HomeOmbre et lumièrePROCES DU PUTSCH MANQUE « Le général a demandé d’assurer le maintien d’ordre. Je lui ai dit non », Colonel-major Tuandaba Coulibaly

PROCES DU PUTSCH MANQUE « Le général a demandé d’assurer le maintien d’ordre. Je lui ai dit non », Colonel-major Tuandaba Coulibaly


Le 1er mars 2019, deux éléments de la Commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD), des gendarmes, sont passés à la barre pour témoigner sous serment. Il s’agit du colonel-major Mamadou Traoré, actuellement attaché de défense à l’Ambassade du Burkina à Alger et du colonel-major Tuandaba Coulibaly, attaché de défense à l’Ambassade du Burkina Faso à Paris. A la suite des autres membres de la CRAD, tous deux affirment que la hiérarchie a apposé « un non catégorique » au général Diendéré. « Un non catégorique » qui laisse certains avocats de la défense « perplexes ».

Le colonel-major Tuandaba Coulibaly occupait le poste de chef d’Etat-major de la Gendarmerie, au moment des événements du 16 septembre et jours suivants. Le colonel-major fait partie de ceux à qui on avait demandé d’assurer le maintien d’ordre pendant le coup de force. Au cours de sa déposition, le colonel-major affirme que c’est au cours de la réunion du 16 septembre, qui a duré de 17h à 3h du matin que « le général a demandé d’assurer le maintien d’ordre. Je lui ai dit non. Il m’a demandé pourquoi, j’ai dit que je n’avais pas de grenades ». Le colonel-major Coulibaly affirme encore que c’est au cours de cette même réunion qu’il a reçu un compte rendu de la brigade territoriale de Cinkansé faisant cas du passage d’un élément du RSP en partance pour la frontière du Togo pour aller chercher du gaz lacrymogène. Et le colonel-major Coulibaly précise que la mission de Cinkansé a eu lieu dans la nuit du 16 au 17 septembre. Une assertion que ledit élément du RSP, en l’occurrence, le lieutenant Gaston Zagré dément. « J’ai quitté Ouagadougou en début de soirée du 17. Mon ordre de mission a été signé le 17 à Cinkansé et je suis revenu à Ouagadougou le 18 dans la matinée ». Une version que le général Diendéré soutient en insinuant qu’il n’était pas possible que le lieutenant Zagré ait effectué la mission dans la nuit du 16 au 17 septembre puisqu’à ce moment précis, il était au camp Naaba-Koom et avait été proposé pour la lecture du communiqué à la télévision. Mais le colonel-major reste sur sa position : « je maintiens que la mission de Cinkansé a eu lieu dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015 ». Deux versions qui sèment le doute dans l’auditoire. Qu’à cela ne tienne ! Au cours de sa déposition, le chef d’Etat-major de la Gendarmerie, à l’époque des faits, a mentionné que le 16 dans la nuit des éléments du camp ont tiré autour du camp de la Gendarmerie situé à Paspanga. Et quand le parquet demande au colonel-major comment il analyse ces tirs, celui-ci avance sans ambages que « les tirs étaient des signes de provocation ». Et au parquet d’informer le colonel-major que la défense a eu à dire que le 16, des éléments de la gendarmerie étaient aussi sur le terrain. Une déclaration que le chef de la Gendarmerie réfute en précisant que c’est le 17 nuit et jours suivants que les éléments de la Gendarmerie ont effectué des patrouilles mais pas dans le sens que voulait le général. Intrigué le parquet veut en savoir davantage. « Nous avons patrouillé pour la protection des individus et de leurs biens contrairement aux patrouilles du général qui étaient des patrouilles de dispersion. Pour le général, il fallait empêcher que les individus se regroupent pour manifester », explique-t-il. Si la gendarmerie n’a pas fait le maintien d’ordre, selon le général, pourquoi avoir réceptionné le matériel de maintien d’ordre, s’interroge le parquet. De l’avis du colonel-major Coulibaly, « il y avait une volonté de nous imposer le maintien d’ordre. Et l’essentiel n’était pas la réception du matériel ». Mais le parquet explique au témoin que le général a dit que la réception du matériel était une manière de dire oui au coup d’Etat. « Etait-ce la première fois que vous recevez du matériel du RSP ? » Le témoin répond par la négative en précisant que la Gendarmerie a déjà pris du matériel avec le chef d’Etat-major particulier de la Présidence. Le témoin martèle que la réception du matériel de maintien de l’ordre, qui d’ailleurs n’a pas été utilisé, et la sécurisation de l’hélicoptère pour la mission à la frontière de la Côte-d’Ivoire ne peuvent en rien rendre la Gendarmerie coupable, d’autant plus qu’elle exerçait les missions qui lui étaient dévolues. Et à propos de la sécurisation de l’hélicoptère le colonel-major ajoute  que c’est un hélicoptère de l’armée et la Gendarmerie ne pouvait pas le laisser dans la nature. Donc il fallait le sécuriser. Une perche tendue à Me Olivier Yelkouny, avocat du général Diendéré. Il déclare que sécuriser l’hélicoptère était une manière de soutenir le coup d’Etat.  Un « non catégorique » de la hiérarchie militaire n’aurait pas pris autant de tempsUn coup d’Etat qu’un autre membre de la CRAD, le colonel-major, Mamadou Traoré qualifie « d’inadmissible ». Il faut noter qu’auparavant, en début de matinée, le colonel-major Mamadou Traoré, au moment des faits, directeur de l’analyse stratégique du ministère de la Défense nationale et des anciens combattants (MDNAC) a fait sa déposition. Il dit avoir été convié à la réunion du 16 septembre par le chef d’Etat-major général des armées parce qu’il « y avait des problèmes à Kosyam ». Le témoin affirme que c’est au cours de cette réunion que le général a demandé à la hiérarchie d’assumer l’acte posé mais un refus lui a été opposé. « J’ai dit que la communauté nationale et internationale ne vont pas cautionner l’acte et que les chefs n’auront pas d’arguments pour convaincre leurs éléments sur le bien-fondé de cette action », affirme-t-il. « Mais pourquoi n’avez-vous pas arrêté le général ? », demande le parquet. Le colonel-major répond qu’il ne savait pas, si en ce moment, il pouvait arrêter le général. Mais le parquet rétorque qu’au cours de son audition, le général, à la barre avait dit que si l’armée, en son temps n’était pas d’accord, comme elle le prétend aujourd’hui, elle pouvait l’arrêter quitte à procéder à un échange d’otages. Pour montrer à quel point la hiérarchie était d’accord avec le coup d’Etat, le général a aussi dit qu’à la réunion du 17 matin, quand il est arrivé dans la salle, on a dit le Président du CND et la salle s’est mise debout pour l’accueillir et lui-même en était gêné parce qu’il avait des aînés dans la salle. Le colonel-major Traoré dit ne pas s’en souvenir. Mais Me Zanliatou Aouba est intriguée par un fait, la durée de la réunion du 16 septembre 2015. Elle confie qu’un « non catégorique » de la hiérarchie militaire n’aurait pas pris autant de temps. Mais le colonel-major rétorque qu’une réunion de sortie de crise ne se fait pas en 10 minutes. « Vous n’êtes pas militaire vous ne pouvez pas comprendre », dit-il à l’endroit de Me Aouba. Il soutient son argument par ce proverbe : « Quand il n’y a plus de braises dans le foyer les chiens peuvent se coucher dedans ». Malgré ces explications, Me Aouba affirme que le « non catégorique » de l’armée la laisse « perplexe ».

Françoise DEMBELE


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