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ISSOUF KABRE, DEPUTE-MAIRE DE LA COMMUNE DE BERE


 

Election du maire par suffrage direct, délégations spéciales, modification du Code électoral, statut du maire sont, entre autres, les sujets abordés par le député-maire, Issouf Kabré, lors d’une interview réalisée le 24 décembre 2021. L’élu UPC au compte de la province du Zoundwéogo dans le Centre-Sud, dit s’être abstenu lors du vote du projet de loi relatif à la modification du Code électoral. Il est formel : « il y a des choses qui y figurent mais qui nous laissent perplexe parce qu’à l’analyse, on ne se trouve pas conforté par ce qui peut se passer dans la pratique »

 

Quels sont vos vœux pour l’année 2022 ?

Je demande au Seigneur de nous apporter la paix dont on a tant besoin pour pouvoir vivre parce que l’insécurité gagne du terrain. Que Dieu donne aussi la santé, la sécurité et le bonheur à tous les Burkinabè.

Comment conciliez-vous vos fonctions de maire et de député ?

Ce n’est pas trop coïncé à l’hémicycle parce qu’on est en session deux fois dans l’année pour les sessions ordinaires. Il y a du temps libre pour se consacrer aux activités de la mairie parce que le maire a l’obligation de passer sept jours dans la commune. La commune n’est pas très éloignée de Ouagadougou. On est à 70 kilomètres à vol d’oiseau, sur la route de Pô. Cela fait que j’ai assez de temps pour me consacrer aux activités de la commune et m’adonner aux tâches de l’hémicycle qui me sont dévolues.

Le 20 décembre dernier, il y a eu la modification du Code électoral à l’Assemblée nationale. Avez-vous voté pour ou contre ?

Je me suis abstenu pour tout le document, pour des raisons évidentes. Il y a des choses qu’on attendait qui n’y figurent pas ; il y a des choses qui y figurent mais qui nous laissent perplexe parce qu’à l’analyse, on ne se trouve pas conforté par ce qui peut se passer dans la pratique. Il s’agissait notamment de la partie du vote du maire par suffrage universel direct, que les électeurs et les politiciens attendaient. Cette partie n’y figure pas, n’ayant pas été retenue par le dialogue politique alors que nous, on attendait cela de pied ferme pour qu’en 2022, on puisse éviter tout ce qui s’est passé de par le passé. Il y avait aussi d’autres aspects tels que les délégations spéciales. Le format qui a été proposé, c’est l’ancien format. Et c’est par rapport à l’insécurité que la délégation spéciale est prévue. Ce format ne permet pas de coopter les personnes qui devaient l’être pour faire des délégations spéciales parce que l’Administration n’existe pratiquement pas dans certaines communes. Tous ces éléments nous laissent perplexe. Nous nous sommes abstenus pour attirer l’attention.

Qu’est-ce que vous pensez de ces dispositions qui sont le fruit du dialogue politique ?

Ce n’est pas mauvais parce que ce sont les responsables des partis politiques qui sont dans le dialogue politique.  Le dialogue politique, on l’a voulu pour juguler un marasme qui existait au niveau des politiciens et qui exacerbait la vie en société et la vie politique d’une manière générale. D’une manière générale, c’est bien mais il faut que le débat qui se mène au niveau du dialogue politique soit celui qui se mène en société parce que les partis politiques, c’est d’abord l’électorat. Et si les électeurs attendent quelque chose de pied ferme, il est bon que les responsables politiques qui se retrouvent pour en débattre, tiennent compte de cela.

La problématique est que certains députés n’étaient pas pour le consensus que le dialogue politique a eu concernant les élections municipales ?

Les discussions politiques sont dynamiques. A cause de ce dynamisme, je pense que le dialogue politique ne va pas en vouloir à l’Assemblée nationale qui plaide pour certaines choses. Le dialogue politique est suspendu et si les décisions devaient être revues, ce ne serait pas avec les mêmes équipes et peut-être pas les mêmes débats. Le point non consensuel, c’est surtout le vote du maire par suffrage direct. Il est vrai que les troubles au niveau des mairies ne sont pas forcément liés au mode d’élection du maire mais cela est dû en grande partie au fait que le maire est à la merci des conseillers municipaux à travers la manipulation, les achats de consciences, les influences de tous genres.

