analyse .

    2 novembre 2014
  • Merci à vous et à votre journal!C’est du propre.
    Belle analyse.

    2 novembre 2014
  • On ne veut plus de militaires au pouvoir avec encore un décès ce dimanche. La place d’un militaire c’est dans les casernes.

    2 novembre 2014
  • Tres bel article. Je suis entierement d’accord. Les militaires ne doivent pas s’accaparer du pouvoir qu’ils n’ont en rien contribue l’avenement. Victoire et honneur aux peuples eternels!

    2 novembre 2014
  • Les Militaires sont en train de vouloir protéger leur carrière et leur avenir professionnel en insistant pour rester et conduire la transition que tout le reste de la population (OSC et les Politiques) réclament civile . Il faudrait donc que dans les négociations on fasse comprendre aux Hommes en kaki que nous n’avons pas besoin d’eux pour conduire la transition, mais qu’ils restent un maillon important de la transition pour que cette transition réussisse. Il est capital que les militaires retournent dans les casernes sans se sentir menacés de perdre (dans un premier temps) leur rôle important et régalien d’assurer la sécurité et l’intégrité de la nation . Dans ce sens on pourrait aussi penser à des formations conséquentes pour remplacer ces 500 militaires Français qui stationnent à Kamboinsin pour soit disant sécuriser le sahel et qui devraient en fait céder la place à notre armée Nationale
    (que nous allons continuer à bien équiper) qui a prouvé ses compétences dans les différentes missions onusiennes .

    3 novembre 2014
  • Les liens de sang entre Guingueré et Zida confirment vos analyses. Et si le peuple n’y prend garde, les dirigeants du RSP et l’Etat major vont organiser le transfert “propre” à l’étranger de tout ce qui a été volé au peuple.

    3 novembre 2014
  • Bonne analyse et bonne prise de position. Vous dites … par action ou par omission… ils ont aidé le régime dissous. Ce n’est pas par omission, c’est par action avérée. Le lieutenant-là a dit, à propos de Blaise et de Djendjere que “ils sont en lieu sûr et leur intégrité physique ‘n’est pas menacé”. C’est bien du dilatoire, faisant croire aux peuples que ses ennemis sont enchainés alors que c’est pour gagner du temps et couvrir la fuite des ex-CDPISTES. La preuve, “cou-cou” voilà Djendjere qui apparaît les mains libres et dans le collégial directorial des putschistes aux civils; à voir s’il n’est pas le cerveau : Tout laisse à le croire. Vaut mieux que Blaise revienne et que le CDP fasse la fête.

    3 novembre 2014
  • L’armée de l’oppresseur veut protéger les opprimer. Quelle ironie de l’histoire? Peut-on croire que le chat revenu de la Mecque ne mangera pas encore les souris?

    5 novembre 2014
  • Dans tous les cas Zida assure la transition actuellement parce qu’il a les armes. Il n’y a aucune autre explication, sinon il n’est ni le plus gradé de l’Armée ni un homme du peuple (car il est la deuxième personne à qui faisait confiance l’ex-Président!).

    6 novembre 2014
  • Je salue le combat que votre journal mène depuis longtemps pour tracer la voie de la démocratie au profit des dirigeants de ce pays et de l’Afrique. Malheureusement au se demande si nos hommes politiques prennent le temps de lire, de comprendre pour agir avec discernement. Car un homme politique qui sait lire possède le courage de prendre des décisions difficiles qui pèsent sur le poids de l’histoire de son peuple et du monde entier. Par rapport au RSP, sa dissolution rendrait service au peuple car il a causé plus de deuils, plus de larmes, d’orphelins, de veuves dans notre société. Si ce régiment était aussi fort qu’on le pensait, pourquoi a t-il laisser Monsieur Blaise Compaoré s’enfuir. J’avoue que Monsieur Djendjeré Gilbert ne sait pas qu’il est la personnalité la plus détestée du Burkina après Monsieur François Compaoré. Cet homme est une menace potentielle pour la république. Monsieur Zida est téléguidé. J’ai honte à notre armée…

    15 novembre 2014

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