HomeOmbre et lumièrePROCES DU PUTSCH MANQUE : Agacé, le capitaine Zoumbri pique une colère

PROCES DU PUTSCH MANQUE : Agacé, le capitaine Zoumbri pique une colère


 

L’audience du capitaine Ousseini Zoumbri s’est poursuivie devant le tribunal militaire dans la salle des banquets de Ouaga 2000, le 18 septembre 2018. Une audience marquée par des mises au point et l’agacement du présumé qui se sentait harcelé par le parquet militaire à travers ce qu’il considère comme un retour incessant sur certaines questions. En rappel, le capitaine Zoumbri est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires, complicité de dégradation aggravée de bien, et incitation à commettre des actes contraires aux règlements et à la discipline militaire.

Alors que l’avocat de la partie civile, Me Séraphin Somé, s’évertuait à montrer la responsabilité du capitaine Zoumbri dans l’attentat à la sûreté de l’Etat pour lequel il est complice, l’accusé dit avoir reçu des ordres militaires, « bétons, carrés » de son chef de corps qu’il a répercutés. Il dit n’avoir accompagné le général Diendéré dans aucun de ses déplacements. En amendant la déclaration du CND, n’avez-vous pas accompagné le général, demande l’avocat ? Je n’ai rien amendé comme déclaration et rien ne prouve que le document que j’ai vu a été présenté à la télévision, rectifie-t-il. «J’avais tout à perdre dans le coup d’Etat,  j’ai 14 ans de service mais j’étais en début de carrière d’officier », indique-t-il, avant d’interroger en ces termes : « pensez-vous que je vais m’embarquer dans une entreprise de coup d’Etat, clairement, frontalement, pour qu’après on vienne me mettre la Justice sur le dos » ? L’avocat poursuit en soutenant que le capitaine a participé à la rédaction de la déclaration du CND et, de ce fait, a accompagné le général Diendéré dans le putsch. Sur le rapport d’expertise, il dit n’avoir envoyé aucun des « sms » dont il est question au lieutenant Limon Jacques, même s’il reconnaît avoir eu des contacts avec lui. Depuis son arrestation et son déferrement à la gendarmerie le 29 septembre 2015 par des soldats, dit-il, il n’a pas vu son portable pendant 3 mois. « Je ne mets pas en cause l’expert, mais il est très fort », ironise-t-il. Quand l’avocat lui demande si le rapport de l’expertise téléphonique lui a été notifié en présence de son Conseil, le capitaine répond par l’affirmative et fait comprendre qu’il ne pouvait pas le contester. Il dit n’avoir même pas imaginé qu’on pouvait mettre de telles choses dans un rapport, faisant allusion aux « sms ». L’avocat insiste sur les « sms » qui culpabilisent le capitaine, selon lui. L’accusé se lâche, pique une colère et demande à l’avocat de ne pas continuer à mettre le doigt là où ça fait mal, indiquant qu’à force de le martyriser, l’avocat va le pousser à la révolte. Celui-ci fait observer que le rapport d’expertise est crédible et le tribunal ne peut que se fonder sur ce rapport.

« Les meilleurs capteurs sont les soldats sur le terrain »