« J’ai été maire deux fois et j’ai été conseiller municipal avant d’être maire. Donc, je sais ce que vaut cette dépendance envers les conseillers municipaux. Il y a trop de troubles »

 

Pourquoi êtes-vous pour l’élection des maires par suffrage direct ?

L’élection du maire par suffrage direct va résoudre un certain nombre de problèmes. J’ai été maire deux fois et j’ai été conseiller municipal avant d’être maire. Donc, je sais ce que vaut cette dépendance envers les conseillers municipaux. Il y a trop de troubles. L’élection du maire est plus exacerbée que l’élection des conseillers ; courir par-ci, par-là, aller acheter des voix de conseillers. C’est pourquoi, dans certains conseils municipaux, on voit qu’un parti politique est majoritaire mais le maire n’est pas issu de ce parti. Tout cela est dû aux alliances et aux petites tricheries. Pour moi, ce qui est préférable, on présente un candidat à l’avance, on dit c’est votre fils X qui veut gérer votre commune. Si les gens sont partants pour lui, ils votent pour lui. Mais il y a des gens qui sortent voter en se disant dans leur tête que ce sera X qui sera le maire. A l’arrivée, ce n’est ni X, ni Y ; c’est carrément quelqu’un d’autre. Et cela pose des problèmes de confiance entre la population et les élus parce qu’elles ne se retrouvent pas. Conséquence : des troubles naissent. Ensuite, il y a des blocages au niveau des conseillers municipaux parce qu’il y a un certain seuil à atteindre lors des sessions, pour que le maire prenne certaines décisions surtout quand il s’agit des délibérations à caractère financier. Cela est dû au fait que le maire est à la merci des conseillers. Si le maire est élu au suffrage direct, il aura une légitimité plus forte, une légalité assez appuyée. Même si des troubles peuvent naitre, ce ne sera pas de cette nature.

Que reprochez-vous à la délégation prévue par le Code pénal que l’Assemblée nationale vient d’adopter ?

On a pensé que le format actuel peut être retenu théoriquement. Mais dans la pratique, cela peut être du pipeau. Avec le format actuel, c’est le préfet qui va diriger la délégation spéciale et on va coopter les chefs de services qui sont dans les communes et dans les départements pour composer le Conseil municipal avec quelques associations, la société civile avec deux ou trois éléments. Alors qu’on dit que c’est quand l’élection n’a pas lieu dans une commune à fort taux d’insécurité, que la délégation spéciale naitra. Pourtant, nous savons que dans les communes où il y a ce problème d’insécurité, le préfet n’y est plus ; les services sont absents alors que les conseillers sont des autochtones qui restent dans la localité pour sauver les meubles. Et on veut les remplacer par des gens qui ont quitté la localité. S’il y a la délégation spéciale et qu’on arrive sur les lieux, on ne trouve pas tous ces gens, qu’est-ce qu’on fait ? Il faut recommencer à demander des autorisations à l’Assemblée nationale pour modifier certaines lois pour  pouvoir installer des délégations spéciales. C’est pour cela que nous avons pensé que le format actuel ne tient pas la route.  Donc, il faut revoir la copie, peut-être en gardant les conseillers municipaux actuels en prolongeant leurs mandats pour qu’il n’y ait pas de vide juridique.

 

Vous venez de dire que ce n’est pas compliqué d’être député-maire mais pourquoi n’avez-vous pas choisi d’être député ou d’être maire ?

Ce n’est pas venu concomitamment. J’étais d’abord maire et puis, cela fait mon deuxième mandat à la mairie. Je suis toujours maire à cause du prolongement du mandat. Au Burkina, ce n’est pas interdit  d’être député-maire.  Les deux postes électifs sont cumulables.

 

Quels sont les grands projets pour votre commune ?

Les communes rurales, ce sont des communes à maigres revenus et tout ce qu’on entreprend dans le Plan communal de développement (PCD), on arrive très difficilement à les achever avant la fin des mandats. Il nous reste encore beaucoup à faire. Ce sont les chantiers d’ordre social, surtout au niveau des écoles, des centres de santé, des routes, etc. On a fait un grand bond au niveau de l’eau mais beaucoup de choses restent à parfaire. Il faut former les jeunes, autonomiser les femmes pour que ce qu’on connait aujourd’hui, ne puisse pas nous atteindre en tant que collectivité territoriale.

Vous parlez de quoi exactement ?

Je parle de l’insécurité. Tout le monde le sait, pour lutter contre le terrorisme, il faut lutter contre la pauvreté, la vulnérabilité des jeunes. Tant qu’on n’aura pas vaincu cette vulnérabilité, il ne faut pas penser que l’on pourra vaincre le terrorisme. Celui qui veut combattre le terrorisme doit combattre le terrorisme avant. Le développement ne peut être qu’endogène pour favoriser la prise en charge des jeunes, pour qu’il n’y ait pas de recrutement, de radicalisation ni des tentatives de rejoindre un groupe.  

« On a l’impression que les gens sont anti-taxes, anti-impôts, mais ce ne sont pas des difficultés liées spécifiquement à la commune de Béré »

Quelles difficultés rencontrez-vous au niveau de votre commune ?

Ce sont les mêmes difficultés que dans toutes les autres communes du Burkina. On a l’impression que les gens sont anti-taxes, anti-impôts, mais ce ne sont pas des difficultés liées spécifiquement à la commune de Béré. C’est une difficulté qui est universelle parce que les gens sont pauvres. Quand tu sors avec un capital réduit, tu veux te battre pour nourrir ta famille et que quelqu’un te demande de soutirer un 5 000 F CFA ou 10 000 F CFA par mois pour payer une taxe, cela peut révolter la personne. Donc, il y a cette difficulté de paiement des taxes. Mais nous avons aussi un problème d’enclavement. On est à 10 kilomètres de l’axe Ouaga-Pô. Mais pour y accéder en saison pluvieuse, c’est la croix et la bannière. Il y a eu des pistes rurales avec le projet MCA mais l’enclavement de la commune reste toujours un problème à résoudre. Il y a aussi les guéguerres politiques parce que la commune est toujours dirigée par deux ou trois partis politiques. Actuellement, nous sommes à trois partis. Mais les choses vont en s’améliorant sinon, au tout début, c’était vraiment difficile. C’était pratiquement la pagaille et la bagarre tous les jours. On parle de cohésion sociale et si les politiciens ne parlent pas le même langage dans une zone, cela divise la population et le développement se trouve pris en otage.

A combien s’élève le budget de votre commune ?

 On était à peu près à 200 millions de F CFA. Je suis d’accord qu’on parle de budget mais je préfère qu’on parle de ce qu’on fait. Il y a beaucoup d’actions que l’on réalise mais qui ne rentrent pas dans une budgétisation. C’est cela le plus important. On a aussi un budget qui n’est pas dans le budget parce que nous travaillons avec des amis européens dans le cadre de Beré-Eau qui est un projet phare de la commune.

De plus en plus, on accuse les maires de détournements de parcelles et autres. Quel est votre commentaire ?

Je ne suis pas concerné. Cela peut être lié à la vulnérabilité des maires mais je pense que la pauvreté ne peut pas amener un homme à être voleur ou tricheur. Ce n’est pas une excuse. Il faut reconnaitre qu’il y a le statut de l’élu qu’il faut revoir. Il y a des maires dont les communes sont démunies. Ils n’ont absolument rien. Alors que le maire travaille beaucoup plus que le député. Il est beaucoup plus proche des populations ; il est sollicité partout et participe à tout. Moi,  j’ai 84 000 F CFA par mois. Et si je n’étais pas fonctionnaire ? Et si je ne faisais pas une autre tâche ?  Si tu as des lotissements à faire, tu vas finir par plonger la main dans la caisse. Tout compte fait, ce n’est pas une raison. Il y a des maires qui volent mais ce n’est pas parce qu’ils sont vulnérables. Il y a des maires qui sont très bien payés puisque la rémunération dépend du volume du budget. Les brebis galeuses ne manqueront jamais dans une troupe. Pour les maires qui sont dans la triche, ils doivent revenir à de meilleurs sentiments.   

                                                 Propos recueillis par Françoise DEMBELE

Encadré

A propos de la commune de Béré

La commune de Béré est située au Centre-Sud dans la province du Zoundwéogo. C’est une commune agricole et d’élevage. C’est le grenier de la province, sinon de la région. C’est une grosse commune avec près de 38 000 habitants. Compte tenu de sa proximité avec Ouagadougou, le commerce y est florissant. C’est une commune électrifiée depuis 2007. C’est une ville en plein essor.

 FD


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