En réaction à cette observation, le capitaine complimente avec ironie Me Somé en ces mots : «Vous êtes très éloquent. Si j’étais de l’autre bord, je vous aurais peut-être pris comme deuxième avocat ». Compliment pour compliment, l’avocat renvoie l’ascenseur au capitaine, en lui disant qu’il était aussi très fort ! Le conseil de l’accusé, Me Adrien Nion, met en cause les conditions d’élaboration du rapport d’expertise. Un rapport d’expertise qui a coûté à l’Etat près du demi-milliard de F CFA, que lui et son client n’ont reçu qu’après l’arrêt de la chambre de contrôle de l’instruction, relève-t-il. Il invite le président du tribunal à prêter attention aux heures d’envoi des messages dans le rapport. L’avocat mentionne que c’est la première fois qu’il voit un rapport qui se lit de façon verticale, du bas vers le haut. « Ce rapport n’est pas la perfection absolue, c’est critiquable à tous points de vue », souligne-t-il. Réagissant aux observations et aux questions des avocats de la partie civile, Me Nion relève que l’avocat a le beau rôle : « On sait ce qu’aurait fait l’autre, la droiture dont il aurait dû faire montre ». Mais, on ne doit pas faire abstraction du contexte et du péril qu’on aurait pu vivre, précise-t-il. Les faits se sont déroulés dans un camp militaire, et « dans un tel contexte, aucun d’entre nous n’est brave », dit-il. Quand le capitaine dit avoir envoyé les lieutenants Siébou Traoré et Philippe Ouattara à la place de la Nation pour des renseignements, pour sécuriser le lieu et non pour fouetter des gens, Me Sombié complimente le capitaine : « vous êtes un officier qui a fait Saint-Cyr (école militaire française) ». Pour l’avocat, son confrère Me Somé considère le rapport d’expertise comme du pain béni sorti du bénitier d’un curé. « Ce n’est pas du pain béni », rétorque-t-il à l’endroit de son confrère. Il note 2 rapports d’extraction qui produisent les mêmes messages sous des formats différents. Dans un premier libellé, il est question de « correspondant » et dans un deuxième, on parle de « contact opérateur », relève-t-il. «Ce rapport d’expertise est un faux document», clame-t-il finalement. Et de demander au capitaine s’il avait besoin qu’un administratif lui donne des renseignements sur le terrain. «Non, les meilleurs capteurs sont les soldats sur le terrain», répond-il, précisant qu’il n’a pas besoin du lieutenant Limon pour avoir des informations sur les garnisons où sont les frères d’armes. Le SMS  « 3 sections mal équipées » est un faux message selon Me Sombié et le capitaine confie qu’un tel sms n’avait aucun intérêt, n’apporte rien sur le plan tactique puisqu’il avait les vraies informations. L’officier Zoumbri, de l’avis de Me Sombié, est de ceux qui ont colmaté les brèches, au péril de leur vie. Me Dabo, lui, ne fustige pas le rapport pour le fustiger, mais relève que le temps entre « envoi des sms-réception-lecture-réponse des sms » est de 10 s, 11s ou 25 s d’après leur constat à la lecture du rapport. Et il y reviendra. Me Bonkoungou fait observer que le chef d’état-major général des Armées, au moment des faits, était inaudible le soir du 16 septembre 2015. Après l’attaque du RSP, on a fait disparaître des preuves et les documents personnels, les livres de bien des accusés ont disparu, poursuit-il. L’enquête commençait le 28 septembre et le 29 il y a des actes, à son avis. Il y a donc une volonté de couvrir des personnes, selon lui, raison pour laquelle il demande qu’on applique la même rigueur aussi bien au capitaine qu’aux autres. Le parquet s’est dit satisfait des réponses données par le capitaine, dans la limite des réponses militaires. Il indique qu’il exécute une mission de service public et parle donc au nom de la société. «C’est peut-être ingrat, mais noble pour les victimes», mentionne-t-il. Il revient sur une série de messages contenus dans le rapport. Il relève, à l’endroit du capitaine, une mission de contrôle dans une zone où il n’y a pas d’ennemi. Et l’accusé de réagir : « Vous êtes dangereux, monsieur le parquet. On ne parle pas d’ennemis en l’absence d’un état de guerre. Nous n’étions pas en situation de guerre entre frères d’armes ». Le tribunal le rappelle à l’ordre sur ce point, lui notifiant son droit absolu de ne pas répondre à une question. Le parquet rappelle la déposition du capitaine à l’instruction où celui-ci dit « qu’ils l’ont lue sans savoir son auteur ». Le procureur militaire relève que le rapport d’expertise est une véritable mine d’or et l’expert n’a fait que rapporter ce dont il a eu connaissance au moment des faits.  « C’est ce qu’il y a de compromettant qu’on met à nu, tout comme les journalistes s’intéressent au train qui arrive en retard et non au train qui est à l’heure », clarifie-t-il. Les messages (du rapport) sont clairs, mais tous les moyens sont bons pour se tirer d’affaire, «même s’il faut s’accrocher à un caïman», selon les propos de certains qu’il a rapportés. Sur ces mots, le parquet a suspendu l’audience à 13h.  A la reprise de l’audience à 14h, le capitaine Oussène Zoumbri est à la barre pour répondre des faits à lui reprochés. Et le débat sur les archives détruites au RSP revient sur la table. Pour Me Prosper Farama, avocat des parties civiles, l’essentiel est de savoir qui a brûlé les archives et quand est-ce que cela s’est passé. Selon l’hypothèse de l’avocat, « les auteurs peuvent être les éléments qui ont pris du matériel et sont allés en ville saccager. Comme ils ont été répertoriés dans les registres, ils les ont détruits ». « Je vous le concède », affirme le capitaine Oussène Zoumbri. Pour ce qui est de l’expertise, Me Farama se lance dans un monologue : « Est-ce que l’expertise et l’expert sont critiquables ? » « Oui ». « Est-ce que l’expert a manipulé les messages ? » « Oui » et « on peut même me décrédibiliser mais on n’a pas le droit de dire qu’il ment mais on a le droit de dire qu’on ne le croit pas ». Fidèle à lui-même, Me Dieudonné Bonkoungou, avocat de la partie défenderesse, note que le rapport de l’expert a été présenté comme la réponse au juge d’instruction alors qu’en réalité, le document a été produit sur la base d’une réquisition à personne qualifiée datée du 17 septembre avant la saisine du juge d’instruction. Et il ajoute qu’il n’est mentionné nulle part que c’est l’expert qui a fait le travail alors que la loi l’exige. Finalement, Me Bonkoungou doute de « la sincérité du rapport ». Embouchant la même trompette, Me Alexandre Sandwidi affirme qu’il n’y a pas de doute que le marché passé avec l’expert est nul. « L’expert aurait été l’envoyé de Dieu que son rapport serait critiquable ». Le capitaine Oussène Zoumbri est accusé, entre autres, de meurtres, de coups et blessures volontaires, d’incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la discipline militaires. L’accusé dit ne pas reconnaître les faits à lui reprochés. Mais le parquet militaire ne lâche pas l’affaire. « Avez-vous eu des informations sur les meurtres ? », question à l’accusé. Celui-ci répond : « Nous avons tous eu des informations à travers les réseaux sociaux ». Le ministère public insiste : « Y avait-il une relation entre les meurtres et les évènements en cours ? », « Je ne sais pas si ces morts avaient une relation avec les évènements », confesse l’accusé. Le parquet persiste : «Est-il possible que des tirs en l’air blessent ou tuent quelqu’un ?» Avant de répondre à cette question, le capitaine se renseigne : « Souhaitez-vous que je vous réponde en tant qu’accusé ou c’est mon avis personnel que vous voulez ? » Le parquet lui fait comprendre qu’on fait appel à son expertise. Contre toute attente, l’accusé lance : « désolé, je ne souhaite pas répondre à cette question ». Pour ce qui est des chefs d’accusation, Me Adrien Nion, avocat du capitaine Zoumbri, observe que pour que la responsabilité de quelqu’un soit engagée en cas de meurtre, il faut un élément légal, un élément matériel et un élément moral ou psychologique. Dans le cas d’espèce, il relève qu’il ne peut pas être reproché à son client l’infraction de meurtres parce qu’en dehors de l’élément légal, les autres éléments ne sont pas réunis. En plus, Me Nion affirme qu’il n’a jamais été démontré que son client se trouvait dans le périmètre où ont eu lieu les meurtres. Pour ce faire, l’avocat demande au tribunal d’innocenter son client. Relativement à la complicité de dégradation de biens, l’avocat retient qu’il n’y a pas de preuves contre son client. « L’argument, aussi beau soit-il, ne peut pas remplacer la preuve », mentionne-t-il. De même, Me Adrien Nion demande que « l’incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la dsiscipline militaire » ne soit pas retenue contre son client. L’audience se poursuit le mercredi 19 septembre 2018, à la salle des banquets.

Françoise DEMBELE et Lonsani SANOGO

 


No Comments

Leave A Comment